De cet hiver 1977, quand elle arrive au Havre, Nafissatou Fall se souvient du brouillard. "Cela m'a beaucoup impressionnée. Mon mari est parti travailler, je suis restée à la fenêtre jusqu'à ce que le jour se lève." La jeune femme, née au Sénégal, arrive du Cameroun avec son époux, travailleur dans l'industrie automobile.
"Les mutilations, c'est une duperie"
Quand elle emménage dans le quartier de Soquence, elle a 15 ans, "mais 22 ans sur les papiers". En Afrique, elle a déjà deux enfants, restés dans la famille de leur père. "Cela a été une grosse dépression", se remémore Nafissatou Fall, qui ne tarde pas à attendre un troisième bébé. Un médecin de la maternité du Havre, le Dr Glaser, remarque sa morphologie d'adolescente. "Par la suite, c'est moi qui ai aidé à identifier l'âge des futures mamans." Nafissatou Fall devient en effet médiatrice-interprète auprès de la maternité de l'hôpital Monod. "Les médecins attendaient que, quand ils parlent le jargon médical, on puisse expliquer." Auprès des sages-femmes, elle partage les techniques d'allaitement, de portage ou "la rumba", qui consiste à marcher avant l'accouchement pour faciliter le travail. "Les bonnes traditions, il faut les garder. Mais les mutilations des femmes, c'est ma bataille. C'est une duperie", peste Nafissatou Fall, elle-même victime d'excision à l'âge de 8 ans. Dans les années 80, avec la pédiatre aujourd'hui disparue Danièle Bugeon, elles deviennent les pionnières de la lutte contre ces pratiques au Havre. Sur les carnets de santé des bébés de la Protection médicale infantile de Caucriauville, la médecin écrit "clitoridectomie" et colle une pastille rouge. À l'époque, une petite fille sur trois est mutilée avant l'âge de 4 ans. Avant qu'elle ne s'engage au Gams (Groupe pour l'abolition des mutilations sexuelles), dont elle dirige aujourd'hui l'antenne normande, Nafissatou Fall milite aussi auprès des femmes sur leurs droits, les encourage à apprendre le français ou encore à organiser des tontines, un système d'épargne collective.
"Nafi" ose parler, s'engager. Une vraie gageure. "Certaines changent de trottoir quand elles me voient. Elles pensent qu'on les stigmatise. Pourtant, les femmes africaines sont les premières à se battre contre l'excision", estime-t-elle. Sa camarade du Gams, Martine Desmares, loue aussi sa discrétion vis-à-vis de celles qu'elles aident, qui se confient souvent pour la première fois : "C'est une vraie tombe." Petit à petit, la liberté des femmes gagne du terrain. Nafissatou Fall formule un souhait : "Qu'un jour, le monde entier dise : 'on arrête'." La Havraise espère aussi que des jeunes femmes d'origine africaine prendront la relève dans ce combat.
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