C'est une imposante pièce métallique vert et or, qui vient tout juste de trouver sa place au sein du musée maritime et portuaire du Havre. "Quand elle est arrivée début mai, on a ressenti une immense satisfaction", se réjouit Didier Raux, président de l'association qui anime ce musée situé dans le hangar 1, près du terminal croisière. Un espace partagé avec quatre autres associations : Mémoire & Patrimoine, Paquebots & Marine Marchande, Remorqueur USST 488 et Hirondelle de la Manche - Marie Fernand.
Des passeurs d'histoire
Si cette machine à vapeur est exceptionnelle, c'est parce qu'elle est la dernière du genre en France. Un moteur à triple expansion autrefois monté sur L'Ondée, un bâtiment de la Marine nationale construit en 1935 au Havre. Confiée au musée par l'association Amerami, la pièce a nécessité plusieurs années de restauration grâce au concours d'entreprises locales, dont Fouré Lagadec. Le grand-père de Gilles Fournier, ancien P.-D.G. de la société de chaudronnerie, avait lui-même participé à sa construction.
Cette pièce rare s'ajoute à la riche collection déjà accumulée par l'association. Cloche des ouvriers portuaires, cheminée du paquebot La Savoie, lentille de Fresnel du bateau-feu, lettres du paquebot France… Sans oublier la passerelle d'embarquement du Normandie, datant de 1934. Comme souvent, le hasard a bien fait les choses. "Tout est parti d'un coup de téléphone, il y a quarante ans. On nous a proposé de la récupérer. Le bon réflexe a été de dire oui." Taguée, corrodée, sans hublot… Stockée en l'état pendant plusieurs décennies, la passerelle a finalement pu, elle aussi, être ramenée à la vie grâce au mécénat. Elle est désormais la pièce maîtresse du musée maritime et portuaire, qui vient tout juste d'obtenir le statut d'établissement recevant du public, qui va lui permettre d'ouvrir plus souvent aux curieux dans les prochaines semaines. Une concrétisation pour ces passionnés, qui ont sauvé de nombreuses archives maritimes des poubelles et ont, au fil du temps, étoffé leur collection avec des dons de particuliers et des maquettes de qualité muséale. "À une époque, le hangar était un peu un bric-à-brac. Aujourd'hui, nous avons établi un parcours de visite beaucoup plus cohérent, qui traite du voyage transatlantique, relate Didier Raux. Nous sommes des passeurs d'histoire." Le hangar 1 n'est cependant qu'un écrin provisoire. D'ici 2025, il sera démoli, dans le cadre du réaménagement complet de la pointe de Floride. L'occasion de céder la place à un grand musée maritime, à l'image d'Escal'Atlantic à Saint-Nazaire ? La question se pose depuis des décennies, au Havre. "Avoir un lieu pour exposer les objets des différentes associations, ce serait une magnifique idée. Mais on entrerait dans une autre dimension. C'est une décision politique", tranche le président. La Ville, forte des kilomètres d'archives conservés chez French Lines & Compagnies, y réfléchit. Une dizaine d'associations locales sont régulièrement consultées à ce sujet, à travers un comité de patrimoine.
Musée ou centre d'interprétation, comment valoriser le patrimoine maritime ?
Contrairement à Saint-Nazaire, Dunkerque ou Cherbourg, la Ville du Havre ne possède pas encore de grand musée consacré à la mer. Elle dispose pourtant d'un patrimoine unique et très riche, notamment sur les voyages transatlantiques.
D'ici 2025, Le Havre aura un terminal croisière flambant neuf. Il remplacera les hangars vieillissants actuels, voués à la démolition. "L'objectif est aussi de libérer la pointe de Floride pour y installer quelque chose. Un équipement public, une œuvre d'art monumentale…", détaillait devant la presse Jean-Baptiste Gastinne, président du club croisières, fin avril. De là à imaginer qu'un grand espace dédié à la mer puisse enfin voir le jour à cet endroit, il n'y a qu'un pas.
"Quel que soit le lieu, il devra être emblématique des activités portuaires et bien visible depuis la mer et la terre. L'équivalent du MuMa sur le plan maritime", suggère Thierry Delarue, président des Amis de French Lines. Cette association a vu le jour en 2018, pour appuyer l'Établissement public de coopération culturelle (EPCC) French Lines & Compagnies, chargé de conserver et de valoriser les archives des grandes compagnies maritimes françaises. Ses membres, des passionnés de la mer, ont impulsé la création de l'EPCC, pour assurer notamment la sécurité juridique de ces collections, dont ils avaient jusqu'alors la charge.
Un centre d'interprétation
Uniformes, argenterie, meubles, mais aussi rapports de voyage, listes de passagers, plans, devis d'armement… "Le patrimoine conservé ici est unique au monde et dépasse largement le cadre de la ville du Havre", rappelle Thierry Delarue, pour qui un futur lieu d'exposition devrait donc être à caractère national. "On peut imaginer une coopération avec le Musée national de la Marine ou des acteurs privés, pourquoi pas de grandes entreprises, comme au musée portuaire de Dunkerque", poursuit le président, néanmoins conscient qu'un tel projet mobilisera "un financement considérable. C'est l'objet d'une mandature, a minima". L'association continue aujourd'hui d'acquérir des objets, notamment issus de compagnies maritimes privées, pour enrichir les collections de l'EPCC. Plutôt qu'un musée, Les Amis de French Lines plaident pour la création d'un centre de référence sur la marine marchande, "où l'on pourrait avoir des interactions avec les acteurs maritimes d'aujourd'hui". Valoriser les métiers passés et actuels, c'est un angle qu'approuve également Didier Raux, président de l'Association du musée maritime et portuaire du Havre. "Sur la place du Havre, comme à Dunkerque, Rouen ou Bordeaux, il y avait à une époque autant de manutentionnaires, de négociants et consignataires qu'il y avait de compagnies maritimes. Delmas, Chargeurs Réunis, Louis Martin, Denis Frères… Tous ceux qui y ont travaillé se retrouveraient dans cette histoire."
L'enjeu est aussi de conserver la mémoire. L'association francilienne Passerelle de Mémoire a récemment collecté une soixantaine de témoignages autour du paquebot France, qui serviront de base à un documentaire. "C'est intéressant, mais cela ne représente qu'une petite partie de l'histoire maritime, note Thierry Delarue. Le patrimoine, ce n'est pas que des objets mais avant tout des hommes et femmes qui ont contribué à sa création. Ce sont les métiers d'hier et d'aujourd'hui. Il faut aussi une part de rêve pour la jeune génération. Ceci est aujourd'hui en grande partie gommé, faute de lieu pour le valoriser."
"Faire le lien entre l'histoire maritime et le port d'aujourd'hui"
La valorisation du patrimoine maritime et portuaire est un travail à long terme, explique Fabienne Delafosse, adjointe au maire du Havre en charge de la culture.
Quel avenir pour le patrimoine maritime ?
"Il n'y a pas encore, à ce stade, de projet spécifique. La Ville et la Région Normandie ont créé, en 2018, un Établissement public de coopération culturelle (EPCC) pour éviter le démantèlement des collections de l'association French Lines et pouvoir les conserver au Havre. En parallèle, des associations sont propriétaires de petits bouts de collections, sur différentes thématiques maritimes. Nous avons demandé à l'EPCC de les réunir au sein d'un comité pour commencer à échanger sur la manière dont on pourrait travailler ensemble."
Il existe déjà des musées maritimes en France. Le Havre a-t-elle une carte à jouer ?
"Il y a une vraie envie, à la fois pour des enjeux touristiques et mémoriels. Mais nous ne voulons pas construire un lieu sans savoir ce que l'on va y raconter. Est-ce que ce sera un musée ? Un centre de recherche ? La Région et la Ville ont mandaté un cabinet pour développer une stratégie et examiner, au regard de ce dont on dispose, par quel biais on pourrait, à terme, avoir un lieu qui traite de cette thématique. Notre volonté est de faire le lien entre l'histoire maritime et portuaire et celle qui se poursuit aujourd'hui avec les croisières, les métiers du port… Il faut trouver la bonne manière de valoriser le patrimoine et ne pas faire une redite de ce qui existe déjà."
Peut-on espérer du nouveau d'ici dix ans ?
"L'étude stratégique devrait prendre environ six mois. Le classement des archives s'achèvera en 2023. La création d'un lieu sera sans doute à plus long terme, mais la validation d'un principe et de ce que l'on veut montrer devrait être plus rapide."
Cherbourg, Dunkerque, Saint-Nazaire…
Quelques exemples de musées consacrés à l'histoire maritime qui existent déjà en France.
La France compte déjà de nombreux musées consacrés à la mer, à commencer par le Musée national de la Marine, dont le siège est basé à Paris. Établissement public placé sous la tutelle du ministère des Armées, il possède des antennes à Brest, Toulon, Rochefort et Port-Louis et un centre de conservation à Dugny. Ses collections sont principalement consacrées à l'histoire navale et militaire.
Île-de-France, Normandie, France… La grande histoire des paquebots transatlantiques est évoquée à Saint-Nazaire, au centre d'interprétation Escal'Atlantique. À travers 200 objets de collection, il plonge les visiteurs dans l'ambiance de ces navires construits dans le port ligérien.
À Dunkerque, dans le Nord, le musée portuaire est implanté dans un ancien entrepôt de tabac. Né à l'initiative de dockers en 1992, il retrace quatre siècles d'histoire maritime. La visite est complétée par celle d'un trois-mâts, un bateau-feu et une péniche.
Le port-musée de Douarnenez, dans le Finistère, présente des milliers d'objets, mais surtout plus de 280 bateaux de toutes formes, de toutes tailles et de toutes origines.
Enfin, en Normandie, la Cité de la Mer de Cherbourg est célèbre pour présenter le plus grand sous-marin visitable au monde, Le Redoutable (photo). Depuis 2012, elle propose aussi un pavillon permanent consacré au Titanic, et plus globalement à l'émigration vers les Amériques.
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