"Toutes les zones basses littorales proches du niveau de la mer sont menacées par ces phénomènes de submersion dès lors qu'il n'y a pas de plages ou de dunes assez larges pour les protéger. Tous ces espaces sont potentiellement envahissables par les eaux", tient à rappeler Stéphane Costa, professeur de géographie à l'Université de Caen et coprésident du Giec (Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat) normand. La submersion marine est un sujet sur lequel travaille ce spécialiste depuis les années 90. "Ce n'est pas un phénomène nouveau et ça risque de s'accentuer avec l'élévation du niveau des mers induite par le réchauffement climatique. À l'échelle nationale, c'est presque un million de personnes menacées."
Un plan pour prévenir les risques
"Beaucoup de projections du GIEC international indiquent que le niveau de la mer serait supérieur d'un mètre en 2100", souligne le spécialiste. Un phénomène parmi d'autres qui va impacter les aléas littoraux déjà existants comme "l'aléa de submersion, l'érosion, les inondations par débordement de cours d'eau et par remontées de nappes phréatiques", ajoute la Direction Départementale des territoires et des mers. Aujourd'hui, le Plan de prévention multirisque de la basse vallée de l'Orne, établi par l'État en concertation avec les collectivités, délimite les zones exposées aux risques, dont la submersion marine ou les inondations, et détermine les mesures de prévention, comme la possibilité de construire ou non sur ces territoires. 23 communes sont concernées dans le Calvados parmi lesquelles Caen, Colombelles, Hérouville-Saint-Clair, Mondeville, Ouistreham, Hermanville ou Bernières-sur-Mer. "L'élévation du niveau des mers n'impactera pas que le littoral puisque cette élévation du niveau de la mer va bloquer les écoulements des fleuves et donc produire des débordements dans les terres qui risquent d'être plus importants", explique Stéphane Costa.
Le Plan de prévention mentionne différentes zones classées par couleur en fonction "du risque potentiel selon l'interprétation de l'Etat et selon aussi la concentration d'activités humaines", explique Romain Bail, maire de Ouistreham et vice-président du Littoral à Caen la mer. Les zones au niveau du Quai Charcot ou de la plage de Riva-Bella sont par exemple classées "rouge", c'est-à-dire inconstructible. "Les espaces les plus susceptibles d'être touchés sont le front de mer mais pas avant une vingtaine d'années et les berges du canal si elles devenaient friables", ajoute le maire.
La commune de Ouistreham, qui a travaillé à des plans sur 20, 50 et 100 ans, prévoit que d'ici à 50 ans, "une bonne grosse moitié de la ville sera concernée par un risque de submersion" dû à l'élévation du niveau de la mer. Dans les terres aussi, les risques sont à prendre au sérieux.
La ville de Caen, par exemple, présente différentes zones ciblées par le plan de prévention. La presqu'île est un endroit "qui effectivement peut être soumis à ces risques", précise Nicolas Escach, maire adjoint à la ville durable. "L'urbanisation est modifiée par ces prévisions-là. Par exemple, on ne va pas construire en sous-sol."
Des impacts pour les habitants et entreprises
Les risques de submersion marine ont un impact sur les habitations et les entreprises.
Mi-mai, l'Insee a publié une étude sur le risque de submersion marine en Normandie et les enjeux socio-économiques. "Il apparaît que 12 % des zones concernées par l'aléa de submersion marine concentrent plus de la moitié des logements et de la population exposés de la région." Dans cette étude, le découpage des zones est réalisé avec des carreaux de différentes couleurs en fonction de l'importance des aléas et des enjeux. "Par exemple, pour la première classe, en bleu, les enjeux sont faibles avec une dizaine de logements et d'habitant par carreau", précise Sylvain Comte, chef de la division étude et conseils auprès des services de l'État à la direction régionale de l'Insee de Normandie.
"200 logements sont concernés"
À Caen, où les carreaux sont davantage concentrés au niveau du port et du canal et de l'Orne, "on a essentiellement des carreaux bleus et jaunes qui signifient que le risque de submersion existe mais que c'est plus à moyen-long terme. En revanche, avec l'élévation du niveau de la mer, toutes ces zones vont connaître des risques de submersion plus fréquents." Dans le secteur Côte de Nacre et Côte Fleurie, d'après une étude de 2020, "l'ensemble des personnes concernées par le risque de submersion est de presque 38 000 dont près de 20 000 dès maintenant." A Ouistreham, "200 logements sont concernés, dans la bande de précaution au niveau du Quai Charcot", explique Romain Bail, le maire qui s'appuie sur le Plan de Prévention. "À l'échelle des 50 ans, sur l'ensemble de la ville, on est plutôt sur 3 500 à 4 000 logements sur 6 000".
Parmi les habitations situées dans la zone de précaution, celle de Ghislaine Bec. Elle est d'ailleurs présidente de l'association ADPO, l'association de Défense du quartier du Port de Ouistreham. "Nous avons conscience des impacts du réchauffement climatique et ne remettons pas en cause le Plan de prévention mais en ce qui concerne notre zone, on considère que le danger n'est pas là. Nous ne sommes pas en front de mer." En raison de cette classification, les habitants ne peuvent plus construire ou "changer des clôtures" comme ils le souhaitent. Du côté des prix, "les agents immobiliers annonçaient moins 40 % sur les maisons avant la Covid".
D'après le cabinet Callendar, spécialisé dans l'évaluation des risques climatiques, le marché immobilier en Normandie est particulièrement vulnérable en raison de la montée des eaux. Selon le cabinet, la valeur totale de ces biens situés dans des zones présentant des risques représente cinq milliards d'euros dont 416 millions à Caen. Dans les entreprises concernées par les risques de submersion, on retrouve par exemple Renault Trucks ou Agrial "et les entreprises qui se trouvent entre Ouistreham et Caen le long de la presqu'île", précise Romain Bail. Sur la presqu'île de Caen, les entreprises ont conscience des risques : "J'ai déjà eu de l'eau jusqu'au genou mais depuis la construction du déversoir du Maresquier, on n'a plus eu de problèmes", confie Stéphanie Hamel, la gérante de Dep 14, entreprise de dépannage.
Les mesures prises pour limiter les risques
Les collectivités s'organisent pour limiter les risques de submersion et anticiper l'avenir.
La projection est un des points majeurs de la lutte contre les risques de submersion. "On fait des scénarios sur 20, 50, 100 ans dans le cadre du programme Notre littoral pour demain, on travaille pour les générations futures", explique Romain Bail, maire de Ouistreham et vice-président de Caen la mer en charge du littoral. Un programme auquel "participe activement" Pierre Schmidt, le maire d'Hermanville.
Après la théorie, place à la pratique : "La première étape a été de réagir rapidement avec le confortement des ouvrages : réparation des digues, reprise des épis en bois,..", ajoute Romain Bail. 1,5 million d'euros par an pendant trois ans sont investis par la Communauté urbaine sur ces sujets. Une des solutions est aussi de créer des espaces tampons grâce à la nature. Exemple avec la pointe du siège à Ouistreham "qui était un espace constructible. C'est quelque chose qui n'est plus souhaitable et plus possible." Le sable a un rôle tampon très important aussi. "D'où l'intérêt que l'on aura de réélargir certaines plages pour absorber les vagues." La GEMAPI, gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations, est une compétence qui revient en partie à Caen la mer et qui concerne l'eau de manière générale, dont les moyens de défense contre les inondations littorales. "On se pose la question d'une taxe GEMAPI qui aurait vocation à être utilisée pour ces sujets." Enfin, "il y a des interrogations : dans quelle mesure on devra déménager des activités économiques et des logements ?"
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