Le département de l'Orne est mauvais élève en matière de violences conjugales. Il se situe au 13e rang national dans le classement du taux des victimes pour 10 000 habitants. En 2020, selon le ministère de l'Intérieur, les services de sécurité de l'Orne ont reçu 4,5 appels (pour 1 000 femmes) provenant de victimes de plus de 20 ans. Néanmoins, il existe des moyens pour s'en sortir. Afin de s'extirper de son bourreau. Et tout simplement revivre.
Les Ornais se souviennent d'un début d'année 2021 tragique. Le deuxième féminicide de l'année a eu lieu dans le pays du cheval, le 14 janvier. Dans un petit appartement situé rue Saint-Blaise à Alençon, Laura Tavares meurt sous les coups de son conjoint. Âgée de 21 ans, elle fait partie des 113 femmes mortes sous les coups de leur compagnon dans l'Hexagone en 2021. Malgré les annonces du gouvernement - le président Emmanuel Macron indique vouloir doubler le nombre des enquêteurs dédiés aux violences intrafamiliales, portant leur nombre à 4 000 d'ici 2027 - et les moyens déployés par les associations locales, les femmes sont victimes d'un processus d'emprise.
Des femmes emprisonnées,
sous emprise
Au sein d'une relation, la peur est l'un des principaux facteurs déclencheurs de l'emprise. "L'emprise démarre dès lors qu'il y a de la violence. Elle commence par une dissociation, la victime se coupe de ses émotions pour ne pas souffrir. Puis la mémoire traumatique entre en jeu, c'est-à-dire que les violences s'intègrent dans le corps, elles deviennent banales. Une fois ces deux processus entamés, la volonté de la victime est totalement annihilée", explique Hélène Huneau, psychologue au Centre hospitalier intercommunal Alençon-Mamers. À l'instant même où le conjoint instaure la terreur et l'effroi, des barreaux de prison viennent fermer les portes du foyer. "En jouant avec l'intimidation, l'auteur met sous son aile sa conjointe", résume la psychologue. "L'emprise, peut passer par le contrôle social et financier [contrôle des sorties, du téléphone, des vêtements…]", poursuit-elle avant d'ajouter : "Les victimes ont une sensation de dépersonnalisation qui les empêche d'avoir du recul sur leur situation."
Les forces de l'ordre mobilisées
Face à ce problème qui gangrène le département, les forces de l'ordre se mobilisent. Elles ont bénéficié d'une formation sur les violences conjugales dispensée par le Centre d'information sur les droits des femmes et des familles (CIDFF) de l'Orne. L'ensemble des compagnies de gendarmerie du territoire sont désormais dotées d'une permanence tenue par une intervenante sociale. Concernant les commissariats, celui d'Alençon en possède une depuis mars 2021, ceux d'Argentan et de Flers en seront pourvus courant 2022. Une maison de protection des familles spécialisée dans la prise en charge des violences intrafamiliales a également vu le jour au Groupement de gendarmerie en 2021. Dorénavant, selon un nouveau décret du gouvernement entré en vigueur le 1er février, les autorités doivent systématiquement avertir les victimes de violences conjugales de la sortie de prison de leur conjoint violent.
Justice et médical collaborent pour aider les victimes
En mars 2022, une Unité médico-judiciaire va voir le jour à Alençon. Cette nouvelle structure va permettre une prise en charge accélérée des victimes et faciliter les procédures judiciaires à l'encontre des auteurs de violences conjugales. Le médecin légiste Frédérik Briand va en faire partie.
En mars 2022, l'hôpital d'Alençon va ouvrir une première Unité médico-judiciaire (UMJ). À sa tête, le seul médecin légiste du département, Frédérik Briand. Dans les nouveaux locaux du médecin, le médical va collaborer avec la justice. Des actes médicaux vont être réalisés dans l'urgence, à la demande de la police ou de la justice. Frédérik Briand va recevoir des victimes afin de recueillir des éléments de preuves (hématomes, plaies, etc.) pour une enquête judiciaire. Dans le même temps, il prodiguera des soins et prescrira, si nécessaire, une Incapacité totale de travail (ITT). En fonction du bilan dressé, une procédure pourra être engagée contre l'agresseur.
Des chiffres en hausse
En attendant l'arrivée de l'UMJ, Frédérik Briand reçoit chaque semaine trois à quatre nouvelles victimes de violences conjugales. Depuis trois ans, leur nombre n'a cessé d'augmenter. "Une bonne chose", selon le médecin. "Cela montre que les victimes veulent de plus en plus s'en sortir." Entre 2019 et 2021, elles sont passées de 110 à 170. Lorsqu'il reçoit ces victimes, il dispose d'une demi-heure pour "effacer le bourrage de crâne fait par leur conjoint depuis des années". Un exercice complexe. Tout en examinant les violences physiques subies, le médecin essaie de trouver les mots justes pour créer un électrochoc. "Je tente de panser les plaies avec mes mots. J'ai gagné ma journée si elles ne retournent pas dans les bras de leur agresseur."
Ordonnances de protection : traiter les violences en urgence
En matière de justice civile, le tribunal judiciaire d'Alençon dispose des ordonnances de protection, un mécanisme permettant la prise en charge rapide des victimes de violences conjugales. Un système pas assez utilisé, selon François Coudert, procureur de la République.
Le juge des affaires familiales du tribunal judiciaire d'Alençon peut délivrer des ordonnances de protection, un dispositif ayant pour objectif une prise en charge rapide des victimes de violences conjugales. Éclairage avec François Coudert, procureur de la République à Alençon.
Quel est l'objectif des ordonnances de protection ?
"Le but est de permettre à une victime de violences conjugales, ou au ministère publique, de saisir le juge des affaires familiales afin que des mesures soient décidées sur le terrain civil et non pas pénal. Les ordonnances de protection ont un intérêt lorsqu'il n'est pas possible de caractériser une infraction de la part du conjoint violent. Ainsi, elles permettent à la justice d'apporter une réponse, même si les violences ne sont pas caractérisées."
Quelles sont les mesures de protection ?
"Le juge se réserve le droit de mettre en place une interdiction d'entrer en contact avec la victime, une obligation de quitter le domicile, et ça peut même aller jusqu'à un port du bracelet anti-rapprochement. Le tribunal judiciaire d'Alençon en dispose de trois en permanence."
Le dispositif est-il assez connu ?
"En 2021, la juridiction a rendu quatre ordonnances de protection. C'est très peu. Les victimes ne sont pas assez informées à ce sujet. Les associations et avocats doivent poursuivre leurs efforts de sensibilisation. Le 16 décembre 2021, une convention pour la mise en œuvre du dispositif d'ordonnance de protection a été signée par l'ensemble de ces acteurs."
Envie d'afficher votre publicité ?
Contactez-nousEnvie d'afficher votre publicité ?
Contactez-nous
L'espace des commentaires est ouvert aux inscrits.
Connectez-vous ou créez un compte pour pouvoir commenter cet article.