Le projet est très ambitieux. 900 hectares de fruits, de légumes, entourant la métropole, une ceinture maraîchère où l'urbain rencontre le milieu rural autour d'une volonté commune, consommer local et consommer bio. Pour mener à bien son Projet Alimentaire de Territoire, la métropole de Rouen a fait appel à la Ceinture Verte, un groupe coopératif qui fournit des terres maraîchères clés en main autour des grandes villes de France.
La Ceinture Verte propose des terrains agricoles pour des installations de maraîchage biologique de petite taille : deux hectares avec un système d'irrigation complet, une serre de 1 500 m2 et un bâtiment d'exploitation de 100 m2. "Les villes se rendent compte qu'elles sont très peu capables d'alimenter leur population en produits frais et en circuit court", explique le directeur régional Normandie de la Ceinture Verte, Éric Ducoudray.
L'objectif de la ceinture maraîchère est de relocaliser 10 % de la consommation en légumes des habitants de la métropole de Rouen en achetant ou louant des terrains plus grands et les diviser pour installer plusieurs maraîchers regroupés dans une coopérative. "Ce ne sera pas simple, reconnaît Éric Ducoudray, mais il y a une bonne volonté de la part des élus de la métropole." Sauf que même avec toute la bonne volonté des acteurs du projet, la Ceinture Verte, "n'a pas encore identifié un foncier à Rouen".
Jusqu'à 15 000 euros de l'hectare dans la métropole
La métropole de Rouen sollicite tous les acteurs du milieu rural pour développer le projet. Ils sont unanimes. Il n'y a pas assez de terres agricoles pour atteindre l'objectif des 900 hectares de maraîchage. À ce jour, les prix des terres peuvent atteindre les 15 000 euros par hectare selon la qualité de sols, explique Stéphane Hamon, le directeur général de la Safer de Normandie, en charge du marché du foncier rural. Au-delà du prix, "il n'y a pas beaucoup de ventes qui s'opèrent".
La ceinture verte sera difficile à boucler
La Ceinture Verte doit donc trouver des terres au sein de la métropole de Rouen et dans ses environs pour les mettre à disposition de porteurs de projets de maraîchage viables. Atteindre cet objectif pourrait se faire uniquement sur le long terme : on parle de décennies avant de prétendre à cette ceinture maraîchère selon les professionnels du secteur. "Des agriculteurs vont partir à la retraite dans les 10 ans à venir", constate Lou Crevel, animatrice de l'association Terre de Liens Normandie. Un observatoire foncier en lien avec la Safer et la métropole est en place pour avoir une meilleure visibilité du marché, soumis à la spéculation, indique l'animatrice. Après ce travail fastidieux, encore faut-il "avoir le bon profil, pour la bonne terre, au bon moment et au bon prix". Autre difficulté pour trouver du foncier rural à Rouen, la géographie. "La partie ouest de la métropole est un espace forestier, ça limite le développement agricole", conclut Stéphane Hamon de la Safer de Normandie.
Les habitants invités à participer à la ceinture maraîchère
La ceinture maraîchère de 900 hectares autour de la métropole de Rouen s'inscrit dans le cadre du Projet alimentaire de territoire de la collectivité, avec la volonté de relocaliser la consommation de fruits et de légumes.
Pour relocaliser une partie de la production et de la consommation de fruits et légumes, la métropole de Rouen veut s'appuyer directement sur sa population en lui proposant d'adhérer au projet de la ceinture maraîchère. "C'est aussi au consommateur d'agir", explique Yves Soret, en charge des circuits courts et de l'alimentation à la métropole de Rouen. La collectivité a lancé une concertation publique pour trouver des maraîchers intéressés par une future installation - une dizaine de projets sont à l'étude - et informer des habitants de la création d'une SCIC de la ceinture verte locale, une Société coopérative d'intérêt collectif qui devrait naître au mois de septembre.
100 euros la part de société
La métropole de Rouen pose 100 000 euros sur la table pour sa création. Les habitants de la métropole, eux, peuvent acheter des parts de la coopérative à 100 euros minimum, une somme qui pourrait être revue à la baisse prochainement, "pour que tout le monde, même dans les quartiers défavorisés, s'intéresse à cette problématique de l'alimentation locale", indique Yves Soret. L'objectif à atteindre pour ce financement participatif de la population serait de l'ordre de 50 000 à 70 000 euros. Quant à l'installation des premiers maraîchers au printemps prochain, aucun bail rural n'a encore été signé selon la Ceinture verte, mais Yves Soret assure qu'une première ferme de la ceinture maraîchère verra le jour en 2023.
Un beau projet au long cours que certains maraîchers ne veulent pas rejoindre. Depuis cinq ans, Maxime Lhoir veut se lancer dans le maraîchage urbain, mais n'a pas encore trouvé de terrain. Voulant rester indépendant, il fait face à de plus gros exploitants et ne veut pas rejoindre la coopérative de la Ceinture verte.
"Ce sont des investisseurs, des prometteurs qui prendront le contrôle des terres pour faire de l'argent", peste le futur maraîcher. Cet habitant de la métropole espère que d'autres appels à projet comme celui de Bois-Guillaume (lire par ailleurs) se mettront en place dans les communes proches chez lui. En attendant de trouver sa terre, Maxime Lhoir a été obligé de mettre son projet entre parenthèses. Il est aujourd'hui salarié dans une start-up de dépollution des sols.
En duo, ils lancent une ferme urbaine
Installé depuis quelques mois à Bois-Guillaume, un duo de jeunes agriculteurs transforme une prairie de quelques hectares en maraichage biologique.
Sur plus de trois hectares de terres, ils ont semé leurs premiers légumes : poireaux, courges, oignons et bientôt des tomates pour espérer une première récolte dans le courant de l'été.
À 32 et 28 ans, Orlane Bréant et Hugo Lecomte se sont installés sur une prairie de Bois-Guillaume, jouxtant des habitations, pour créer leur ferme urbaine de maraîchage biologique. Elle est née il y a quatre mois à la suite d'un appel à projets de la mairie.
"On met à disposition les terres mais après, c'est à eux de faire vivre cette exploitation", explique Philippe-Emmanuel Caillé, premier adjoint au maire de Bois-Guillaume en charge de la transition écologique. La ville a investi près de 50 000 euros dans la ferme urbaine pour "redonner à des terres leur vocation agricole et rapprocher les habitants de producteurs." Pour 800 euros par an, le duo de jeunes maraîchers peut exploiter ces terres. "La mairie nous fait payer le bail rural minimum. Il aurait été impossible financièrement de s'installer ici sans l'appel à projets", racontent les deux maraîchers.
Récolter vite ce que l'on sème
Le terrain agricole est déjà raccordé à l'eau et bientôt à l'électricité. La mairie a aussi mis à disposition deux bâtiments en préfabriqué. L'installation prend forme au fur et à mesure. Le duo de maraîchers vient d'ailleurs de monter la serre. Elle a résisté, par chance, aux intempéries du début du mois du juin, particulièrement violentes. Les agriculteurs ont l'ambition d'ouvrir leur ferme aux habitants pour de la vente directe à la rentrée. "Il faut assurer !", lance Hugo Lecomte. Les agriculteurs ont chiffré leur investissement dans cette ferme urbaine à 100 000 euros. Plus de la moitié de leur enveloppe globale est financée par des aides diverses provenant de l'État, des collectivités et d'organismes du milieu agricole.
Celle provenant du Fonds européen agricole, la dotation jeune agriculteur (DJA) représente à elle seule 48 000 euros d'investissement sous condition : "On touche 80 % cette aide, si on valide notre plan financier dans trois ans, on touchera les 20 % restants", détaille Hugo Lecomte. La dotation de jeunes agriculteurs est "salutaire", reconnaît sa collègue. D'autant plus salutaire que le duo fait partie des NIMA, les non issus du monde agricole. Tous les deux sont en reconversion professionnelle. Orlane était ingénieure, Hugo était dans l'informatique. Une fois leur BTS agricole en poche, l'appel à projets de la mairie de Bois-Guillaume a été une aubaine pour eux. Maintenant, il faut des résultats. La première récolte est prévue cet été et l'ouverture à la vente directe est programmée pour la rentrée de septembre. "Le travail de maraîchers, c'est 60 heures par semaine", compte Orlane. Cette ferme urbaine peut s'inscrire dans le projet voulu par la métropole de Rouen mais "on l'a fait avant le projet de ceinture maraîchère", précise Philippe-Emmanuel Caillé, qui souhaiterait qu'une partie de la réserve foncière de la commune destinée au départ à l'urbanisation - presque 50 hectares entre la rocade et l'hôtel de Ville - soit "préservée pour l'agriculture". "On a déjà 0,3 % du projet. Sur 900 hectares, c'est déjà pas mal", s'amusent les jeunes maraîchers.
"900 hectares, ce n'est pas un objectif en soi, c'est un effet d'annonce"
Interview de Stéphane Hamon, le directeur général de la Safer de Normandie, la société d'aménagement foncier et d'établissement rural.
Stéphane Hamon est le directeur général de la Safer de Normandie. La société d'aménagement foncier et d'établissement rural dans la région régularise le marché des terres agricoles. Et dans l'agglomération de Rouen, il est difficile de trouver des terres.
Quelle est la situation du foncier rural autour de la métropole ?
Le marché est tendu. Il n'y a pas beaucoup de ventes qui s'opèrent. Dans la partie nord-est de l'agglomération, les prix varient entre 10 000 euros à 13 000 euros l'hectare avec une grande variété de sols.
La Safer dispose-t-elle de terrains agricoles pouvant s'inscrire dans la démarche de la ceinture verte ?
La ceinture verte existe déjà, les maraîchers aussi. L'agriculture est très présente sur la partie est de l'agglomération. Qu'il y ait la volonté politique de programme de maraîchage, pourquoi pas, mais où sont les maraîchers qu'on prétend vouloir installer et a-t-on les consommateurs en face ?
Est-il réellement possible de créer
cette ceinture verte ?
La métropole de Rouen a un espace boisé et forestier sur la partie ouest. Cela limite le développement agricole. La Safer dispose de 2 000 hectares de foncier en Seine-Maritime mais peu dans l'agglomération. 900 hectares, dans la métropole de Rouen, ce n'est pas un objectif en soi, c'est un effet d'annonce. On peut imaginer des installations en-dehors de l'agglomération, il faut avoir une vision du territoire plus large.
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