Depuis le début du conflit à l'est de l'Europe, environ un millier d'Ukrainiens ont trouvé refuge dans le Calvados, selon les chiffres officiels. Quand ils posent le pied sur le sol normand, la Direction départementale de l'emploi, du travail et des solidarités (DDETS) se fixe l'objectif de "fournir un hébergement d'urgence, de quoi s'alimenter et l'accès aux soins", explique Héloïse Deffobis, directrice adjointe de la DDETS. Ces logements d'urgence gérés par l'association Coallia sont situés à Caen, Vire, Saint-Gabriel-Brécy et Bretteville-sur-Odon. Les Ukrainiens bénéficient en France d'une protection temporaire, leur offrant l'accès au soin et à de faibles revenus pour se nourrir. Mais ils ont besoin d'aide pour s'intégrer et s'émanciper. C'est ici que les associations entrent en jeu. "Travailler avec elles me semble incontournable", poursuit Héloïse Deffobis. "On les aide à faire leurs papiers, on les emmène chez le médecin, on inscrit les enfants à l'école… Le soutien amical est aussi très important", expliquent Yves Laignel et François Lecadot, bénévoles au sein de l'association Revivre. Sa plateforme FAIR, Favoriser l'accueil et l'intégration des réfugiés, met en place des intermédiations locatives.
Aidés par des associations
L'association loue des logements sociaux puis les sous-loue à des familles ukrainiennes, qui bénéficient ensuite d'aides financières. D'autres familles se retrouvent dans une quarantaine d'habitats prêtés par les collectivités, notamment des logements de fonction. Logés, les Ukrainiens doivent ensuite s'intégrer. L'apprentissage de la langue devient un enjeu, difficile quand on ne partage pas le même alphabet. Des associations proposent des cours, avec un délai d'attente assez long car des réfugiés des quatre coins du monde attendent leur tour aussi. La DDETS a mis en place avec Pôle emploi un module réservé aux Ukrainiens axé sur le monde professionnel, qui comprendra un stage en entreprise. "Ils veulent travailler mais ne savent souvent pas comment s'y prendre", témoigne Héloïse Deffobis. La DDETS a d'ailleurs récemment recruté un Ukrainien pour assurer la traduction. Tatiana Dehaye, fondatrice de l'association Les enfants de l'Ukraine, à Mathieu au nord de Caen, se sent "obligée d'aider", alors que Natalya Krasnova pense "être un peu comme une sœur". Tout un système se met en place, entre associations, bénévoles et services de l'État. Tandis que de nouveaux réfugiés arrivent chaque mois, quelques-uns décident de rentrer et beaucoup essayent de s'intégrer du mieux possible.
Mykola Voropayev, marin sur le quai
Mykola Voropayev, marin, était en mer quand le conflit a commencé.Il n'est jamais rentré chez lui et a pris l'avion depuis Singapour pour rejoindre sa famille.
Originaire d'une ville sur les bords de la Mer Noire, Mykola Voropayev est marin. Il loue désormais un appartement à un ami de sa famille à Banville avec sa femme et son fils. Il aimerait devenir matelot à Ouistreham, mais ça coince. "J'ai donné mes documents aux services maritimes du département. Tout était ok, mais comme je ne parle pas la langue, je n'ai pas reçu l'autorisation", déplore-t-il. Alors, il poursuit son apprentissage. Il assiste à 15 heures de cours de français par semaine environ jusqu'à la mi-décembre.
Luiza Balynska, lycéenne à Douvres-la-Délivrande
Fille de Svetlana, Luiza Balynska a 15 ans et est au lycée de Douvres-la-Délivrande.Elle essaie de suivre les cours tant bien que mal, malgré la barrière de la langue.
"L'école ici est mieux qu'en Ukraine", assure Luiza Balynska. Elle ne communique avec ses camarades qu'en anglais pour le moment, éprouvant des difficultés à apprendre le français. Les professeurs du lycée essayent de tout traduire pour faciliter sa compréhension. Pendant les vacances scolaires, elle est partie en Bretagne dans des camps, avec Parole de Vie, une association chrétienne. "Je me fais de nouveaux amis et j'essaye d'améliorer mon français", justifie-t-elle. Luiza a aussi eu l'occasion de visiter Paris. "C'était incroyable !"
Katia Semenova, vendeuse de poissons
Parlant un français parfait, Katia Semenova vient d'être embauchée comme vendeuse. Elle travaille au marché aux poissons de Ouistreham, avec d'autres Ukrainiens.
Ayant l'habitude de venir régulièrement en France, Katia Semenova parlait déjà la langue avant de fuir son pays. "Je voulais aller près de la mer, puisque je viens de Marioupol", explique-t-elle. Se voyant offrir un petit logement à Ouistreham, elle jette son dévolu sur la Normandie. Elle travaille depuis peu sur le marché, vendant fruits de mer et poissons. Sur les réseaux, elle échange avec ses compatriotes et les aide pour la traduction. "C'était difficile au début, les Français sont très gentils, mais les Ukrainiens me manquaient."
Le long chemin de l'intégration
Souvent arrivés en famille, les Ukrainiens du Calvados s'intègrent à leur rythme, en fonction du degré d'aide qu'ils reçoivent. Apprentissage de la langue, recherche d'un logement et d'un emploi, mal du pays, sentiment de solitude… Cinq d'entre eux témoignent à propos de leur séjour normand, qui devrait se poursuivre encore plusieurs mois au moins.
Alina Horkova
a décroché un travail
Maman d'un petit garçon de 7 ans, Alina Horkova a fui la guerre en Ukraine.
Depuis juillet 2022, elle travaille
en tant qu'agent d'entretien.
Alina Horkova est originaire de Kryvyï Rih, une ville industrielle située au cœur de l'Ukraine. À l'heure d'évoquer la guerre dans son pays d'origine, cette femme de 33 ans est toujours sous le choc. "C'était horrible les bombes. Je ne dormais pas bien", dit-elle, très émue. Depuis le 8 mars, date à laquelle elle a fui le pays, elle tente de reconstruire sa vie avec son fils de sept ans. Passée par la Pologne, l'Allemagne et Paris, elle a trouvé refuge en Normandie. Bien aidée par l'association Revivre et la plateforme FAIR, elle a d'abord été hébergée à Bretteville-sur-Odon, avant de s'installer à Trouville-sur-Mer. "On est beaucoup d'Ukrainiens ici. On est bien accueillis par la commune." Pour trouver un travail, cela a été une autre paire de manches. "Pôle emploi ne m'a pas du tout aidée. Il fallait que je parle français." La maman s'est débrouillée seule pour apprendre la langue. C'est grâce au CCAS de la ville qu'elle a réussi à être embauchée en CDD, depuis quatre mois. "Je suis femme de ménage auprès des personnes âgées. Je suis très contente", raconte-t-elle, avec un salaire moyen de 1 000 € par mois.
Son fils est scolarisé dans une école de la commune. "Il commence doucement à s'intégrer. Cela n'a pas été simple. Au départ, il ne comprenait pas." Quant à l'idée de repartir en Ukraine, Alina Horkova est dans le flou. "Je ne sais pas si j'y retournerai un jour."
Svetlana Balynska a le mal du pays
Ici depuis 4 mois, Svetlana Balynska repart en Ukraine quelques jours revoir son mari. Elle attend la fin du conflit avec impatience pour rentrer définitivement chez elle.
Svetlana Balynska a quitté Irpin au début de la guerre. Après trois mois en Pologne, elle arrive en Normandie. "Les gens ici sont très gentils, ils nous ont beaucoup aidés", affirme-t-elle. Elle vient de repartir avec ses deux enfants direction l'Ukraine. Mais seulement pour deux semaines, afin de revoir son mari, qui a l'interdiction, lui, de quitter le pays. En attendant la fin du conflit, elle passera au moins l'hiver dans son nouveau chez elle, à Thue et Mue, "car l'hiver s'annonce difficile en Ukraine, sans chauffage et sans électricité".
Les particuliers moins impliqués qu'au début du conflit
Les particuliers moins impliqués qu'au début du conflit
Au début de la guerre, de nombreux particuliers ont mis à disposition leur logement gratuitement. "Mais c'est difficile d'héberger des gens pendant plusieurs mois", concède Tatiana Dehaye, fondatrice de l'association Les Enfants de l'Ukraine. "La hausse des coûts de l'énergie et le manque à gagner en ne louant pas son logement deviennent un frein", prolonge Maxime Jouanne, de la plateforme FAIR (Favoriser l'accueil et l'intégration des réfugiés). Et si l'arrêt de l'aide par certains est totalement compréhensible, ce dernier déplore que "l'engouement au début du conflit ne soit plus visible. Ce n'est plus à la mode."
Difficile d'accéder à l'indépendance
Trouver un logement devient donc de plus en plus dur. "Je cherche deux appartements pour deux femmes salariées, témoigne Natalya Krasnova, bénévole d'origine kazakh. Mais elles n'ont pas de garants ni un passif de locataire en France." Sans passer par un contact privilégié, l'émancipation des réfugiés se complique. Toutefois, Tatiana Dehaye veut voir le bon côté des choses. "Les Français ont été très généreux, assure-t-elle. Mais c'est maintenant à l'État de prendre le relais." Maxime Jouanne estime, lui, qu'il "y a eu de belles avancées". Grâce à son association, 144 personnes ont quitté les centres d'urgence et trouvé un toit.
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