"Quand je vois que tout augmente, je me dis que j'ai eu de la chance." Depuis le mois de février, Marie Cayeux est l'heureuse propriétaire d'une maison de 130 m2 dans le quartier d'Aplemont, sur les hauteurs du Havre. S'éloigner, une condition sine qua non pour que cette maman de 37 ans puisse devenir propriétaire. "Au centre-ville, un F3 coûte le prix de ma maison", poursuit cette salariée, qui a pu obtenir un taux d'emprunt à moins de 1 %, en février dernier. Depuis, le marché a beaucoup évolué. Comme partout en France, "on constate une hausse exponentielle des taux en un an, on est passé de 1 à 3 %, avec des acteurs bancaires qui ont pour beaucoup fermé les vannes, note Matthieu Levilly, notaire au Havre. À échéance constante, la part d'intérêt fait diminuer le pouvoir d'achat des acheteurs." Une situation imputable au contexte international de la guerre en Ukraine et à la hausse de l'inflation, auxquelles s'ajoutent la hausse des prix de l'énergie et donc des charges de copropriété. Si la demande se maintient localement, cette situation a freiné l'euphorie post-Covid dont a bénéficié Le Havre, dont l'attractivité avait déjà rebondi dès 2017, après les festivités des 500 ans.
Des prix stables
"Au sortir du confinement, le marché était très tonique, une visite suffisait pour vendre un bien, se souvient Isabelle Lemaistre, à la tête des agences du même nom. Aujourd'hui, on sent les acheteurs plus soucieux, ils prennent le temps de la réflexion, reviennent visiter avec la famille, etc." La hausse des taux a pour conséquence des budgets en recul de 5 à 10 % en moyenne sur un bien à 200 000 €, estime cette professionnelle. "Il y a un an, pour ce prix-là, on avait une maison de 80 m2, aujourd'hui c'est 70 m2", évalue quant à elle Frédérique Provost, manager transactions chez Laforêt.
Les professionnels du secteur le rappellent tous : désormais, impossible d'acheter une résidence principale sans un apport, ce qui complique l'achat des primo-accédants. Pour les plus âgés, passé 40 ans, c'est le taux d'usure autour de 3,5 % qui bloque de nombreux dossiers d'investissement. Certains acheteurs trouvent des parades. "On voit apparaître des dossiers de particuliers qui achètent en SCI leur résidence principale, via des achats groupés parents/enfants, note Frédérique Provost. On ne voyait pas du tout cela avant."
Côté investisseurs, le contexte bancaire a également freiné, ces derniers mois, l'attractivité du Havre, dont certains quartiers (Saint-Nicolas, les Docks) ou typologies de biens (petites surfaces meublées) avaient connu d'importants rebonds après les confinements successifs. Plusieurs professionnels pointent aussi l'impact du Diagnostic de performance énergétique et la future interdiction de louer ou d'augmenter le loyer des logements les plus énergivores. "Clairement, sur l'investisseur, c'est un gros frein", estime Me Levilly. Pour autant, les prix de l'immobilier havrais restent stables. "Si la hausse des taux continue, les prix devraient baisser au second semestre, présage Frédérique Provost. Mais ce n'est pas facile d'anticiper."
Le taux d'usure désormais mensualisé
Le taux d'usure donne du fil à retordre aux acheteurs ces derniers mois.
Le taux d'usure, c'est quoi ?
Fixé par la Banque de France, le taux d'usure correspond au taux maximum légal que les banques sont autorisées à pratiquer lorsqu'elles accordent un prêt, pour protéger les consommateurs d'éventuels abus. Le taux annuel effectif global (TAEG) d'un prêt doit impérativement être inférieur au taux d'usure. Ce TAEG comprend : les intérêts bancaires, les frais de dossiers payés à la banque, le coût de l'assurance emprunteur, les frais dus à un intermédiaire (courtier par exemple), les frais de garantie, les frais annexes.
Ce qui a changé au 1er février
Habituellement actualisé tous les trimestres, le taux d'usure est actualisé tous les mois, depuis le 1er février. Une mesure censée être temporaire, jusqu'au 1er juillet, et qui doit permettre de donner de l'air au marché. En février, le TAEG maximal est désormais de 3,79 % pour les crédits immobiliers de 20 ans et plus, contre 3,05 % à la fin 2022.
Avis de courtiers
"La mensualisation est une bonne nouvelle car, en fin d'année, pour les acheteurs de plus de 40 ans (pénalisés par les frais d'assurance, N.D.L.R.), le taux d'usure nous bloquait", réagit Loïc Bourillon, courtier au Havre. Avec son associé Alexandre Mora, il se veut optimiste et mise sur une décélération de l'augmentation des taux d'emprunt d'ici la rentrée 2023. "La situation devrait s'améliorer avec une facilité à trouver des financements grâce à un taux d'usure plus en phase avec les taux d'emprunt, à la suite de la mensualisation."
L'hypercentre reste attractif, Danton émerge
Quels secteurs immobiliers plaisent au Havre ?
Hôtel de ville, plage, Saint-Vincent mais aussi la rue de Paris et le quai de Southampton : la popularité de l'hypercentre du Havre ne se dément pas. "Les 500 ans ont eu un premier impact et cela s'est envolé post-Covid", confirme Frédérique Provost, manager transactions chez Laforêt. Cette dernière évoque notamment des habitants de Sanvic, sur les hauteurs, souvent âgés, qui souhaitent redescendre en ville, "à condition d'avoir un ascenseur". Même constat chez Lemaistre Immobilier : "L'attractivité du cœur de ville s'est vraiment manifestée au sortir des confinements, avec des gens un peu excentrés qui ont souhaité se rapprocher d'une vie en centre-ville, proche des petits commerçants", relate Isabelle Lemaistre.
Quid des Parisiens ? L'agent fait la moue : "Il y en a eu, pour investir ou s'installer, et il y en aura encore, mais c'est limité. Ce ne sont pas les Parisiens qui ont fait augmenter les prix !" "Le Havre n'est pas le nouvel eldorado, cela reste principalement un marché havrais", confirme Me Matthieu Levilly, notaire, qui souligne cependant que des Havrais expatriés dans la capitale ont souvent profité du télétravail pour revenir sur leurs terres natales.
Danton, nouveau quartier bobo ?
Côté maisons, "on fait face à une inadéquation entre l'offre et la demande, notamment pour les familles", constate Me Matthieu Levilly. Les quartiers de Sanvic et Sainte-Cécile, en ville haute, sont toujours aussi plébiscités. Et les prix ont énormément grimpé au sortir de la crise sanitaire. "À Sanvic, on est passés de 1 500 € le m2 à 2 800/3 000 € minimum", souligne Frédérique Provost. Les petits budgets se rabattent sur Aplemont, pour des biens qui nécessitent parfois beaucoup de travaux. Côté investisseurs, le quartier de l'Eure ou les Docks sont plébiscités, notamment pour la colocation. "C'est énorme. Pas seulement pour les étudiants mais aussi pour les travailleurs des grands groupes industriels", poursuit la professionnelle. Un constat que fait aussi Me Levilly, sur tout l'ouest de la ville basse. "Le développement de la location meublée, sur des petites surfaces, pour les étudiants, les touristes ou des missions professionnelles, est notable." Le quartier Danton, "qui s'est assaini", où la prison a cédé place au pôle Simone Veil, à deux pas de la gare, tire aussi son épingle du jeu. "Je ne l'ai pas vu venir, on nous dit que c'est le nouveau quartier bobo !", sourit Frédérique Provost.
En périphérie, "Octeville ressort beaucoup, comme les alentours de Montivilliers : Saint-Martin-du-Bec, Saint-Martin-du-Manoir, Fontaine-La-Mallet, Cauville", analyse-t-on chez Laforêt. "La clientèle familiale et active plébiscite Harfleur et Montivilliers, selon Isabelle Lemaistre. Un emplacement qui, dans un couple, permet de contenter tout le monde grâce aux voies de circulation."
"L'offre havraise est hétérogène, avec des prix encore abordables, résume Loïc Bourillon, courtier chez Immoprêt. C'est un atout par rapport à Rouen, qui pêche un peu de sa proximité avec Paris, et les environs de Caen et la Côte fleurie où le littoral est très cher."
Depuis cet été, "on perd une pièce par transaction"
Moins de mètres carrés pour le même budget.
Le pouvoir d'achat immobilier dans les grandes villes de provinces a été fortement impacté par la hausse des taux d'emprunt. C'est la conclusion de la société Meilleurstaux, dans une étude publiée début janvier. Le courtier a analysé ce que l'on pouvait acheter avec une mensualité de 1 000 € à un taux de 2,20 % (sur 20 ans) dans les vingt plus grandes villes de France. Bilan : en un an, au Havre, un acheteur perdrait 32 m2. La cité Océane connaît le plus fort impact, après Angers (- 42 m2), Le Mans (- 41 m2) et Saint-Étienne (-36 m2). En bas de la liste : Lyon (-9 m2), Bordeaux (-8 m2) et Paris (-3 m2). Courtiers locaux chez Immoprêt, Loïc Bourillon et Alexandre Mora font un constat un peu moins alarmant. "On perd quasiment une pièce par transaction, depuis le 1er juillet. Certains acheteurs vont s'adapter en choisissant une maison avec deux chambres au lieu de trois, en sacrifiant le jardin au profit d'un balcon. D'autres préfèrent attendre."
"L'immobilier, ce n'est pas mathématique"
Selon ces professionnels, cela profite aussi à des localités plus éloignées, et donc moins chères, "au-delà de Criquetot ou Saint-Romain, dans les secteurs de Goderville, Bolbec, Fauville". Plutôt que de sacrifier des mètres carrés, "les acheteurs vont plutôt revoir leurs critères par rapport au secteur recherché, s'ouvrir à d'autres quartiers", estime Isabelle Lemaistre, agent immobilier au Havre, qui remarque que ce phénomène existait déjà en raison de la limitation de l'offre. "L'immobilier, ce n'est pas mathématique !"
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