C'est l'histoire d'une vie à l'abandon, l'histoire d'une misère sans nom faite d'une profonde solitude et d'un traumatisme dont on ne connaît pas grand-chose. L'année dernière, en novembre, Michel, 57 ans, passionné de théâtre et d'alpinisme, a été retrouvé sans vie chez lui dans son petit appartement de la rue des Maillots Sarrazins, en centre-ville de Rouen.
Sa mort est naturelle. Sans doute une crise cardiaque ou un AVC, ont conclu les services de secours qui ont retrouvé son cadavre plusieurs semaines après son décès. Et quand sa sœur Sylvie Delaye, jeune retraitée de l'enseignement, a pu récupérer la clef de son logement après son inhumation, ce qu'elle a découvert a dépassé l'entendement. "La police d'Elbeuf m'avait prévenue : vous risquez d'être surprise."
Chez lui, Sylvie, a été en effet très surprise, mais surtout effarée : comment son frère avait-il pu vivre dans un tel "merdier" ? Il accumulait tout, ne jetait rien, sauf les déchets alimentaires, vivait dans "une vraie décharge", raconte Sylvie. Il y en avait partout, jusqu'à plus d'un mètre cinquante de haut : des objets de toutes sortes, de vieux ordinateurs, des vêtements entassés, des fils de fer, des outils, des lampes de poche, des caisses… dont il ne s'était jamais séparé. "Une petite sente courait du canapé au placard-garde-manger. La cuisine et la salle de bain étaient inutilisables, emplies d'une odeur prégnante de crasse. Comment qualifier cet endroit ? Sordide ! C'est ce que j'en ai retenu."
"Si nous avions su… Pourquoi les soignants ont-ils gardé le secret ?"
Michel n'ouvrait jamais sa porte aux autres, pas même à sa propre famille. Il vivait reclus en proie à de régulières crises d'angoisse. C'est en récupérant son dossier médical que sa sœur s'est rendu compte de l'étendue des dégâts. Le syndrome de Diogène appartient à la famille des troubles obsessionnels compulsifs. Ceux qui en sont atteints ne jettent rien, gardent tout. C'était le cas de Michel depuis dix ans.
Les soignants qui le suivaient en hôpital de jour étaient au courant, mais n'ont rien dit. "La famille n'en a jamais eu vent. Qu'aurions-nous pu envisager si nous avions su ? Aurions-nous réussi, avec le temps, à le convaincre de rendre son lieu de vie plus fonctionnel ? L'équipe soignante l'encourageait en ce sens. Est-ce humainement correct de laisser une personne malade vivre dans ces conditions ? Quelles sont les limites du secret médical dans ce type de situation ? Je m'interroge", poursuit sa sœur.
Michel s'est peu à peu retiré dans son monde. "Je lui demandais souvent s'il avait besoin que je vienne l'aider, mais il me faisait toujours la même réponse : 'je n'ai besoin de rien'. Il disait parfois qu'il avait du mal à jeter les choses, mais de là à imaginer tout cela… Il nous disait toujours : 'chez moi, c'est un peu spécial', pour nous dire qu'il ne souhaitait recevoir personne. Je respectais ce choix."
Enfant, Michel était ce qu'on appelle un surdoué : ancien élève diplômé de l'École centrale de Paris, il avait suivi Math Spé et Math Sup au lycée Corneille à Rouen. Tout s'est déréglé ensuite. Reconnu handicapé, Michel n'a jamais travaillé mais suivait régulièrement des cours de théâtre amateur à Rouen. "C'est le seul endroit où il se sentait bien."
Sylvie nous a envoyé des photos de son frère : jeune, on le voit en tenue d'alpiniste ; plus âgé, il est sur les planches. C'est troublant : son regard semble perdu, comme absent. Il jouait Les Possédés de Dostoïevski. "Plus jeune, c'était une personne méticuleuse, appréciant l'ordre et la propreté, la précision aussi. Les choses se devaient d'être bien rangées. il avait horreur de la poussière et était toujours bien habillé", se rappelle Sylvie Delaye.
C'était avant. Un soir de novembre, Michel est mort chez lui, tout seul, avec ses détritus pour seuls compagnons. "Une saleté de maladie", soupire Sylvie.
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