À première vue, il ne fait pas de bruit et s'apprécie en silence. Pourtant, chaque mois de janvier, au Havre, le livre monte sur scène. Il est la tête d'affiche du festival Le Goût des Autres (lire aussi page 10) qui mêle lectures publiques, parfois en musique, rencontres avec des écrivains, et ateliers divers. "Un moment de fête", résume Fabienne Delafosse, adjointe au maire en charge de la culture. Ce rendez-vous existe depuis 2012, année de lancement de la politique Lire au Havre. "Elle consiste à placer la lecture au cœur des pratiques culturelles, poursuit l'élue, en l'abordant non pas via de la prévention contre l'illettrisme, mais autour du plaisir et de la découverte." Au Havre, le livre va donc à la rencontre des lecteurs qui s'ignorent. Via le bibliobus qui sillonne les quartiers ou les neuf relais lecture, ces mini-bibliothèques implantées dans les Fabriques. Les livres nomades, à disposition dans les commerces, salles d'attente, laveries, etc. Le service de portage à domicile Domicilivres, pour les usagers du CCAS. Ou encore l'accompagnement des parents à la lecture aux tout petits, grâce à des professionnels de la petite enfance et associations spécialement formés. "C'est de la dentelle, pas forcément des actions de masse", remarque Dominique Rouet, directeur de la lecture publique à la mairie du Havre.
Une bibliothèque au centre commercial
Pour infuser cette politique, la Ville dispose aussi d'un outil de choix : ses bibliothèques, dont celle implantée à l'espace Oscar Niemeyer, qui draine jusqu'à 40 000 visiteurs par mois. "Nous voulions en faire un lieu de vie, avec des expositions, des ateliers, de l'éducation aux médias, aux jeux vidéo… Pour proposer plusieurs portes d'entrée à la lecture", poursuit Fabienne Delafosse. Derrière ce projet phare, inauguré en 2015, d'autres restructurations ont été menées ou bien vont l'être. Dans le quartier de Graville, l'accueil de la mairie annexe et de la bibliothèque se fait désormais au même endroit. À Caucriauville, le mobilier a été revu, les chaises ont cédé place à des poufs cosy. Enfin, Mont-Gaillard bénéficiera bientôt d'une bibliothèque… dans un centre commercial. La bibliothèque Raymond Queneau, vieillissante, sera déplacée dans la galerie marchande d'Auchan. "Nous faisons le pari que ce sera facilitant pour les gens. La bibliothèque bénéficiera du flux important de visiteurs dans la galerie et des deux collèges à proximité."
Après plus de dix ans, le bilan de cette politique n'est pas quantifiable. "Il avait été établi dès le départ qu'il n'y aurait d'évaluation stricto sensu", note l'élue. La fréquentation des bibliothèques - près de 500 000 visiteurs, 600 000 prêts par an - est cependant un indicateur positif. Depuis l'ouverture de Niemeyer, Dominique Rouet et ses équipes ont reçu 70 délégations d'autres villes de France, venues s'inspirer du Havre. "Plus on lit en bibliothèque, plus on lit en librairie, note-t-il aussi. Tout ce travail pour multiplier les lieux et les moments pour lire est peut-être aussi ce qui a permis à d'autres librairies que La Galerne de se développer. Il y a ici un terreau favorable."
La réserve précieuse…
Les pièces les plus importantes sont conservées dans la réserve précieuse.
Elle ne s'appelle pas la réserve interdite comme à Poudlard, mais la réserve précieuse. Les ouvrages les plus importants des bibliothèques havraises sont conservés derrière une lourde porte verrouillée, dans une pièce ventilée en permanence.
Des écrits de Bernardin
de Saint-Pierre
On y trouve notamment des manuscrits originaux de l'écrivain et botaniste Jacques-Henri Bernardin de Saint-Pierre. "Ils ont été acquis par la Ville en 1855 et 1866. Ce sont des manuscrits qui fondent l'identité du Havre et donc le caractère unique de la bibliothèque", indique Lucile Haguet. Le Havre possède aussi des manuscrits de Raymond Queneau ou d'auteurs contemporains comme le romancier Benoît Duteurtre, natif de Sainte-Adresse.
Un ouvrage du XIe siècle
C'est aussi dans la réserve, dans un coffret opaque, qu'est conservé le plus ancien ouvrage, La Chronique de Fontenelle, datant du XIe siècle. "Il s'agit du plus ancien ouvrage d'histoire monastique connu en Europe. Il a la particularité d'être composé de deux grandes enluminures représentant des abbés de Saint-Wandrille", explique la conservatrice. Un ouvrage qui dégage un doux son de parchemin quand on tourne les pages, et qui sera prochainement exposé à Rouen.
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Enfin, la Ville compte aussi de nombreuses planches de bandes dessinées.
Dans les coulisses de la bibliothèque Armand Salacrou, écrin d'ouvrages rares et anciens
Au Havre, la bibliothèque Armand Salacrou abrite des collections patrimoniales. Des ouvrages rares, pas toujours anciens, dignes d'être conservés pour ceux qui nous succéderont. Visite guidée.
Si l'espace Oscar Niemeyer attire aujourd'hui tous les regards, au Havre, la bibliothèque Armand Salacrou fut, avant elle, un équipement en avance sur son temps. Bâtie entre 1963 et 1967, elle est considérée comme le dernier bâtiment de la reconstruction de la ville. "La conservatrice de l'époque avait voyagé aux États-Unis pour imaginer cet équipement qui était à la fois une bibliothèque d'études, une bibliothèque de prêts et un musée du livre, ce qui était très novateur", indique Dominique Rouet, directeur de la lecture publique dans la cité Océane.
"On travaille pour
des siècles et des siècles"
Le site, spécialisé dans les ouvrages consacrés au Havre et à la Normandie, a la particularité d'abriter en coulisses les collections patrimoniales havraises. Elles représentent plus de 100 000 livres, dont un quart antérieur à 1811, auxquels s'ajoutent des manuscrits et 50 000 iconographies, du dessin aux estampes en passant par des photographies anciennes. Tous ces documents sont conservés sur quatre étages, dans des conditions particulières. "Les fenêtres sont occultées pour éviter la décoloration liée à la lumière naturelle, informe Lucile Haguet, conservatrice chargée du patrimoine. L'hygrométrie est surveillée, les rayonnages suffisamment solides pour accueillir ces milliers d'ouvrages."
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Les premiers fonds de la bibliothèque sont issus des confiscations révolutionnaires. "Ils comprennent donc des ouvrages plus anciens que la ville elle-même", souligne Lucile Haguet, qui rappelle que ces vieilles reliures avaient été mises à l'abri pendant la Seconde Guerre mondiale et furent donc préservées des bombardements. Mais les documents conservés sur les quatorze kilomètres de rayonnage sont parfois beaucoup plus récents. "Les livres ont une certaine durée de vie dans les bibliothèques, mais ont parfois un intérêt à être conservés plus longtemps", informe Dominique Rouet. Catalogues d'expositions du MuMa, romans d'auteurs locaux, ouvrages produits par les entreprises locales ou livres techniques sur le béton ou les industries du territoire font ainsi partie de ces ouvrages "sauvés" par la bibliothèque. "C'est d'autant plus important que les livres contemporains sont publiés en très peu d'exemplaires. Introuvables en librairie au bout de quatre ou cinq ans, ils en deviennent rares", détaille Lucile Haguet, consciente de travailler "pour des siècles et des siècles !"
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Des ressources numérisées consultables en ligne
Depuis 2021, ce travail de conservation se décline sur Internet, avec le site Nutrisco. Cette bibliothèque numérique du patrimoine met à disposition du public près de 15 000 documents numérisés issus des collections du Havre et d'institutions partenaires, dont la Bibliothèque nationale de France. "Un travail considérable de numérisation, selon Dominique Rouet, qui révolutionne aussi la manière de chercher" grâce à la performance du web.
Pratique. Ressources numérisées consultables gratuitement sur le site nutrisco-patrimoine.lehavre.fr
Les 400 Coups : "Plus il y a de propositions, plus les gens lisent"
Depuis le mois d'août 2021, la librairie jeunesse Les 400 Coups complète l'offre existante sur la ville.
Les 400 Coups est la dernière née des librairies havraises. Implantée depuis août 2021 rue Herriot, elle est spécialisée dans la littérature jeunesse. Xavier de Finance est son cofondateur, avec Marie-Alix Dalle.
Pourquoi ouvrir une librairie au Havre ?
Marie-Alix, ancienne prof des écoles, a passé son enfance ici. Moi, je suis originaire de Besançon, et j'avais déjà travaillé dans un commerce culturel. On pensait qu'il manquait une librairie plus petite et spécialisée pour les enfants. Pour nous démarquer, nous proposons ce qui nous plaît vraiment, avec des choix forts, quitte à faire l'impasse sur certains titres.
Après un peu plus d'un an, quel bilan tirez-vous ? Le Havre est-elle une ville
de livres ?
Nous avons la sensation que le public havrais est réceptif, il va à la bibliothèque, connaît certains auteurs, notamment pour les livres illustrés. Je pense par exemple à Marion Bataille, exposée au festival Une Saison Graphique. Les librairies sont aussi un lieu de visite pour la clientèle de passage. Il y a ici une synergie avec les différents acteurs. Nous avons récemment invité l'illustrateur du festival Ad Hoc, en partenariat avec Le Volcan. La Ville est venue vers nous pour nous proposer de participer à Partir en Livre ou Le Goût des Autres.
Quid des bibliothèques ?
Plus il y a des propositions, plus les gens lisent. Elles ne nous font pas concurrence, c'est le contraire, elles nous apportent des lecteurs. Quand on a l'habitude des livres, on aime aussi en avoir pour soi et les offrir.
Le Havre, terre de formation de futurs écrivains
Le master de création littéraire a été lancé en 2016 par l'université et l'Esadhar, l'école d'art du Havre.
Françoise Bourdin, Michel Bussi ou Maylis de Kerangal ont, par le passé, pris Le Havre pour décor. Aujourd'hui, de jeunes auteurs s'y forment, grâce au master de création littéraire, lancé en 2016 par l'université et l'Esadhar, l'école d'art du Havre, ce qui en fait sa particularité. Les quinze étudiants - pour environ 130 candidatures - ont en commun "l'envie d'écrire", note Frédéric Forte, son codirecteur. Mais leur projet littéraire final peu prendre plusieurs aspects : roman, poésie, formes hybrides… "Certains projets sont plus expérimentaux, l'écriture rentre dans un ensemble d'actions que l'étudiant souhaite développer dans le cadre d'une pratique d'artiste contemporain." Ceux qui le souhaitent peuvent d'ailleurs postuler à un diplôme national d'expression plastique, mention création littéraire.
Si ce master "n'est pas une fabrique à écrivains publiés", de plus en plus de diplômés havrais se retrouvent en librairie, à l'image de Shane Haddad, publiée six mois après sa sortie, en 2021. Lors de la dernière rentrée littéraire, ce ne sont pas moins de trois écrivains diplômés en 2021 qui ont été publiés. De quoi renforcer l'image du Havre comme ville littéraire. "Certains diplômés restent y vivre, il se crée une communauté de jeunes gens qui écrivent", souligne Frédéric Forte. Ils s'inspirent aussi de la ville pour écrire, comme Basile Galais, qui dépeint une dystopique "cité portuaire, verre et béton sur sable" dans Les Sables ou Lili Nyssen dans L'Effet Titanic.
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