Les places sont chères. Très chères. Vingt sièges en Formule 1 pour accueillir l'élite mondiale du pilotage automobile. Et à ce petit jeu-là, la Normandie se démarque avec deux représentants : Pierre Gasly, le pilote de Bois-Guillaume dans l'écurie AlphaTauri, et Esteban Ocon, pilote d'Évreux qui court dans l'écurie française Alpine. C'est une vie entière de sacrifice, d'investissement familial et de batailles à tous les niveaux pour en arriver là. Et comme pour tout pilote de F1, cela commence très tôt, en karting. Près de Rouen, à Anneville-Ambourville, le club ASK Rouen 76 s'est distingué au fil des années pour devenir une vraie référence en la matière. Pierre Gasly y a fait ses premiers tours de circuit et y est toujours licencié à cette heure. En 1986, ASK Rouen 76 naît de la fusion de plusieurs clubs de karting du département et crée la piste d'Anneville-Ambourville. "L'ambition était d'avoir un club avec un nombre de licenciés importants pour avoir beaucoup de voix à la Ligue de Normandie et être reconnu comme un gros club auprès de la FFSA [Fédération française de sport automobile]", explique Jean-Charles Dumont, le président du club. Pour ce féru de sport automobile, aucun doute, la Normandie "est une terre de champion".
Une école de pilotage
"Les meilleurs sont chez nous", assure-t-il sans fausse modestie, en évoquant le palmarès des jeunes du club : "Cette année, nous avons été champions de France en minime, nous avons gagné la Coupe de France en minime et en cadet." De grands espoirs à suivre dans les années qui viennent : Lisa Billard, Mathéo Dauvergne, Maël Lemarchant ou Tom Langlois. "C'est un talent à suivre", assure pour ce dernier Frédéric Veille, journaliste qui suit la Formule 1 et le sport automobile depuis 30 ans. Selon lui, la densité et la qualité des clubs de karting dans la région expliquent l'essor de ces nombreux talents. L'une des raisons du succès d'ASK Rouen 76, outre l'effet d'entraînement non négligeable provoqué par la superstar locale Pierre Gasly, est son école de pilotage avec deux moniteurs formés. De quoi détecter tôt les talents et leur offrir des accompagnements sur mesure en les inscrivant le plus tôt possible dans les compétitions. "On voit tout de suite avec les moniteurs ceux qui sont bons et qui peuvent éclater." Trois pilotes d'ASK Rouen 76 sont désormais au Mans, à l'académie de la FFSA qui forme les futurs champions. Reste que le sport automobile est très coûteux. "Les parents mettent beaucoup d'argent de leur poche et parfois sont accompagnés de sponsors", détaille Jean-Charles Dumont, même s'il n'est pas toujours évident de boucler un budget. Et plus le niveau augmente, plus les coûts augmentent eux aussi. Jusqu'à plusieurs centaines de milliers d'euros pour une saison de karting à l'international. Plus le pilote sera talentueux, plus il aura de chance d'être suivi par des sponsors ou des constructeurs qui mettront à disposition châssis ou moteurs. Pour les familles de ces jeunes pilotes, il faut soit être fortuné, soit être prêt à d'immense sacrifice pour espérer toucher du doigt un jour le plus haut niveau.
"On ne peut pas y arriver sans la famille"
Dans un sport très coûteux où il faut être le meilleur parmi les meilleurs, le soutien et l'engagement de toute la famille est essentiel pour atteindre les sommets.
Chez la famille Gasly à Bois-Guillaume, on vit au rythme de la passion familiale. Car le sport automobile est dans les gènes des Gasly. Pour Pierre, le dernier de la fratrie, la passion est allée encore plus loin. "La première fois, c'était à 6 ans, et après ils nous cassaient les pieds pour faire du kart", sourit aujourd'hui sa mère, Pascale. À 9 ans, son père lui achète son premier kart et Pierre s'entraîne sur le temps du midi sur la piste d'Anneville-Ambourville. "Ils tournaient en mini-kart le midi avec Esteban [Ocon]. C'était les deux seuls en mini-kart", se souvient Jean-Jacques Gasly. Très vite, Pierre montre des aptitudes. Il passe les étapes les unes après les autres. Une fierté pour les parents, qui comprennent aussi que la pratique va devenir de plus en plus coûteuse. Très tôt, Pascale se met à la recherche de sponsors. Pierre sera aussi aidé par son talent et le fait d'être détecté par la Fédération française de sport automobile et de grandes marques constructeurs qui vont mettre à disposition des châssis ou des moteurs. À seulement 13 ans, il quitte la maison pour intégrer l'académie qui forme des pilotes au Mans. "Quand on l'a emmené là-bas, on a eu notre petite larme en rentrant en voiture avec sa mère, mais c'était son choix", explique aujourd'hui son père, habitué à vivre loin de son fils. À 13 ans et demi, Pierre Gasly termine 3e des championnats du monde de karting. "À l'époque, une saison en karting à l'international, c'était entre 250 000 et 300 000 euros", explique aujourd'hui son père, qui assure avoir pu négocier autour de 30 000 euros pour les bons résultats de son fils.
Un combat quotidien, du karting à la F1
Vient ensuite le passage à la Formule 4 : 100 000 euros la saison à l'époque, sans compter les casses, les entraînements, les chambres d'hôtel, etc. Tripler cette somme pour une saison en F3 régionale. Même si les sponsors suivaient, les Gasly ont fait des choix et ont investi une grande partie de leurs économies, en accord avec la fratrie. Sans regret au vu des résultats. Pierre Gasly se démarque dans toutes les catégories, est repéré par Red Bull et finit par intégrer la F1, en 2017.
Le parcours de Lola Lovinfosse commence de la même manière. À 16 ans, elle évolue dans le championnat de Formule 4 en Espagne. Et ses parents sont pleinement engagés pour l'aider à financer sa saison et la suivre dans son rêve de devenir l'une des premières femmes en F1. "C'est une petite boîte à gérer", explique son père, David. Il faut trouver les sponsors, boucler les budgets faramineux à ce niveau de compétition… Un combat de tous les jours. "Vous pouvez être bon pilote et être bloqué par les finances", explique la maman Anaïs. Car s'ils peuvent s'aligner, difficile d'atteindre les budgets qui permettent de s'entraîner suffisamment et d'être à bord de la voiture la plus compétitive. "Si elle pouvait rouler plus, ses performances seraient encore meilleures." Tout récemment, Lola a manqué de peu une sélection internationale aux États-Unis pour les Wseries, une catégorie qui met en valeur les pilotes féminines. Elle devrait, selon son père, pouvoir retenter sa chance l'année prochaine. En attendant, elle reprend le volant d'une F4 en Espagne, en espérant pouvoir montrer l'étendue de ses talents. Car ce sport ne pardonne pas. Pour percer, il faut être devant !
Pierre Gasly et Esteban Ocon, "deux exemples fabuleux de sacrifice"
Frédéric Veille suit la Formule 1 depuis 30 ans et connaît bien les deux pilotes normands, Esteban Ocon et Pierre Gasly, qu'il a suivis dès leur plus jeune âge.
Frédéric Veille, journaliste spécialisé dans le sport mécanique, a aussi rédigé la première biographie du pilote de Bois-Guillaume, Gasly le Magnifique.
La Normandie est-elle une terre de pilotes ?
C'est certain. C'est dû en grande partie au fait que le karting est une pratique très courante et très développée en Normandie, d'où sont issus Pierre Gasly et Esteban Ocon, mais aussi plein d'autres pilotes comme Lola Lovinfosse, qui court en F4 en Espagne. Il y a un vivier.
On comprend dans votre biographie
de Pierre Gasly qu'il faut beaucoup de sacrifices pour se hisser en F1.
Ce n'est pas spécifique à Pierre [Gasly] ou Esteban [Ocon]. Si on veut y arriver en F1, c'est une vie de sacrifice et ça commence dès le plus jeune âge. Verstappen a commencé à 3 ans et demi. Il n'y a pas une journée de répit. Et il faut un physique irréprochable, être un immense champion pour encaisser les accélérations, les chocs, les accidents…
Des sacrifices aussi pour l'entourage…
L'entourage est hyper important. Pour Pierre, ses parents se sont saignés pour financer ses premières saisons en monoplace. Pour Esteban, c'est la même chose. Le père a mis son garage entre parenthèses pour s'occuper de son fils. Ils ont vécu dans une caravane quelques mois pour qu'Esteban puisse s'entraîner ! Je préviens toujours les parents de jeunes pilotes. Cela peut être très dangereux financièrement pour une famille. Les familles Gasly et Ocon, ce sont deux exemples fabuleux de sacrifice.
Les Normands dans le haut du peloton
La saison 2022 de Formule 1 reprend le week-end des 18, 19 et 20 mars, à Bahreïn. Les deux Normands Pierre Gasly et Esteban Ocon tâcheront de briller dans leur équipe respective.
La Formule 1 reprend avec la première course, dimanche 20 mars à Bahreïn, et son lot de nouveautés. Les monoplaces déjà sont flambant neuves et tenues à un nouveau règlement. Les écuries Mercedes et Redbull vont-elles conserver leur suprématie ? Difficile à prédire après les essais hivernaux, alors que les équipes n'ont pas encore levé le voile sur l'ensemble de leur potentiel. À noter dans le calendrier les retours des courses en Australie, à Singapour et au Japon.
Le Grand Prix de Russie à Sotchi, initialement programmé en septembre, est en revanche annulé à cause de la guerre en Ukraine.
Les chances des Normands
Difficile à cette heure d'évaluer la compétitivité des monoplaces de nos deux Normands, Alpine pour Esteban Ocon et AlphaTauri pour Pierre Gasly, qui ont été l'an passé respectivement 5e et 6e sur 10 au classement constructeur. "On a vu que l'Alpine tourne bien même s'il reste quelques soucis. Pour AlphaTauri, c'est la même chose, explique Frédéric Veille, journaliste qui suit la Formule 1. Il va falloir attendre les premiers essais et les qualifications pour voir où sont nos Français."
Les Normands tâcheront en tout cas de rentrer dans les points le plus possible et pourquoi pas de renouveler leurs exploits de podium, voire de victoire, comme pour Ocon en Hongrie l'an passé ou Gasly l'année d'avant en Italie à Monza.
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