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[Enquête] Caen. Le street art se cache sous nos yeux, levez la tête !

Peinture,Sculpture. Le street art occupe une place importante dans les rues de Caen. Entre fresques, graffitis et collages, petit tour d'horizon non exhaustif des œuvres présentes sur les murs de l'agglomération.

[Enquête] Caen. Le street art se cache sous nos yeux, levez la tête !
Monsieur Burns, le patron diabolique de la centrale nucléaire de Springfield, dans l'univers des Simpsons, peint par Blesea devant les vestiges de la Société métallurgique de Normandie à Colombelles.

Caen a toujours accueilli une importante scène de street art. Si beaucoup d'artistes ont désormais pignon sur rue et vivent de leur passion, ils n'oublient pas qu'ils ont commencé en peignant sans autorisation. Certains continuent d'ailleurs à le faire. Petit tour d'horizon des œuvres cachées, ou plutôt pas tant que ça, dans l'agglomération caennaise.

Tout graffeur qui se respecte a déjà fait un tour vers la SMN, Société métallurgique de Normandie, à Colombelles. En guise de vestiges, il ne reste qu'un four, mais c'est une zone prisée des artistes. "C'est le lieu emblématique", selon Blesea. Oré, autre graffeur renommé du coin, schématise. "Un site industriel a eu une histoire et une certaine importance, puis ferme. Il devient vite oublié, et les premiers à le réinvestir, ce sont les artistes de rue." Cette définition nous emmène forcément un peu plus loin, sur la Presqu'Île. La zone regorge d'usines désaffectées, terrain de jeu favori des artistes. Des bâtiments sont entièrement repeints par certains, venus taguer leur nom ou alors peindre une fresque plus imposante. "Il faut aller voir derrière le Dôme, dans toutes les rues perpendiculaires", nous propose Oré. Sur la Presqu'Île, cohabitent dessins autorisés et tags plus sauvages. Continuons notre promenade en nous rapprochant de la gare. Si le château d'eau a été repeint par Piotre, sur commande de la Ville, d'autres pans de mur sont investis par les graffeurs du coin, bien déterminés à embellir la ville ou à répandre leur nom.

Et si le street art se retrouvait également de manière plus subtile dans le centre-ville ? À presque chaque coin de rue se cachent des collages. Oré s'est notamment fait connaître avec ses Quetzalcóatl, une divinité issue des croyances d'Amérique centrale. On en dénombre toujours une trentaine. Oré, encore lui, est allé peindre un poisson sous le viaduc de la Cavée. Une sacrée mission. "J'ai traversé l'Orne à la nage, avec une petite bouée pour apporter mes bombes", raconte-t-il. Histoire de boucler la boucle, Sane2 nous conseille "d'emprunter la voie verte de Colombelles, où des artistes renouvellent régulièrement le paysage". Cependant, l'artiste déplore la diminution de spots disponibles pour faire vivre son art tranquillement. D'ailleurs, les grands projets de la collectivité pour la Presqu'Île pourraient emporter avec eux un pan très important de la culture urbaine caennaise. Selon Oré, déjà 80 % de ses œuvres ont disparu au fil du temps. "C'est l'essence même du street art. L'environnement urbain évolue, les ravalements de façades se font, et mes œuvres vivent au rythme de la ville."

Le street art ne se cache pas tellement

Partout dans l'agglomération caennaise, le street art n'est pas si caché que ça. Il suffit d'aller au bon endroit, ou parfois de simplement lever la tête. Zoom sur quelques lieux que vous pourrez découvrir.

La conception du poisson peint par Oré est une sacrée aventure, puisqu'il a dû rejoindre le mur jusqu'à la nage, protégeant ses bombes avec un radeau de fortune. Comme beaucoup de graffeurs, il aime "investir les lieux un peu laissés à l'abandon, dont on ne s'occupe pas trop".

Le poisson peint par Oré sous le viaduc de la Cavée.Le poisson peint par Oré sous le viaduc de la Cavée.

Oré s'est fait connaître avec ses collages de Quetzalcóatl, une divinité issue des croyances d'Amérique centrale. Si vous prêtez attention en vous promenant dans le centre-ville de Caen, vous croiserez régulièrement ce drôle de serpent à plumes au coin des rues. Attention, il change souvent de couleur.

Le Quetzalcóatl d'Oré dans la rue Écuyère.Le Quetzalcóatl d'Oré dans la rue Écuyère.

Les murs de la Presqu'Île de Caen sont couverts de tags en tous genres. Certains viennent laisser libre cours à leur créativité, tandis que d'autres souhaitent surtout répandre leur nom le plus possible. C'est un mélange de couleurs et de messages qui investissent ce territoire caennais en devenir.

Un mur tagué sur la Presqu'Île de Caen.Un mur tagué sur la Presqu'Île de Caen.

À la recherche de l'endroit et du moment parfait

Caen. À la recherche de l'endroit et du moment parfait
La Presqu'Île de Caen est le terrain d'expression favori des artistes de rue.

Les graffeurs sont constamment à la recherche de nouveaux murs pour déverser leurs litres de peinture.

"On est passés de vandales attardés à artistes branchés." C'est par ces mots qu'Oré, graffeur caennais, décrit l'évolution de l'image du street art auprès du grand public. "J'ai déjà vu la police se prendre en photo devant mes fresques", s'amuse Blesea. Mais pour la plupart, ils restent dans l'illégalité en peignant sans autorisation.

Un terrain vague, une usine désaffectée… ils ont tous commencé quelque part où ils ne seraient pas inquiétés. "On va dans un endroit qui est déjà peint, qui est squatté, on sait qu'on va être tranquilles", explique Blesea. Comme la plupart de ses confrères, il a commencé par du simple lettrage. "Je mesure les risques avant de peindre, il faut faire preuve de bon sens, assure-t-il. Mais je ne me cache pas, je poste tout sur les réseaux ensuite, donc si la police me cherche, elle peut venir me trouver." 

Si Blesea n'a jamais eu de problèmes avec les forces de l'ordre, ce n'est pas le cas de tous les graffeurs. Certains jouent un peu au jeu du chat et de la souris, s'amusant d'avoir un coup d'avance sur la police. "Une fois, on a vu la BAC [brigade anticriminalité] arriver au pied du viaduc de Calix. On s'est cachés pendant près d'une heure, en attendant que les policiers partent", sourit un tagueur.

Des précautions importantes

Tous ne sont pas dans une démarche d'embellissement des murs. "Le tag, à la base, c'est écrire son nom pour le faire connaître, pour obtenir de la notoriété", explique Sane2, expert sur l'histoire du street art. "Certains taguent leur nom à des endroits bien visibles et toujours plus insolites, pour que les autres soient épatés." Afin que ce vandalisme assumé soit effectué en toute sécurité, les tagueurs doivent effectuer leur repérage. "On cherche les endroits abandonnés, on force les portes, on vérifie qu'il n'y ait pas de caméra aux alentours", nous glisse l'un d'eux, qui s'est déjà retrouvé dans un bâtiment équipé d'un détecteur de mouvements. Et en ce qui concerne les tags sur les grands axes routiers, "c'est une véritable mission ! On essaye de faire ça la nuit, si possible quand les routes sont fermées ou en travaux".

L'art du graffiti n'a toujours pas bonne presse auprès du grand public. Si les grandes fresques sont applaudies, le tag fait grincer. "On considère le graffiti comme du vandalisme, or la publicité, c'est la même chose. C'est de la pollution visuelle, mais on ne la remet pas en question", s'insurge Oré. L'artiste regrette que la Ville de Caen ne garantisse pas un certain équilibre entre fresques décoratives autorisées et les dessins plus "sauvages", qu'elle cherche à effacer. Mais que ce soit pour faire connaître leur nom ou bien pour montrer leurs talents à de futurs clients, tous se servent à leur façon des rues de l'agglomération caennaise comme de la meilleure des vitrines.

Qu'en pense la Ville de Caen ?

Caen. Qu'en pense la Ville de Caen ?
Un mur tagué sur la Presqu'Île de Caen.

Si elle est de concert avec certains artistes pour qu'ils effectuent des fresques sur les murs, la Ville de Caen doit aussi composer avec le tag sauvage.

"Tout ce qui est visible de l'espace public, même s'il s'agit d'une façade privée, doit être effacé", rappelle Ludwig Willaume, adjoint au maire de Caen. Mais il ne vous aura pas échappé que plusieurs fresques ou collages sont présents dans la ville depuis des années, et sont mêmes partagées sur les réseaux. "C'est assez subjectif, mais une certaine tolérance peut être appliquée si ce n'est pas abusif, sans message injurieux ou politique, et qu'il y a une démarche artistique", poursuit l'adjoint au maire. Cela dépend aussi également du lieu. Un tag sur la Presqu'Île, espace moins fréquenté, n'est pas aussi dérangeant qu'un coup de peinture en plein centre-ville. D'ailleurs, la majorité des œuvres de la Presqu'Île sont amenées à disparaître, et une vraie question se posera alors quant à la préservation de certaines fresques, tant elles ont marqué les esprits et sont appréciées.

Une équipe anti-graffiti

La Ville de Caen dépense chaque année un million d'euros pour éradiquer les incivilités. Une équipe de dégraffiteurs travaille à temps plein pour asperger les murs au karcher ou passer un nouveau coup de peinture. Ce sont d'ailleurs les habitants qui signalent qu'un mur doit être nettoyé. Si la mairie ne reçoit pas l'alerte, alors le graffiti ou la fresque peut survivre dans le temps.

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