C'était le 24 février. La Russie commençait son invasion de l'Ukraine, mettant très vite sur les routes des millions de réfugiés. Quelques jours plus tard, les premiers arrivaient en France et dans l'agglomération de Rouen, en pensant souvent que leur accueil ne durerait que quelques jours, quelques semaines, peut-être. Le temps d'un retour au calme, qui n'arrive pas. Quatre mois après, passée l'urgence, la question de l'avenir se pose. "En général, elles veulent repartir", explique Nicolas Plantrou, président de l'association Solidarité Ukraine Normandie, qui a organisé à Rouen une partie de l'accueil des réfugiés en familles. Repartir pour retrouver un mari, un frère, de la famille restée sur place. Dans un cours de français de l'association, au sein de Neoma qui met à disposition des salles de classe, les Ukrainiennes, souvent mères de famille, sont unanimes. L'accueil a été très bon, les démarches rapides, les aides sont tombées, les enfants ont été scolarisés. Et maintenant ? Olga prend la parole, par l'intermédiaire de son application de traduction sur son smartphone. "Notre pays nous manque beaucoup, on veut y retourner", indique-t-elle. Avec les aides et l'argent envoyé par son mari, elle va pouvoir louer son propre appartement pour elle et ses enfants, dès le mois de juillet, sa famille d'accueil s'étant portée garante. Tetiana, arrivée avec sa fille étudiante de 19 ans, est, elle, installée à Darnétal. Face à la situation, elle s'imagine trouver un emploi à l'automne, lorsqu'elle maîtrisera davantage le français. Même si elle a hâte de rentrer. La possibilité pour sa fille de poursuivre des études en France la tiraille. "Les gens doivent prendre des décisions, sortir de leur position d'attente", confirme Dominique Piermé, un citoyen très engagé, avec son épouse Polina, dans l'accueil des réfugiés et la coordination d'un réseau de familles accueillantes, sur les plateaux est. "L'hébergement citoyen ne peut pas durer éternellement." Certaines familles d'accueil, après plusieurs mois, souhaitent effectivement se désengager.
"Nous sommes devenus
très déprimés"
Ce problème, Anastisiia, arrivée d'Odessa en février avec sa fille et son fils, ne l'a pas. Elle a été accueillie par sa sœur Alla, qui tient le restaurant russe de la rue Cauchoise, à Rouen. Le dilemme reste le même malgré tout. "À Odessa, c'est très dangereux en ce moment", explique-t-elle. Psychologue de profession, elle est très lucide sur ce qu'elle est en train de vivre. "Nous sommes devenus très déprimés", indique-t-elle, face à l'attente. En mai, elle est retournée en Ukraine voir avec ses enfants son mari et son fils aîné restés sur place. "Ils ont changé, et nous aussi", dit-elle, évoquant "un traumatisme pour la vie". Si elle souhaite prochainement regagner Odessa, elle envisage de laisser sa fille Yuliia de 16 ans à sa sœur, pour qu'elle puisse poursuivre ses études. Scolarisée au lycée Jeanne-d'Arc, elle pourrait potentiellement passer le bac l'an prochain. À chaque réfugié, une situation unique, mais aussi ce point commun : une incertitude déconcertante sur l'avenir proche.
L'université lance un DU pour les réfugiés
L'université de Rouen Normandie a renforcé son dispositif d'aide à destination des étudiants et personnes réfugiés.
À sa manière, l'université de Rouen Normandie aussi s'est engagée pour les réfugiés qui arrivent d'Ukraine. Depuis le 16 mai dernier, la Maison des langues propose à tous les étudiants et enseignants-chercheurs exilés un nouveau diplôme universitaire, le DU Passerelle à destination des personnes exilées (DU PEX). Il est exonéré de tous frais d'inscription et permet à ses bénéficiaires d'être suivis, notamment pour l'apprentissage du français. Ces derniers peuvent également prendre part à des ateliers culturels et sportifs et profiter d'un système de parrainage par des étudiants issus de leur composante de destination.
L'objectif est de permettre à ces réfugiés de se reconstruire et de les aider dans la poursuite de leurs études à l'université Rouen Normandie. Au mois de mai, 15 étudiants ukrainiens et deux enseignants-chercheurs bénéficiaient de ce dispositif. Dès la prochaine rentrée universitaire, il doit être élargi. "Les étudiants demandeurs d'asile et réfugiés, sans restriction d'aire géographique, pourront déposer un dossier auprès de la Maison des langues pour intégrer une nouvelle session du DU PEX", précise l'université.
"Pause" pour les chercheurs
L'université propose aussi depuis 2017 un Programme d'aide à l'accueil en urgence des scientifiques en exil (Pause) pour soutenir les chercheurs originaires de pays où la situation politique met leurs travaux et leurs familles en danger. Cinq chercheuses ukrainiennes ont été accueillies dans ce cadre au sein des laboratoires de l'université.
S'installer, face à l'enlisement du conflit
Si la plupart des réfugiés sont impatients de retourner en Ukraine, d'autres se projettent en France, ayant bien compris que leur vie là-bas ne serait probablement jamais comme avant.
À seulement 19 ans, Sofiia Persan, originaire de Marioupol, a la tête bien sur les épaules. Dans un anglais parfait et, par moments, un français très prometteur, la jeune femme raconte son parcours, qui l'a amenée de Kiev jusqu'à l'université de Rouen Normandie. À la fin du moins de mars, elle quitte Kiev avec une partie de ses proches, rejoindre de la famille dans le nord de l'Allemagne. Elle étudiait les langues et la littérature. "Je voulais être en France parce que j'étudie le français depuis plusieurs années", indique-t-elle. Son université avait des relations avec l'Université de Rouen Normandie et lui a proposé de s'y rendre.
"Des fois, je me demande
s'il reste une place pour
l'Ukraine dans le monde"
C'est ainsi qu'elle a intégré, en mai, le DU PEX, nouvellement créé à l'université pour les réfugiés ukrainiens (lire par ailleurs). "Je suis très contente d'être ici", explique-t-elle, tout sourire à la sortie d'un cours de français. Sofiia a pu bénéficier d'une bourse, les frais d'inscriptions sont pris en charge, tout comme son logement étudiant. Comme pour les autres réfugiés, l'office français de l'immigration lui a aussi fourni une carte de paiement sur laquelle est versé de l'argent chaque mois. Douée pour les études, Sofiia Persan ne projette pas de retourner en Ukraine de sitôt, craignant que plus rien ne soit jamais comme avant. "Des fois, je me demande s'il reste une place pour l'Ukraine dans le monde", souffle la jeune femme. Sans certitude, elle envisage de poursuivre ses études dans une université française pour un Master en langues, pourquoi pas à Rouen. D'un âge plus mûr, Olga Assaf ne voulait pas quitter son pays et son logement de Kiev. "On pensait que ce serait très court", explique-t-elle à propos du conflit. Mais quand les bombes sont tombées tout près de chez elle, elle a pris la route avec une amie, jusqu'à rejoindre Paris. "On n'a pas choisi où on allait, on nous a dit Saint-Étienne-du-Rouvray", indique-t-elle dans un français très fluide. Olga est d'abord hébergée dans une petite chambre d'hôtel avec son amie avant d'être transférée, au moins jusqu'en septembre, dans un logement étudiant de Darnétal. Et cette Ukrainienne n'est pas du genre à ne rien faire. Elle anime des ateliers d'art pour les enfants de l'école Pottier, prépare ses projets au centre culturel Simone-Veil. Elle a aussi réalisé une série d'œuvres sur Rouen, dont un tableau qu'elle a présenté, grâce à un responsable associatif, directement au maire, Nicolas Mayer-Rossignol. "Je lui ai dit que je voulais travailler et il a envoyé mon CV un peu partout dans le monde de l'éducation", explique-t-elle. En septembre, Olga devrait donner des cours d'arts plastiques au collège Camille-Claudel, et se voit bien s'installer durablement à Rouen. "Je ne vois aucune perspective en Ukraine. Tout le système est déchiré, il n'y a pas de travail." Un gâchis total pour cette femme, à moitié russe par sa mère, déchirée par ce conflit, et qui refuse de parler politique. "Ce qui se passe, ce n'est pas notre jeu. Je ne veux pas de cette guerre, je ne la comprends pas."
Une entreprise rouennaise développe un imagier pour les mots basiques
L'entreprise rouennaise Le Perroquet bleu a développé un imagier sonore qui permet la traduction et l'écoute de mots simples entre le français et l'ukrainien.
Au moment de l'invasion de l'Ukraine par la Russie au mois de février, Franck Dubois, responsable du Perroquet bleu, se pose comme beaucoup cette question. "Qu'est-ce qu'on peut faire ?" À cette époque, il travaille déjà sur une série de petits livres digitaux, baptisés Le Perroquet, initiée pendant le confinement sur le principe des imagiers traditionnels. Objectif, faire découvrir des mots d'autres langues aux enfants, "avec la possibilité de voir le dessin, le mot écrit dans les deux langues et de pouvoir l'entendre dans les deux langues en appuyant sur l'écran". Ces versions, disponibles sur Apple et Android, étaient lancées pour l'anglais, le portugais, l'espagnol. "On s'est dit, il y a des enfants ukrainiens qui arrivent dans les écoles, faisons une déclinaison ukrainienne." De quoi offrir un support aux enseignants ou aux familles d'accueil. Franck Dubois, par l'intermédiaire d'une stagiaire, fait alors la rencontre d'une étudiante, Christina Butchynsky, française d'origine ukrainienne et qui parle ukrainien. C'est elle qui a pu enregistrer les mots dans les deux langues avec la bonne prononciation.
Bientôt 100 mots
Contrairement aux autres exemplaires, le Perroquet dans sa version français - ukrainien est entièrement gratuit, et disponible uniquement en ligne au format epub. Une mise à jour pour passer à 100 mots dans cet imagier doit être développée dans le courant de cet été.
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