Ce constat, inquiétant, émane des responsables locaux de la police et de la gendarmerie, de la Justice et de la préfecture. “Depuis deux ans et demi, le nombre de saisies s’accroît, confie le commissaire Philippe Ménard, directeur du service régional de police judiciaire (SRPJ). Si nous réalisons encore de gros coups, le poids moyen des saisies a tendance à diminuer grâce à la pression exercée par la police, la gendarmerie et les douanes”. Résultat : le trafic s’intensifie mais se disperse, devient complexe à juguler.
Economie souterraine ?
Et c’est bien l’héroïne qui s’impose. Même si le cannabis reste très présent, la drogue made in Afghanistan fait un retour en force à la suite de la diminution mondiale de son prix : la loi de l’offre et de la demande appliquée à la poudre. La cocaïne serait moins présente et les drogues de synthèse presque inexistantes.
Si les revendeurs de haschich se fournissent au Maroc, c’est en Hollande et en Belgique que les trafiquants partent s’approvisionner en héroïne. Avec l’A28 comme axe royal, Rouen est “idéalement” située, devenant de fait une plateforme directe de redistribution de la drogue du Bénélux. En janvier 2010, à titre d’exemple, 13 kg d’héroïne furent ainsi saisis à Franqueville-Saint-Pierre. En décembre de la même année, dans un quartier pavillonnaire de Sotteville, la police mettait la main sur 30 kg de produits de coupe (nécessaires pour fabriquer la drogue) et "un arsenal militaire, dont des kalachnikovs", relate Philippe Ménard. Plus récemment, en mai 2011, c’est un réseau réparti entre Saint-Etienne-du-Rouvray, Canteleu, Sotteville et Rouen qui tombait après un an d’enquête.
Des saisies qui ne sont que la partie visible d’un iceberg insaisissable, une économie souterraine complexe nourrissant, voire déstabilisant, certaines cités de l’agglomération : le Château Blanc, les Hauts-de-Rouen, Oissel, Elbeuf... "On est loin des règlements de compte à la marseillaise, mais des tensions entre bandes existent", souligne le directeur du SRPJ. Loin du cliché de la mafia et du parrain, le trafic s’organise en multiples ramifications : des guetteurs ou petits revendeurs des rues aux commanditaires, parfois adeptes des achats groupés, en passant par les "nourrices" stockant la drogue chez eux, aux "seconds couteaux" qui se chargent du transport. Parallèlement, des "amateurs se professionnalisent et revendent une partie de la drogue achetée pour payer leur consommation et se faire un peu d’argent", note Christian Dreux, procureur de la République-adjoint à Rouen.
Rouen diffuse mais fait aussi office d’aimant : les prix de la drogue qui y sont pratiqués sont 20 à 25 % inférieurs à ceux connus dans d’autres régions, affirment les autorités. On y vient de Basse-Normandie, de la Sarthe, parfois même de Bretagne, pour y faire ses "courses".
Thomas Blachère
Drogue : "Il faut casser les croyances populaires"
Dans la région, la lutte contre les stupéfiants a été décrétée priorité majeure. En 2008, un service spécialisé en la matière a ainsi vu le jour au parquet de Rouen. “Il y a une réponse pénale pour chaque échelon du trafic”, rappelle Hervé Vlamynck, le substitut du procureur en charge de ce service. “Il faut casser certaines croyances populaires. Le trafic regroupe les notions d’importation, exportation, transport, acquisition, détention, offre ou cession, et emploi”.
Les peines encourues vont du rappel à la loi, à la prison à perpétuité, en passant par l’obligation de soins. “Tout le volet sur les stupéfiants est intégré dans la lutte contre la criminalité organisée”. Les petits consommateurs ne sont donc pas épargnés. “Nous ne relâchons pas notre pression sur eux. Tout est lié”, estime le commissaire Bellini, chef de la Sûreté départementale. Ce n’est pas seulement pour faire du chiffre : les consommateurs peuvent nous permettre de remonter des trafics importants”.
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Quelques repères...
Saisies. En 2010, l’héroïne représentait plus de 50 % des saisies effectuées par la police judiciaire dans l’agglomération rouennaise. Rouen en est la plaque normande.
Cités. S’ils n’ont pas le monopole du trafic, certains quartiers sensibles restent au cœur du marché local. “Dans les cités, les trafiquants se sentent protégés”, affirme la police.
Chiffres. Les autorités évoquent une recrudescence des affaires de stupéfiants. Mais ces hausses s’expliquent aussi par l’intensification de l’action de la police et la justice.
Prix. Le prix de l’héroïne, produite à 85 % en Afghanistan, a été divisée par 10 en dix ans. Une hausse de la production, liée au contexte géo-politique, explique ce phénomène.
Photo SRPJ de Rouen
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