Elle nous reçoit dans son appartement, situé dans un quartier populaire du Havre. Cette Française de 40 ans accepte de raconter ce qu'elle a vécu, à la condition de rester anonyme. Son histoire débute à la fin des années 80, au Sénégal, le pays d'origine de ses parents. "J'avais six ans, ma petite sœur quatre ans. C'est la première fois que je découvrais le pays", commence-t-elle.
"Quand notre mari vient
vers nous, on se sent très mal.
On est comme un bloc de glace"
Les vacances débutent normalement, jusqu'à ce que la petite fille soit appelée dans une chambre obscure. "On me dit de m'asseoir, ma mère sort de la pièce. Elle n'était pas contente, cela se voyait sur son visage." Trois autres femmes s'approchent. Elles allongent la fillette. L'une cache ses yeux, l'autre écarte ses jambes. "Ma grand-mère était là, mais elle n'était pas dans le coup", affirme la Havraise. "Puis, elles ont commencé à me trancher. Je ne voyais rien, mais j'ai senti des douleurs atroces au niveau du clitoris", se remémore-t-elle. "C'est une douleur inexplicable et qui ne s'arrête pas." Vient ensuite le tour de sa petite sœur. "Je l'ai entendu crier, je l'ai ressenti encore plus douloureusement que moi." Les deux enfants sont baignées dans une eau tiède et salée. "Ma mère est revenue, elle était très triste. On l'a regardée avec mépris, mais je pense que ce n'était pas de sa faute. Elle ne nous a jamais dit le pourquoi. Je pense qu'elle a été forcée."
Les années passent, la Havraise grandit. "Ce n'était pas évident. Je n'ai jamais été heureuse dans ma vie sexuelle." Ce sont aussi des infections urinaires à répétition. "On est crispée, on ne se sent pas bien. Quand notre mari vient vers nous, on se sent très mal. On est comme un bloc de glace." Ses accouchements se font par césarienne, mais l'excision n'est jamais avancée par les soignants comme motif. Le déclic vient au moment de son deuxième divorce. Elle se confie à son médecin traitant, après plus de trente ans de silence. Elle est orientée vers le Gams du Havre. "J'ai vu une sexologue, elle m'a montré le processus de chirurgie réparatrice. J'étais partante."
"Je me sens plus femme à l'intérieur"
La Havraise se fait opérer par le Dr Le Digabel, à l'hôpital privé de l'estuaire, "très à l'écoute". La douleur est vive au départ, mais la cicatrisation se déroule bien. "L'opération a changé beaucoup de choses. Je me sens plus femme à l'intérieur de moi. Je conseille à toutes celles qui ne l'ont pas fait de se faire réparer." Cette intervention - prise en charge à 100 % par la Sécurité sociale - elle n'en parle à personne, pas même sa sœur. "J'ai dit que j'allais me faire opérer pour autre chose." Elle se confiera "peut-être un jour". Ses parents, elle dit ne pas leur en vouloir. "Ce sont les anciens qui leur ont mis cela dans la tête. Si je devais avoir une fille et qu'il y avait encore ces traditions, ce serait niet." Elle pense à Nafissatou Fall, du Gams, qui mène le combat contre l'excision depuis tant d'années, au Havre. "Elle a été forte, elle a eu des préjugés, les gens l'ont regardée d'un mauvais œil. Mais je pense que beaucoup de parents l'ont comprise dans cette bataille."
Peu de procédures judiciaires
Si le risque d'excision demeure, peu de situations arrivent jusque dans les tribunaux.
Il est rare qu'une victime de mutilation sexuelle ou mariage forcé dépose plainte. "Elles sont souvent face à un conflit de loyauté par rapport à leur famille", note Martine Desmares, membre du Gams au Havre. Ces dernières années, le parquet du Havre n'a conduit aucune procédure judiciaire pour des faits de mutilations sexuelles. Il a néanmoins été saisi l'année dernière, pour une suspicion sur une fillette. "L'enquête sociale n'a finalement pas révélé de risque particulier", indique le parquet.
Protéger les fillettes
La justice travaille "en lien étroit avec la sous-préfecture pour prononcer, le cas échéant, des interdictions de sortie du territoire". Pour dissuader les familles de laisser leur fille se faire mutiler, lors d'un séjour à l'étranger par exemple, des certificats de non-excision peuvent être réalisés avant les vacances par des professionnels de santé. Les mutilations sexuelles peuvent par ailleurs ouvrir le droit à l'asile. Lorsqu'une fillette ou un bébé est placé sous la protection de l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides (Ofpra), ses ascendants bénéficient d'un titre de séjour.
Selon le Code pénal, les violences ayant entraîné une mutilation ou une infirmité permanente sont punies de dix ans à vingt ans de prison et 150 000 € d'amende. Depuis 2018, le délai de prescription pour de tels faits commis sur mineur de 15 ans est de 30 ans, à compter de la majorité de la victime (soit 48 ans).
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