Le Havre compte un peu plus de 13 000 étudiants, dont environ 20 % de jeunes internationaux. Ils sont nombreux à profiter des vacances de Noël pour retrouver leur pays d'origine.
"Le vin chaud, je suis fan !"
Ce n'est pas le cas d'Esha Modi, inscrite en bachelor économies et sociétés à Sciences Po. Cette étudiante originaire de Guwahati, dans le nord-est de l'Inde, s'apprête à passer Noël en France. "Le vol retour vers ma région d'origine prendrait vingt-quatre heures, et c'est très fatigant, explique-t-elle. Je préfère profiter d'être en Europe pour voir comment Noël est fêté ici." L'an passé, elle avait passé le réveillon avec quelques autres étudiants internationaux, au Havre. Cette année, Esha prévoit de voyager. "Je compte me rendre dans des villes où il y a des gros marchés de Noël, comme Strasbourg ou Paris", poursuit la jeune femme âgée de 20 ans, qui constate que les traditions occidentales s'exportent dans son pays, où 80 % de la population est hindouiste. "Tout le monde imite un peu la culture que l'on voit dans les films de Hollywood, les séries Netflix, etc. Depuis dix ou quinze ans, les écoles, les centres commerciaux et même certains habitants qui ne sont pas chrétiens installent des décorations et arbres de Noël."
Visiter les marchés de Noël
A contrario, Mamiratsoa Ratiaray, elle, vient de Madagascar, où la moitié de la population est chrétienne. "Le 24 décembre, au soir, on organise des concerts à l'église, par tranche d'âge : les petits enfants, les jeunes, les vieux, etc. C'est très festif", détaille cette étudiante en master marketing international à l'université du Havre. Impossible de s'offrir un aller-retour pour les fêtes à Antananarivo, la capitale de l'île africaine. Elle fêtera donc Noël à Angers, où elle rejoindra sa sœur, Ambinintsoa, également étudiante en France. "C'est un peu triste de ne pas pouvoir participer aux célébrations à Madagascar. La seule chose que je puisse faire, c'est d'envoyer quelque chose de France à mes proches", poursuit l'étudiante. Grâce à son job au centre commercial des Docks Vauban, Mamiratsoa peut envoyer quelques cadeaux à sa mère. "Je lui fais plaisir car elle a beaucoup fait pour moi", note l'étudiante, qui précise qu'un euro équivaut à 25 000 francs à Madagascar, où le salaire minimum est récemment passé à 59 € par mois. Elle enverra un colis à sa mère composé de chaussures et d'un sac, pour se faire belle le soir de Noël. Elle profite d'ici là des traditions françaises : "Le vin chaud, je suis fan !"
Seyf Derfoufi, lui, étudie en logistique et transport à l'IUT de Caucriauville. De confession musulmane, il ne célèbre pas Noël et ne rentrera donc pas au Maroc, son pays d'origine, pour ces vacances. Mais il comprend la tristesse que peuvent ressentir certains de ses camarades internationaux coincés au Havre. "Si c'était mon cas pour l'Aïd, ce serait très problématique, explique le jeune homme, dont les parents sont installés près de Rabat. Je suis seul ici toute l'année. Ce genre de réunion de famille a un gros impact le moral."
250 colis distribués aux marins
Le Seamen's Club distribue des petits cadeaux aux marins en escale au Havre.
Pour Noël, l'Association havraise d'accueil des marins (Aham) confectionne 250 colis. Ils sont offerts directement sur le port, à la coupée des navires (la passerelle), sur le quai ou à bord.
Un bonnet de laine
"Nous commençons à travailler sur le contenu des colis dès le mois d'octobre", explique Laëtitia Ziane, coordinatrice de l'association, chargée de trouver des dons. Cette année, les marins retrouveront dans leur colis un ourson en peluche offert par un fabricant de souvenirs, un magnet aux couleurs du Havre, un stylo, un savon, des chocolats offerts par un supermarché et un bonnet de laine. Ce dernier est la pièce maîtresse du colis. "C'est le travail de toute une année mené par une de nos bénévoles, Jill, explique Benoît Sagot, président de l'Aham-Seamen's Club. Beaucoup de marins sont d'origine asiatique. Quand ils arrivent en Europe, l'hiver, ils ont souvent froid. C'est facile de mettre un petit bonnet de laine sous les casques de travail." Le Seamen's club bénéficie également de dons de l'association havraise Educ'Art. De quoi, par exemple, fournir des jeux de société ou accessoires de sport aux bateaux en escale.
Ce sont les bénévoles et salariés du Seamen's Club qui se chargent de la distribution. "Certains équipages prennent un peu de temps, nous offrent le café, se prennent en photo avec les cadeaux. On sent qu'il y a beaucoup de reconnaissance", conclut Benoît Sagot.
Comment les marins en escale fêtent-ils Noël ?
Partis pour six à neuf mois de mer, les marins des nombreux navires qui font escale au Havre fêtent Noël loin de leur famille. Le Seamen's Club leur apporte un peu de réconfort.
Depuis qu'il est marin au long cours, Jessie James Jr Ebreo Bosum, âgé de 43 ans, n'a passé qu'un seul Noël avec sa famille. "Mes contrats durent neuf mois et décembre est toujours compris dedans. Cette année encore, je serai à bord pour les fêtes", indique ce Philippin, dans la chaleur du Seamen's Club du Havre, où les équipages viennent se reposer quelques heures, loin du bateau où ils vivent vingt-quatre heures sur vingt-quatre. "C'est parfois difficile. Quand tu penses à tes proches à Noël, il n'est pas rare d'avoir les larmes qui montent. Mais c'est notre travail", poursuit le marin, entre deux gorgées de bière. Comme lui, ils sont près de 4 000 à avoir profité des services de l'Association havraise d'accueil des marins cette année.
"Noël, c'est Noël. À la fin de
la journée, nous allons dans
notre cabine, pour prier"
Pour ces équipages étrangers, composés de 15 à 25 marins en moyenne, les fêtes passées loin de la famille se suivent mais ne se ressemblent pas toujours. S'ils sont en escale, il n'y a pas de célébration. La priorité est donnée au travail portuaire. "C'est un peu triste. Mais Noël, c'est Noël, informe Ronnie Villegas, un autre Philippin. À la fin de la journée de boulot, nous allons dans notre cabine, pour prier." Si le navire est en pleine mer, l'ambiance est différente. "Ce sont de très bons moments, sourit le marin, surtout si le capitaine est lui aussi Philippin."
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Place, alors, à un repas de fête : le lecchon baboy, un cochon de lait rôti à la broche. "Il faut la tourner manuellement pendant deux à trois heures, pour que le porc croustille à l'extérieur", poursuit Ronnie. Au menu également, le pancit, un plat sauté philippin à base de nouilles de riz fines, censé porter chance. Après le repas, "on danse, on joue de la musique et on fait du karaoké. On s'enregistre et on poste les vidéos sur Facebook, pour nos proches", explique Brian Alvarez, âgé de 30 ans.
Si ce jeune marin a presque toujours connu la connexion internet à bord, ce n'est pas le cas de ses collègues. "Quand j'ai commencé, nous étions obligés d'acheter des cartes téléphoniques dans chaque port, se souvient Ronnie Villegas, de onze ans son aîné. Aujourd'hui, il y a la wifi, tu peux faire des appels en visio pour voir tes enfants, tes parents, ta femme. C'est un peu comme si ta famille était avec toi tous les jours."
Un Noël en Afrique
La famille, à bord, ce sont aussi les collègues. "Nous venons d'Ukraine, des Philippines, mais à bord, il n'y a pas de nationalités, pas de races, affirme Jessie James. On vit ensemble tous les jours, pendant des mois. On est un peu comme des frères, des pères, des fils, ça réconforte."
Cette année, cet équipage philippin sera en Afrique, pour les fêtes. Une destination qu'apprécient ces marins. Ils assurent qu'ils y trouveront le lecchon baboy, pour célébrer la Nativité. À condition d'avoir une météo correcte. "L'année dernière, il y a eu une tempête, remarque Jessie James Jr. Rien ne tenait sur les tables. C'était le pire Noël de ma vie !"
"Nous offrons 250 colis aux marins en escale, l'équivalent de dix bateaux"
Benoît Sagot, président du Seamen's Club du Havre, explique le rôle de son association, en particulier lors des fêtes de fin d'année.
Quel est le rôle de l'Association havraise d'accueil des marins (Seamen's Club) ?
Nous sommes une association laïque, à qui l'État a délégué le rôle d'accueil des marins en escale, aux côtés de deux autres associations, la Mission de la mer (catholique), et la Deutsche Seemannsmission (protestante). Nous assurons les transports entre les navires et nos locaux, où les marins peuvent se reposer, regarder la télé, acheter quelques souvenirs ou produits de première nécessité. D'ailleurs, nous recherchons des chauffeurs qui sachent parler un peu anglais.
Noël est donc un temps fort ?
Pendant les fêtes, les marins peuvent avoir un coup de blues. Ils embarquent pour des contrats de six à neuf mois, parfois prolongés. C'est pourquoi nous leur offrons 250 colis, ce qui équivaut environ à dix bateaux. C'est une surprise, pour eux, car tous les ports ne le font pas. Cela leur permet de réunir tout l'équipage, du mousse au capitaine.
Quel est le quotidien
de ces marins ?
Nous aidons ceux qui n'ont pas de gros moyens. Ils ont parfois des salaires importants pour leur pays, mais qui équivalent à environ 800 euros en France. Ils n'ont pas d'extras, mangent matin, midi et soir à la cantine, avec parfois des cuisiniers qui ne sont pas de leur nationalité. C'est souvent un vrai sacrifice pour eux, ils mettent leur vie entre parenthèses pendant quelques années pour naviguer et ne voient pas leurs enfants grandir. Nous ne faisons pas œuvre de charité, mais plutôt une œuvre sociale.
Des parrainages entre internationaux et Normands ?
S'il n'y a pas de réveillon formalisé dans les résidences universitaires du Havre, plusieurs initiatives égayent la période.
S'il n'existe pas de réveillon de Noël étudiant à proprement parler, plusieurs initiatives sont menées par l'université du Havre ou les grandes écoles. Cette année, le Crous Normandie participe à l'opération "1 bus pour 1 campus", qui va permettre à des étudiants boursiers de partir à La Plagne pour 50 € tout compris. On peut également citer la tournée de porte à porte qui reprendra en janvier dans les résidences universitaires. Au Havre, 1 200 étudiants y sont logés, dont 40 % d'internationaux. "Nous leur offrirons un petit cadeau et présenterons les ateliers des mois à venir", indique Céline Vion, directrice du service culture et vie de campus.
Les années précédentes, un concours de pull de Noël organisé avec Cheers, la Conférence havraise des établissements d'enseignement et de recherche du supérieur, avait peiné à trouver son public. "Ce que l'on aimerait beaucoup mettre en place, c'est un accueil des internationaux chez les étudiants normands, poursuit Céline Vion. Mais on sait que les étudiants s'organisent parfois entre eux", sans la fac ou les écoles. À Sciences Po, où 60 % des 350 étudiants sont internationaux, ce type de parrainage a existé, avant la Covid. "Je suis soucieux qu'ils se sentent bien au Havre, car c'est ma ville", explique Mickaël Hauchecorne, le directeur. Malgré le mois de césure, certains jeunes ne rentrent pas car "cela a déjà été un sacrifice de venir". Certains profitent des "colocations solidaires" : loger sur un autre campus de Sciences Po, chez un étudiant parti pendant les congés d'hiver.
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