Personne ne pourra dire qu'il n'était pas au courant. Le dernier rapport du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec), publié fin du février, est alarmant. Une fois de plus. Il détaille région par région l'impact du dérèglement climatique et sonne comme "un terrible avertissement", des mots de son président, Hoesung Lee. En France, si le rythme actuel des émissions de gaz à effet de serre et de la mise en place des stratégies d'adaptation face à ces changements n'évolue pas, les dégâts provoqués par les inondations côtières seront "multipliés par 10 à la fin du siècle", avec une élévation d'un mètre du niveau de la mer en 2100.
L'ensemble de l'estuaire soumis au risque d'inondation
Le territoire de l'estuaire de la Seine, du Havre jusqu'à Poses, est particulièrement exposé à ce risque. Là encore, le risque est connu et la connaissance des enjeux a nettement progressé. Le Groupement d'intérêt public (GIP) Seine-aval a justement été créé en 2003, pour favoriser la coopération entre les décideurs publics et les partenaires privés du territoire, assurer le pilotage du programme de recherche sur la Seine-aval et valoriser les connaissances qui en découlent. En début d'année, ce GIP a publié une nouvelle étude qui décrit noir sur blanc la vulnérabilité de la vallée de Seine face aux inondations. Des phénomènes complexes car variables en fonction de différents facteurs. "Dans l'estuaire, on n'est pas dans le milieu marin, ni dans le milieu fluvial, on est entre les deux mondes, détaille Jean-Philippe Lemoine, chargé de mission pour le GIP Seine-aval et coordinateur de l'étude. Les inondations sont donc induites par le débit de la Seine et de ses affluents, mais aussi par les conditions marines et les conditions atmosphériques." Au-delà des observations tirées de précédentes crues, l'étude a permis de développer un modèle mathématique pour modéliser les risques de crues à venir en fonction de ces différents facteurs, cartographier quelles seraient les zones inondées et étudier les probabilités de tels événements.
Le modèle a été utilisé pour des scénarios avec une période de retour de 30 ans et de 100 ans (qui a une chance sur 30 ou une chance sur 100 de se produire chaque année) sur quatre secteurs de l'estuaire. Un scénario a également tenu compte d'une élévation d'un mètre du niveau marin, comme l'annonce le Giec, d'ici 2100. Sans surprise, les conclusions montrent "que le territoire est soumis au risque inondation et va l'être de plus en plus avec le changement climatique", affirme Jean-Philippe Lemoine. L'occurrence de plus en plus fréquente de phénomènes météorologiques violents, avec des pluies fortes et soudaines, augmente ce risque. L'élévation du niveau de la mer se répercuterait quant à lui sur l'ensemble de l'estuaire et pourrait plonger la zone industrielle de Port-Jérôme ou des sites Seveso de l'agglo de Rouen sous les eaux. L'urgence est là, mais des débuts de solution se profilent. L'étude suggère de repenser les systèmes de protection avec des murets et d'envisager des zones d'expansion de crue (lire par ailleurs).
Les dernières grandes crues de la Seine
De 1910 à nos jours, d'importantes crues du fleuve ont marqué l'histoire du territoire.
La crue exceptionnelle de 1910
Elle est la crue de la Seine qui a le plus marqué le territoire, par son ampleur et les dégâts qu'elle a occasionnés. En début d'année 1910, le marégraphe de l'Ile Lacroix à Rouen va atteindre jusqu'à 10,50 mètres. L'ensemble du territoire de Rouen, de la boucle de Duclair et d'Elbeuf va connaître des inondations dramatiques. Par endroits, la Seine va s'étendre sur près de 2 km de large et recouvrir entièrement des plaines de Sotteville-lès-Rouen ou Saint-Étienne-du-Rouvray. Causée d'abord par de fortes précipitations, la crue va être accentuée à l'aval du barrage de Poses par de forts coefficients de marée. Les dégâts importants s'expliquent par les transformations liées à l'aménagement du cours du fleuve, le développement de l'urbanisation et des activités industrielles.
La tempête de 1999
La fameuse tempête Lothar de 1999 a, elle aussi, causé d'importantes inondations, en particulier en aval de Rouen. L'eau a atteint 9,54 mètres à Duclair, soit le niveau le plus élevé depuis 1876 sur ce secteur.
Les crues de 2018 et 2020
En février 2018, d'importantes crues ont touché l'agglomération et notamment le secteur d'Elbeuf, où le pic de 10,97 mètres a été atteint. 35 communes de Seine-Maritime et de l'Eure ont été reconnues en état de catastrophe naturelle après ces inondations.
En 2020, la tempête Ciara et d'importants coefficients de marée ont aussi entraîné des débordements de la Seine à Rouen et dans son agglomération.
Laisser plus de liberté à la Seine
Le GIP Seine-aval préconise d'étudier l'ouverture de champs d'expansion des crues pour baisser le niveau de la ligne d'eau en contexte d'inondation.
"Il faut agir et réfléchir dès maintenant", urge Jean-Philippe Lemoine, coordinateur de la dernière étude du GIP Seine-aval sur la vallée de la Seine face au risque d'inondation. Un début de solution est esquissé dans le rapport de l'étude. Jusqu'à maintenant, le fleuve a été très transformé par l'activité humaine. Les murets anti-inondation, présents au sommet des berges de la Seine, ne sont plus vraiment préconisés aujourd'hui. "On a fait des simulations pour tester l'effet de ces murets en les supprimant. Ils servent à l'endroit qu'ils protègent mais peuvent augmenter la hauteur d'eau à d'autres endroits de l'estuaire", explique le spécialiste. C'est ce qui conduit à envisager l'effet qu'auraient des zones d'expansion de crue. Pour faire simple, il s'agirait de laisser volontairement la Seine s'étendre latéralement en période de crue sur de grandes surfaces pour limiter la hauteur d'eau, et donc le risque d'inondation dans les zones à protéger, industrielles ou habitées. "Nous sommes en train de lancer une nouvelle étude pour définir la potentialité des zones d'expansion de crue : pour comprendre quelles sont les surfaces minimales à mettre en jeu pour avoir un effet intéressant sur la diminution de l'aléa inondation", précise Jean-Philippe Lemoine. Ces réponses, à venir dans les prochains mois ou années, guideront les décideurs du territoire de l'estuaire sur des choix cruciaux et urgents.
Quelles terres pour
les zones d'expansion de crue ?
"On se demande si on n'aurait pas intérêt à l'échelle de l'estuaire, de Poses au Havre, de casser les murets anti-inondation", lance Marie Atinault, vice-présidente de la Métropole Rouen Normandie en charge des transitions écologiques, qui s'intéresse de près à cette idée de zones d'expansion de crue. Reste LA grande question. Où ? Quelles sont les terres que les décideurs laisseront volontairement en proie aux débordements du fleuve ? "C'est un vrai exercice intellectuel que l'on doit faire, affirme Marie Atinault. On va devoir donner peut-être une double fonctionnalité aux espaces." Comprenez qu'une terre agricole par exemple puisse servir au fleuve pour s'étendre, lors des crues. L'élue met aussi en avant l'idée "d'inventer un urbanisme différent". "Peut-être qu'il va falloir démonter de l'habitat par endroits ou bien l'élever pour le mettre plus en hauteur." Il faut en tout cas prendre dès maintenant les décisions pour ne pas se retrouver les pieds dans l'eau en 2100, comme l'ont montré de nombreuses modélisations alarmistes. La Métropole a déjà lancé l'idée de réviser son schéma de cohérence territorial et son Plan local d'urbanisme intercommunal pour prendre en compte le risque inondation. Une procédure qui doit prendre plusieurs années. Quant aux zones d'expansion des crues, elles n'ont pas encore été positionnées à cette heure.
Une autre piste, bien plus globale, est de tenir les engagements en termes de réduction d'émissions de gaz à effet de serre pour freiner la montée des eaux. Si le niveau de la mer au Havre n'augmente plus d'un mètre en 2100, mais de 50 cm, les répercussions ne seront plus les mêmes dans tout l'estuaire.
Des élus veulent donner des droits à la Seine pour mieux la protéger
Le député Gérard Leseul et des candidats socialistes aux législatives proposent de considérer la Seine comme une personnalité morale, pour lui conférer des droits propres.
La proposition peut paraître symbolique, mais soulève de vraies questions. Le député PS de Seine-Maritime, Gérard Leseul, propose dans une tribune avec des candidats aux futures législatives (Kader Chekhemani, Christine de Cintré et Djoudé Merabet) de conférer des droits à la Seine pour mieux la protéger. Il s'agirait, comme cela est le cas pour les entreprises, de doter la Seine d'une personnalité morale. "Cela veut dire que l'on pourrait, pour défendre la Seine et préserver son intégrité, aller en justice et contrer des mesures de pollution ou qui contreviendraient à son intégrité physique", défend Gérard Leseul. Une initiative originale, mais qui a déjà été appliquée dans d'autres pays et qui a été évoquée, pour l'instant sans succès, en France pour la Loire. Le député indique "travailler avec un constitutionnaliste de l'Assemblée nationale pour faire des propositions concrètes sur la question", mais concède "qu'il y a encore beaucoup de flou dans cet objectif et cette définition de personnalité morale".
Un travail de longue haleine
Le sujet, qui pourrait donner naissance à une proposition de loi dans la prochaine mandature, permettra au moins de mettre au débat ces questions de préservation du patrimoine naturel et des estuaires, qui ne se jouent pas qu'au niveau local. "Il faut prendre des mesures plus radicales, en France mais aussi dans un cadre plus large, au moins européen, voire mondial."
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