Sur une tranche de pain, dans une tasse de lait ou en vinaigrette, le miel fait partie de notre quotidien. On estime qu'une cuillère à café équivaut au travail de douze abeilles sur toute leur vie. Entre 2010 et 2020, le nombre d'apiculteurs (professionnels ou non) en France est passé de 41 836 à 71 581 selon la Fédération nationale du réseau de développement apicole. Cette augmentation paraît rassurante, mais la surexploitation des abeilles nuit à leur propre santé.
Quelque 700 apiculteurs dans l'Orne
Depuis plusieurs décennies, un déclin préoccupant des insectes pollinisateurs sauvages est observé, associé à des pertes croissantes de colonies d'abeilles mellifères. "Différents facteurs viennent influencer leur survie et leur développement", alerte le ministère de la Transition énergétique. Maladies, prédateurs, parasites, pesticides, changement climatique, activités humaines, gestion et exploitation des territoires… La liste est longue.
Le département de l'Orne compte environ 700 apiculteurs, dont une dizaine seulement sont des professionnels. Obtenir ce statut est un véritable chemin de croix. Mike Vivien a 25 ans, il est passionné par les abeilles depuis son adolescence. Pendant plus de dix ans, il a emmagasiné un maximum de connaissances avant d'en faire son métier.
L'augmentation du nombre
de ruches peut être néfaste pour
la survie de certaines abeilles
Lorsque les ruches sont installées trop proches les unes des autres, des croisements se font entre les différentes espèces. L'augmentation de leur nombre peut donc être néfaste pour la survie de certaines abeilles. L'Apis mellifera mellifera, plus communément appelée l'abeille noire, en est la principale victime. Raymond Daman, vice-président du Centre d'étude technique apicole "abeille noire de l'Orne", se bat pour leur conservation.
Transmettre le savoir de l'apiculture, c'est la principale devise de l'Union apicole ornaise. Fondé il y a une vingtaine d'années, l'organisme gère des "Ruchers école". Une dizaine de formateurs administrent des cours pour les débutants. Une "nécessité", selon Eric Lecocq, l'un des enseignants. La formation donnée par l'établissement est étalée sur trois ans. La première année est basée sur la théorie, la deuxième davantage sur la pratique, la dernière est plus poussée pour se perfectionner.
La formation des apiculteurs, même amateurs, est d'une grande importance. "Dans les années 1980, on pouvait mettre des ruches dans son jardin et les laisser seules. Aujourd'hui, ce n'est plus pareil", explique Eric Lecocq. Seules, les ruches ne survivent plus correctement. Au fil des années, elles sont devenues vulnérables. Vulnérables face aux pesticides, aux parasites et au manque d'expérience de certains apiculteurs. "On ne met pas des colonies n'importe où", alerte Raymond Daman.
Il faut choisir la bonne place, celle où les abeilles auront assez d'espace pour vivre correctement. Et ainsi nous faire vibrer.
"Au fil du temps, l'abeille noire perd ses qualités de pollinisatrice et disparaît"
Malgré une facilité d'adaptation et des traces remontant à des millions d'années, l'abeille noire est aujourd'hui menacée. Rencontre avec Raymond Daman, vice-président du Centre d'étude technique apicole "abeille noire de l'Orne".
Sous-espèce de l'abeille domestique européenne, l'abeille noire est vieille de plusieurs millions d'années. Présente dans le monde entier, c'est elle qui s'est le mieux adaptée aux différents environnements. Pourtant, elle est en voie de disparition. Entretien avec Raymond Daman, vice-président du Centre d'étude technique apicole "abeille noire de l'Orne".
Malgré ses atouts, pourquoi
l'abeille noire disparaît-elle ?
Depuis plusieurs années, il y a une mode où les entreprises et les particuliers achètent des ruches - majoritairement avec des abeilles jaunes - parce que c'est sympa, ça fait bien… Mais ils ne s'imaginent pas qu'elles nécessitent un suivi. On ne met pas des colonies n'importe où. En moyenne, les abeilles se déplacent dans un rayon de trois kilomètres autour de leur ruche. Le fait qu'elles soient installées en grande quantité et partout fait que les abeilles noires rencontrent d'autres espèces. Le résultat se caractérise par un métissage (croisement) et, au fil du temps, l'abeille noire perd ses qualités de pollinisatrice et disparaît.
Quelle est votre mission ?
Notre but est d'avoir de la génétique d'abeille noire dans les décennies à venir. Le conservatoire est un espace où l'on essaie de les garder aussi pures que possible. Il y a neuf conservatoires en France, le nôtre est installé à la Maison du Parc régional du Perche. Il faut donc rencontrer les apiculteurs dans ces zones pour les sensibiliser à cette espèce. Le problème est qu'il n'y a aucune juridiction pour ces espaces. On doit batailler seuls.
Les menaces pèsent sur les abeilles
Les abeilles subissent de nombreuses attaques qui les mettent en péril.
Ailes déployées, antennes fonctionnelles, les abeilles volent de fleurs en fleurs avant de rejoindre leur ruche. Pourtant, leur radar, comprenez sens de l'orientation, est brouillé par plusieurs attaques extérieures. Réchauffement climatique, pesticides et autres frelons asiatiques sont autant d'éléments extérieurs qui mettent en péril ces insectes à miel.
Bien qu'à peine plus gros qu'elles, le frelon asiatique sème la terreur dans les ruches. Les abeilles, stressées et perturbées par ce prédateur, luttent pour protéger leur habitat. L'accumulation de frelons nuit aux "faibles" colonies en allant "les piller", explique Maxime Letissier, coordinateur du plan de lutte au Groupement de défense sanitaire de l'Orne.
Les néonicotinoïdes de retour
Certains les surnomment les "tueurs d'abeilles". Pourtant, le Conseil d'État a validé l'autorisation des néonicotinoïdes pour les cultures de betteraves sucrières le 25 février dernier. Le juge des référés a estimé que "le risque d'une nouvelle infestation massive par des pucerons porteurs des maladies de la betterave au printemps 2022 est sérieux".
Gérard Corvée, président de l'Union apicole ornaise, se veut néanmoins vigilant quant à leur utilisation. "Ils [les néonicotinoïdes] désorientent les abeilles qui, par conséquent, meurent du fait de ne pas avoir retrouvé leur ruche."
Suivre des cours d'apiculture, un moyen d'éviter de faire des "bêtises"
L'Union apicole ornaise gère plusieurs "Ruchers école". Les 110 étudiants inscrits cette année suivent des cours pour acquérir des connaissances en apiculture.
"Approchez-vous, on va pouvoir commencer", lance Gérard Vesque, vice-président des "Ruchers école", à la vingtaine d'hommes et de femmes autour de lui. Tenue de protection zippée et fumoir en mains, le septuagénaire donne un cours d'apiculture à ses élèves. Ils n'ont pas l'âge de lycéens, tous sont dans la vie active, voire à la retraite. Ces écoles pour apiculteurs sont gérées par l'Union apicole ornaise. Cette année, 110 étudiants sont inscrits.
"Je pensais à tort qu'on
pouvait avoir des abeilles
sans trop s'en occuper"
Lundi 16 mai, Gérard Vesque, Éric Lecocq, Patrick Olivier et Jean-Jacques Chardon encadrent les élèves en leur apprenant les bons gestes. Le Rucher école de La Dultière, près de Sées, en compte 39. Lors du point de situation effectué avant chaque cours, Gérard Vesque prend soin de demander si certains d'entre eux ont des éléments à faire remonter au sujet de leur élevage personnel. En général, les débutants présents ont une ou deux ruches dans leur jardin. Il en profite également pour rappeler leur rôle : "Sans votre travail, les abeilles ne seraient plus là." Un discours partagé par Carole Fernez, 50 ans. L'élève s'est inscrite au Rucher école après la perte d'une colonie causée par manque d'expérience. "Je pensais à tort qu'on pouvait avoir des abeilles sans trop s'en occuper", confie-t-elle aujourd'hui. Passionnée d'apiculture depuis des années, elle a décidé de se lancer dans le domaine une fois l'acquisition d'un espace extérieur suffisant obtenu. Elle fait partie de ceux qui ont réussi à s'arranger avec leur employeur pour assister aux cours. À 58 ans, Éric Lecocq, l'un des formateurs, n'est pas surpris par la perte d'abeilles fréquente qu'a subie Carole Fernez. "Dans les années 1980, on pouvait mettre des ruches dans son jardin et les laisser seules. Aujourd'hui, ce n'est plus pareil." Les apiculteurs doivent s'assurer que les abeilles se portent bien, vérifier que les colonies ne sont pas infectées par le Varroa - ce dernier peut injecter le virus des ailes déformées -, multiplier les essaims pour assurer leur survie si nécessaire.
Piqué par l'apiculture
Formés en petits groupes, les élèves vérifient un à un l'état des ruches présentes sur le site. Malgré les gants imposants, les formateurs en profitent pour répertorier, avec un stylo, les anomalies détectées sur une feuille de notes. Didier Chauveau, 57 ans, ne manie pas de stylo, mais les cadres des ruches où se trouvent le miel et les abeilles. Malheureusement pour lui, ses gants ne sont pas assez épais. Il se fait piquer à une main. "J'ai une peur bleue des abeilles", confie celui qui a le courage de les approcher au plus près. Didier Chauveau suit cette formation pour accompagner sa femme. "Elle est passionnée par l'apiculture, je vais sans doute finir par être piqué dans le bon sens", plaisante-t-il. En participant à ces cours, lui et sa compagne espèrent ne "pas faire de bêtises". Chez eux, ils ont deux ruches mais ils comptent bientôt passer à quatre. "C'est le plaisir de récolter son miel à la maison", résume Didier.
Les frelons asiatiques, une menace majeure
Les nids de frelons asiatiques font leur retour dans le département. Et cela inquiète les apiculteurs. Les services du Département de l'Orne et plusieurs communes proposent une aide financière pour la destruction des nids signalés sur le territoire.
Le frelon asiatique est arrivé en France en 2004. Depuis, il est la hantise des apiculteurs. Cet insecte est réputé pour être destructeur des abeilles et autres pollinisateurs.
Maxime Letissier, coordinateur au plan de lutte du Groupement de défense sanitaire de l'Orne, estime qu'il est difficile de mesurer l'impact réel des frelons asiatiques sur les abeilles. "Il y a l'impact direct qui fait que les frelons vont venir prendre des abeilles à l'entrée de la ruche pour aller nourrir leurs larves et donc les amener dans leur nid pour les ingérer. Cette prise directe diminue leur nombre. Mais l'impact le plus fort débute vers la fin de l'été, quand les colonies de frelons asiatiques sont très développées, avec beaucoup d'individus. Ils vont faire une pression tellement importante que les abeilles ne vont pas sortir de leur ruche. Si elles ne sortent pas, elles n'accumulent pas de réserves pour l'hiver. C'est une des principales raisons qui peut augmenter la mortalité." Au mois de mai et juin, les frelons asiatiques commencent à se faire remarquer. Même si leurs nids sont encore de petite taille, il est important d'agir correctement. En 2021, 431 nids ont été détruits dans le cadre du plan de lutte départemental.
Pratique. Les services du Département de l'Orne et plusieurs communes proposent une aide financière pour la destruction des nids signalés sur le territoire. Appelez le 02 33 80 38 22 pour déclarer la présence d'un nid.
"Pour être un apiculteur professionnel avisé, il faut passer par la case amateur"
Produire, mettre en pot et vendre. En apparence simple, le travail du miel à une échelle professionnelle s'avère pourtant complexe.
Médecin, neuf ans d'études. Ingénieur, cinq. Agent immobilier, deux. Apiculteur, dix ans d'apprentissage "à droite à gauche". Âgé d'une vingtaine d'années, Mike Vivien a travaillé une décennie auprès des abeilles avant de se professionnaliser. Installé à Saint-Pierre-d'Entremont, près de Flers, le passionné de métal sait combien il est difficile de confectionner du miel. Le département de l'Orne compte environ 600 apiculteurs amateurs, contre une dizaine de professionnels. Un écart abyssal peu surprenant, qui s'explique par la complexité à se lancer dans le secteur. Temps, investissements économiques, réchauffement climatique… De nombreux facteurs mettent en péril la pérennité du métier.
Un apprentissage particulier
À 25 ans, Mike considère les abeilles comme ses filles. S'il perd une ruche, une partie de lui s'en va avec. "Ce sont des êtres vivants, il faut les connaître pour travailler avec." La profession d'apiculteur impose une rigueur cartésienne. Entretien des cadres, connaissance de l'écosystème, surveillance de la santé des insectes… Pour être considéré comme professionnel, Mike doit posséder plus de 200 colonies, un chiffre qu'il compte atteindre prochainement. En moyenne, chacune d'entre elles accueille 50 000 abeilles. "Il faut garder un œil sur elles", confie celui qui a acheté sa première ruche à l'âge de 13 ans. Officiellement, il n'existe pas de diplôme d'apiculture, hormis le brevet professionnel "responsable agricole option apiculture". Le plus important, selon Mike, est de faire ses armes chez différents apiculteurs lors de stages. "Pour être un apiculteur professionnel avisé, il faut passer par la case amateur."
Un budget conséquent
Un des freins au métier d'apiculteur est son coût. La professionnalisation nécessite une importante trésorerie. Achat des ruches (environ 200 euros l'unité), des abeilles, des machines de production en inox, d'un local "assez grand pour pouvoir espacer les colonies". Selon Mike, un professionnel pourrait en moyenne "débourser 250 000 euros pour avoir du matériel et des locaux fonctionnels".
En France, le pourcentage d'apiculteurs professionnels représentait 3,9 % des producteurs de miel en 2019. L'organisme Agreste, marque des publications du Service de la statistique et de la prospective du ministère de l'Agriculture, recense environ 1 000 000 de ruches en production sur le sol français en 2020. Un nombre "trop important, qui entraîne le métissage de différentes espèces", alerte Mike. Un croisement qui est la principale cause de disparition des élevages constitués d'abeilles noires.
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L apis mellifora mellifora est l'abeille brune la noire c "est l'apis mellifora negra.