Nous sommes le 29 novembre 2019, à la mairie du Havre. Police, justice, gendarmerie, Département de Seine-Maritime, Éducation nationale et État signent une convention visant à l'éradication des mutilations sexuelles féminines. Une mise en lumière d'un combat débuté il y a une quarantaine d'années au Havre, où il est notamment mené par le Groupe pour l'abolition des mutilations sexuelles (Gams), mariages forcés, "et de toutes les pratiques néfastes à la santé des femmes et des enfants", ajoute Martine Desmares, sage-femme retraitée et membre active de l'association. Les mutilations, interdites dans de nombreux pays, peuvent aller de l'ablation du clitoris avec celle, partielle ou totale, des petites lèvres (excision), à l'infibulation, qui conduit à une fermeture quasi-complète de la vulve. Avec pour conséquence des douleurs aiguës, infections, complications sexuelles et à l'accouchement. "C'est un phénomène mondial, pratiqué dans certains pays d'Afrique mais aussi beaucoup en Indonésie, dans certaines régions de Colombie et même en Europe de l'est, au Dagestan", rappelle la bénévole havraise. Des pratiques traditionnelles qui diffèrent aussi d'une ethnie à l'autre, au sein d'un même pays.
La Normandie, 2e région la plus touchée
En France, la Normandie est la deuxième région la plus touchée, en particulier les métropoles havraise et rouennaise. Une situation qui s'explique, historiquement, par l'arrivée de travailleurs africains dans les usines automobiles, favorisée par le gouvernement dans les années 70. "À l'époque, on était au début de l'échographie, de la péridurale…", recontextualise Martine Desmares. Face à des femmes d'origine étrangère au bassin étroit, les professionnels se trouvent démunis et ont le réflexe de pratiquer des césariennes. Mais peu à peu, le groupe hospitalier du Havre s'empare de la problématique et forme une équipe d'interprètes-médiatrices originaires du Maghreb et de l'Afrique subsaharienne, dont Nafissatou Fall, actuelle directrice du Gams Normandie. "Nous avons reçu de ces femmes toutes les pratiques bénéfiques comme l'allaitement ou le portage", poursuit l'ancienne sage-femme. C'est aussi le début de la prévention dans les services de Protection maternelle et infantile (PMI). "Aujourd'hui, au Havre, aucune petite fille de 0 à 6 ans n'est excisée et on considère que sur dix mamans victimes, sept vont tout faire pour protéger leur fille", indique le Gams. "La vraie menace pour les filles, ce sont les vacances", déplore Nafissatou Fall. À la faveur d'un retour dans le pays d'origine de leurs parents, des jeunes femmes peuvent être mutilées de force. Sur la soixantaine de dossiers enregistrés par le Gams en 2021, la moitié des victimes sont d'ailleurs nées en Normandie. Quand il est trop tard, l'association les accompagne sur le chemin de la reconstruction psychologique et parfois physique. La chirurgie réparatrice est prise en charge à 100 % par la Sécurité sociale. "C'est un chemin intime très long, tempère Martine. Certaines ont besoin de cinq ans avant d'entamer la démarche."
À l'hôpital Monod, une unité dédiée aux femmes vulnérables ouverte en 2021
Une unité de suivi dédiée aux femmes vulnérables a ouvert en octobre 2021, au groupe hospitalier du Havre. Elle accompagne notamment les victimes de mutilations sexuelles.
Qu'est-ce que l'unité de suivi des femmes vulnérables de l'hôpital Monod ?
"Elle regroupe huit sages-femmes, une gynécologue, une assistante sociale, un psychologue, une infirmière et une secrétaire. Nous suivons des femmes victimes de violences actuelles ou passées, de mariage forcé, de mutilations sexuelles ou des femmes sans couverture sociale. En tant que sages-femmes, nous rencontrons les patientes pour un suivi de grossesse ou gynécologique, seules, un contexte propice à parler de leur vie intime."
Comment sont abordées les mutilations ?
"Avant tout examen, on demande aux femmes si elles pensent être mutilées. Il arrive qu'elles ignorent l'avoir été et qu'on le dépiste. Il faut alors leur annoncer, ce qui est un séisme dans la vie d'une femme. Cela entraîne des interrogations sur la sexualité qu'elles ont eue jusque-là, les raisons de cette mutilation… À celles qui sont déjà au courant, c'est l'occasion de demander si elles en ont déjà parlé, si elles ont envie d'être suivies. On peut les orienter vers le Gams. Nous cheminons en fonction de la femme, à son rythme."
Pourquoi faut-il former les professionnels ?
"On touche à la tradition, c'est un sujet tabou dont les femmes ont du mal à parler, y compris entre elles. Plus les professionnels (infirmières puéricultrices, scolaires, médecins généralistes…) sauront dépister, repérer et orienter les femmes, plus ils oseront poser la question et plus les femmes se sentiront libres de leur dire. La population concernée est diverse et mixte. En parler de façon générale permet que tout le monde se sente concerné."
Informer les adultes de demain
Outre l'accueil des femmes victimes d'excision, un pan de l'activité du Gams consiste à informer les futurs professionnels de santé et surtout les jeunes.
La pédagogie est un pan important de l'activité du Groupe pour l'abolition des mutilations sexuelles (Gams). Ses membres interviennent auprès des élèves de troisième et de lycée pour parler "d'égalité, de citoyenneté, de consentement et rappeler que la loi française interdit de marier de force les mineurs, y compris les mariages traditionnels", détaille Nafissatou Fall. "Il faut dire 'non' !", explique la directrice du Gams Normandie. Une campagne d'affichage annuelle rappelle aussi le risque que présentent les vacances à l'étranger, pour les adolescentes.
Sage-femme à l'hôpital Monod, Maryline Jaffré intervient elle aussi dans les collèges et lycées. "D'abord parce qu'il y a peut-être des filles de la nouvelle génération qui sont passées entre les mailles du filet et ont été mutilées. Et puis, ces filles et garçons sont les adultes de demain, qui auront des vies sexuelles. Cette génération est assez ouverte, elle parle facilement." Twitter, Facebook, TikTok… Les réseaux sociaux peuvent s'avérer utiles, estime Nafissatou Fall. "Il y a quelque chose qui change. C'est une communication mondiale, tout le monde a un portable, en Afrique."
Le Gams intervient aussi dans les écoles d'infirmières, de sages-femmes ou d'éducateurs en Normandie, ainsi qu'au sein des centres de demandeurs d'asile.
Pratique. Informations et aide par mail à gamsnormandie@federationgams.org ou au 06 30 36 42 42.
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