Impossible de rester les bras croisés face à l'horreur de la guerre qui déchire des peuples voisins à 2 500 kilomètres de chez nous. Les actions solidaires envers l'Ukraine sont lancées spontanément et dans la précipitation depuis que les chars russes ont traversé la frontière du pays le jeudi 24 février. L'exode commence. Des centaines de familles quittent leur pays. Plus de 1,5 million de personnes ont fui l'Ukraine en une semaine selon l'ONU. "Mettez-vous à leur place, les gens vivent leurs vies, les enfants vont à l'école et un jour, ils se retrouvent sous les bombes !" s'écrit Alla Aleinikova, qui a pu retrouver sa mère et sa sœur. Parties de la ville d'Odessa en laissant les hommes majeurs de la famille mobilisés pour combattre, elles sont arrivées dimanche 6 mars à Rouen auprès de leur famille après plus de 48 heures de voyage (lire par ailleurs). Le vendredi 4 mars, la solidarité rouennaise se poursuivait. La fille d'attente pour déposer des dons s'allongeait devant l'hôtel de Ville de Rouen. "C'est essentiel d'être solidaire", lance un habitant à travers le brouhaha d'une foule d'anonymes.
Le besoin de se sentir utile
Des habitants arrivent avec des sacs de courses, d'autres des valises pleines. À l'intérieur, des produits d'hygiène, des couches, des couvertures : "On a pensé aussi à de la nourriture pour bébé, ce n'était pas indiqué sur la liste mais on s'est dit que c'était important." Venue du quartier du jardin des plantes, Léa Michel est arrivée pile à l'heure de début de la collecte. La jeune femme de 22 ans est fière d'apporter son aide : "Il y a des familles similaires à la [mienne], en Ukraine, réfugiés en Pologne, ou en Moldavie". Olivier porte des conserves par dizaines, des produits d'hygiène par cartons, aidé de ses enfants. Les denrées qu'ils ont achetées ensemble arrivent par chariots. "Des gens meurent tous les jours là-bas, il faut bien qu'on les aide donc on est tous là. C'est impératif", pense le père de famille. Et qu'importe le prix : "On a fait 400 euros de courses."
Le hall de l'hôtel de Ville de Rouen résonne. De questions. "Où peut-on déposer nos dons ?" Résonne aussi de "mercis". Résonne du bruit de la solidarité. "Les gens sont bouleversés par cet événement, explique Jean-Luc Daniel, psychologue clinicien. "Ils gèrent leur stress par empathie et dans l'action (lire par ailleurs)."
De l'agitation et de l'organisation
Les bacs répartis selon les catégories de produits débordent de dons dans la demi-heure suivante. Des agents de la Ville commencent à charger un premier camion qui prend la direction de la rive gauche. Toutes les denrées sont stockées à la direction des manifestations publiques où une centaine de voitures se sont présentées pour déposer d'autres dons.
Tous ces produits vont être vont être gérés par l'association Protection civile de Seine-Maritime qui, comme la Croix-Rouge et le Secours Populaire, ont des référents locaux en Ukraine et dans les pays frontaliers.
"Au lieu de subir, les citoyens choisissent d'agir et de participer à la solidarité"
Jean-Luc Daniel est psychologue clinicien et psychothérapeute à Rouen. Le docteur explique l'impact de cette guerre sur notre mental et nos émotions.
Jean-Luc Daniel, vous êtes psychologue clinicien et psychothérapeute à Rouen. Les actions solidaires sont nombreuses. Pourquoi ressentons-nous ce besoin de se rendre utile ?
C'est une réaction normale face au sentiment d'impuissance. Les citoyens ne peuvent pas intervenir sur la géopolitique. Au lieu de subir, ils choisissent d'agir et de participer à un mouvement de solidarité. C'est une manière de vaincre son stress et son angoisse par empathie en prenant les choses en main.
Quel est l'impact de cette guerre et de la succession des crises sur notre mental ?
Les adultes arrivent à séparer les événements. Au début de la pandémie, il y avait de l'angoisse face à l'ennemi invisible. Pour l'Ukraine, c'est très concret. On a des Rouennais qui connaissent des gens en Ukraine et qui s'inquiètent pour eux. Le stress généré par cette guerre peut être le révélateur d'une angoisse préexistante.
Et nos enfants ? Comment leur parler ?
C'est différent pour les enfants, ils sortent d'une crise avec la pandémie. Il faut les écouter et répondre à leurs questions sans devancer les choses. Les plus jeunes ne doivent pas être exposés aux images traumatiques de la guerre, c'est impératif. Ils n'ont pas la capacité psychique de les gérer. Pour l'adolescent, il faut beaucoup communiquer, développer chez lui un esprit critique. Le parent doit donner du sens à ce qu'il voit. Si vous, vous constatez qu'un enfant change de comportement ou développe des crises d'anxiété, il ne faut pas hésiter à consulter.
"Il faut que ça parte vite en Ukraine"
C'est désormais le temps de l'organisation et de l'accueil. Les premiers réfugiés arrivent à Rouen et pour ceux restés sous les bombes ou sur la route de l'exode, les collectes rouennaises doivent être acheminées.
À Rouen, les premiers dons en nature sont arrivés dans le point de collecte de la permanence du député LREM Damien Adam, au lendemain de la déclaration de guerre de Vladimir Poutine à l'Ukraine. Anna Berezhynska est venue avec un caddie emprunté d'un supermarché, plein de vivres. Cette Ukrainienne vit seule ici. Toute sa famille habite Tchernigiv, située à une vingtaine de kilomètres de la frontière biélorusse : "J'ai pris tout ce que j'ai pu. Il faut que ça parte vite en Ukraine."
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Mais l'acheminement de toutes ces denrées est difficile. "Nous n'avons pas les moyens de le faire, reconnaît Émilie Le Bigre, la secrétaire générale du Secours Populaire de Seine-Maritime. L'aide humanitaire sur place est déjà débordée par des dons en nature qui arrivent de tous les pays, il faut pouvoir les traiter et les stocker." Si les collectes en nature sont trop importantes à Rouen, "elles serviront aux gens qui sont dans la pauvreté ici".
Le Secours populaire préfère demander des dons financiers pour pouvoir répondre aux besoins réels des Ukrainiens et des associations implantées dans les pays limitrophes.
Les réfugiés ukrainiens arrivent en Seine-Maritime
Au-delà des collectes, des aides financières exceptionnelles sont débloquées par les collectivités territoriales. Le Département de Seine-Maritime vote jeudi 10 mars une enveloppe à hauteur de 50 000 euros à destination de la Croix-Rouge pour pouvoir prendre en charge les réfugiés ukrainiens. Le même montant a déjà été débloqué par la Région. Plus de 1,5 million de personnes ont déjà fui le pays en guerre. Anastasia Aleinikova a pu rejoindre sa sœur à Rouen. D'origine russe, elle a grandi et vit à Odessa en Ukraine, l'une des premières villes attaquées par l'armée de Vladimir Poutine. La mère de famille a décidé de partir dès le lendemain de l'invasion avec sa mère, sa fille et son plus jeune fils. L'aîné est resté au pays combattre aux côtés de son père. "On voulait rester en famille mais j'avais peur pour ma fille de 16 ans", raconte la réfugiée.
"Quand je suis arrivée ici,
j'étais dans le brouillard"
Commence un voyage de plusieurs jours, en voiture puis à pied pour traverser la frontière moldave. "Quand je suis arrivée à Rouen, j'étais comme le brouillard", raconte sa fille Julia, qui culpabilise d'être ici : "Je pense à mes amis sous les bombes en Ukraine et je me sens coupable."
En Seine-Maritime, la préfecture déploie des places d'hébergement d'urgence sans pouvoir dire combien seront ouvertes pour ces réfugiés. La Ville de Rouen a lancé le dispositif "Solidarité Ukraine", une plate-forme sur laquelle les habitants de Rouen peuvent proposer une solution d'accueil pour les réfugiés. Plus de 30 personnes ont rempli le formulaire sur le site internet en moins de 24 heures. Malgré le soulagement d'être en sécurité à Rouen, loin du conflit, Anastasia Aleinikova veut déjà retourner dans son pays. Comme tous les réfugiés fuyant la guerre, "toute [sa] vie est là-bas".
Face à la guerre, la jeunesse se mobilise
Deux élèves du lycée Le Corbusier à Saint-Étienne-du-Rouvray ont lancé une collecte de produits de première nécessité dans leur établissement.
Deux élèves prennent le soin de coller des affiches aux couleurs de l'Ukraine sur la vitre de l'entrée du lycée Le Corbusier de Saint-Etienne-Du-Rouvray peu avant la sortie de midi. Des dizaines de personnes sortent, passent devant la vitre, sans trop se rendre compte du projet des deux jeunes.
"Un petit pas vers eux"
Lycéens en Terminale dans l'établissement, Lhéo Kivata et Dylan Ehounda sont en charge d'une collecte de produits de première nécessité pour venir en aide au peuple ukrainien au sein du lycée. "Ce n'est pas beaucoup mais c'est un petit pas pour les aider", confie Lhéo. Tout le corps enseignant ainsi que les 800 élèves de l'établissement sont appelés à participer. "Je trouve ça bien, il faut apporter quoi ?", demande un jeune homme à la sortie du lycée. Ce projet s'inscrit aussi dans un cadre pédagogique et permet de "développer les valeurs humanistes et morales des jeunes", explique la tutrice des deux élèves et professeure Amarouche Malika. La collecte va durer un mois.
Les initiatives se multiplient dans d'autres établissements scolaires de l'agglomération comme au groupement scolaire Jean-Baptiste-de-La-Salle à Rouen où une collecte médicale a été organisée jeudi 3 mars. Les parents étaient appelés à fournir des pansements, des médicaments ou encore des gants chirurgicaux. Tout ce matériel de soin est parti le soir même pour arriver le samedi 5 mars en Pologne.
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