"C'est extraordinaire et exceptionnel de découvrir des vestiges d'une telle qualité dans un espace si restreint", s'enthousiasme Anne Hoyau-Berry, archéologue à l'Institut national de recherches archéologiques préventives (INRAP).
Peau burinée par le soleil et pantalon beige de chantier, cette archéologue travaille depuis le 16 août sur l'un des trois sites de fouilles déployés au bord de la Loire. Submergées par les eaux une grande partie de l'année, l'île Coton, l'île Poulas et l'île aux Moines sont devenues le théâtre de découvertes inédites.
Près de l'île Coton, une dizaine d'épaves de bateaux des XVIIème et XVIIIème siècles, dans un état de conservation exemplaire, viennent d'être exhumées. Fait rare et notable, ces embarcations, qui portent des traces d'usure, ont été sciemment remplies de pierres et installées sur le flanc, pour créer deux enrochements de plus de 40 mètres de long.
"La première hypothèse, c'est qu'il s'agissait de digues permettant de protéger la pointe de l'île Coton", explique Mme Hoyau-Berry. "Mais la découverte d'un troisième enrochement perpendiculaire nous fait pencher vers l'aménagement d'un port ou une volonté d'acheminer de l'eau à cet endroit précis".
Ces barges à fond plat sont caractéristiques des bateaux de charge de l'époque qui transportaient des matières premières (bois, pierres, ardoises, sable), du sel ou du vin.
Longs d'environ 14 mètres, ils sont déblayés pierre après pierre par les archéologues à pied d'œuvre, qui doivent à la fois pomper l'eau remontant du sol et arroser le bois pour éviter qu'il ne se détériore en séchant.
"C'est un travail de fourmi physiquement difficile, reconnaît l'archéologue. Mais la sécheresse de l'été nous a permis de travailler dans de bonnes conditions".
Et c'est désormais une "course contre-la-montre avant le retour de l'eau" qui s'engage pour les scientifiques, commente Denis Fillon, délégué à la direction de l'INRAP dans les Pays-de-la-Loire et responsable scientifique des sites. Le chantier prendra fin en octobre avec l'arrivée des crues.
"Comme une autoroute"
Plusieurs échantillons de bois (sans doute du chêne) ont été prélevés pour définir les essences utilisées, les forêts dont elles proviennent et même le chantier naval d'origine des bateaux.
"Ils sont tellement bien conservés que l'on peut encore observer les traces des outils de façonnage", reprend Anne Hoyau-Berry. Dans les prochains jours, les archéologues effectueront des fouilles subaquatiques pour regarder de plus près les fondations des enrochements.
En amont, sur l'île Poulas, ce sont trois pêcheries fixes du XIIème siècle, faites de pierres et de pieux en bois, qui ont été découvertes. Disposées en "W", elles servaient à capturer les poissons qui remontent le courant (saumons) comme ceux qui le redescendent (anguilles).
Appartenant aux seigneurs et ecclésiastiques locaux, elles permettaient de respecter les quelques 150 "jours maigres" par an imposés par l'Église à l'époque. Des traces d'accueil de moulins-bateaux ont également été mises au jour, signe de la densité des activités fluviales.
"Il faut imaginer la Loire à cette époque comme une autoroute, où l'on pêchait et transportait des marchandises", décrit Denis Fillon. "On est loin de l'image du fleuve sauvage!".
Ces chantiers archéologiques mobilisant 33 scientifiques, au budget de 1,6 million d'euros, interviennent dans le cadre d'un vaste programme de rééquilibrage du lit de la Loire conduit par Voies navigables de France (VNF), entre Les Ponts-de-Cé et Nantes. Les travaux prévus par VNF devraient démarrer l'année prochaine.
"L'objectif est de redonner une dynamique plus naturelle au fleuve qui a été très aménagé aux XIXème et XXème siècles", explique Séverine Gagnol, cheffe de l'unité Loire chez VNF.
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