Les bruits lointains de marteaux-piqueurs rythment le quotidien des près de 1 500 élèves et étudiants du lycée Corneille, en plein centre-ville de Rouen. L'établissement occupe quasiment tout un îlot au-dessus de l'hôtel de ville, sur plus de 20 000 m2. De Flaubert à Thomas Pesquet, il a accueilli de nombreux élèves prestigieux et est particulièrement réputé pour la qualité de ses Classes préparatoires aux grandes écoles (CPGE). Avec ses bâtiments du XVIIe et du XVIIIe siècles, le lycée fait aussi l'objet de classement et d'inscription aux monuments historiques. Autant d'éléments qui motivent et justifient un investissement exceptionnel de la Région Normandie pour sa restauration complète : 93 millions d'euros pour un chantier qui s'étale entre 2019 et 2027. Le chantier a déjà pris trois ans de retard et la facture a pris 50 % (lire par ailleurs). "C'est le lycée le plus ruineux de la Région", répète à l'envi le président de Région Hervé Morin, qui rappelle que cela coûte bien plus cher qu'un lycée neuf. "La plus grande difficulté est qu'il s'agit d'un chantier d'envergure en site occupé", explique Swanhild Brisset, chargée d'opération pour la Région.
18 classes en préfabriqués
et 16 salles temporaires
Comprenez que l'activité doit se poursuivre le plus normalement possible, au milieu des échafaudages, de la démolition et de la reconstruction. Le chantier concerne pour l'heure la partie nord du site, c'est-à-dire le bâtiment Joyeuse et celui qui accueillera bientôt le nouveau pôle réservé au BTS audiovisuel. Pendant cette phase, 16 classes ont été aménagées dans des locaux désaffectés du bâtiment Corneille, qui correspondent à l'ancien internat. En plus de cela, 18 salles de classe ont été installées dans des bâtiments modulaires, empilés dans la cour Joyeuse et la cour basse. Des préfabriqués qui sont réservés aux élèves du secondaire. "Ça ne change pas grand-chose au quotidien, assure Henri, élève de seconde. Il fait un peu froid l'hiver, mais ce n'est pas ce qu'il y a de pire."
"Avec les conditions sanitaires, il faut ouvrir les fenêtres, c'est infernal"
Quant au bruit, il reste à un niveau acceptable, les travaux étant relativement éloignés vu la taille du site : "J'arrive à faire avec." Certains des préfabriqués sont malgré tout un peu plus près du chantier. "Dans le bâtiment F, dès qu'on ouvre, c'est un enfer avec les marteaux-piqueurs", indique Keziah, en seconde, qui s'y rend environ six heures dans la semaine, notamment pour les cours d'espagnol. Et pas question de garder les fenêtres fermées à toute heure, Covid oblige. "Avec les conditions sanitaires, il faut ouvrir les fenêtres, c'est infernal", enchérit son camarade, Arthur. "On a reçu les représentants des élèves et des parents d'élèves, personne ne m'a parlé des travaux, assure de son côté Patrice Delamare, le proviseur du lycée Corneille depuis septembre 2021. Ils trouvent les nuisances mineures." Le proviseur admet tout de même qu'il faut pouvoir faire des concessions. D'autant que c'est le Conseil d'administration de l'établissement qui a refusé le déménagement des classes Prépa sur la rive gauche, le temps du chantier, au grand dam de la Région.
Le Lycée Corneille en chiffres
Le lycée Corneille à Rouen est le pôle le plus important de Normandie pour les classes prépas. Il accueille aussi un BTS audiovisuel et une section norvégienne.
Effectifs
Le lycée Corneille compte 1 491 inscrits pour l'année 2021 - 2022, dont 482 en Classes préparatoires pour les grandes écoles (CPGE), ce qui en fait le principal établissement de Normandie pour les CPGE. 64 élèves sont inscrits dans le BTS audiovisuel de l'établissement.
182 enseignants travaillent au lycée Corneille, auxquels il faut ajouter 41 intervenants extérieurs réguliers pour les colles.
Niveau
Le lycée Corneille fait partie des meilleurs lycées de la région pour le secondaire. "Nous avons plus de 14 de moyenne en seconde, je n'ai jamais vu ça", détaille le proviseur, Patrice Delamare, arrivé en septembre 2021. Les CPGE de l'établissement sont également réputées et obtiennent de bons résultats. 65 % des élèves de Prépa Économique et commerciale générale intègrent le Top 10 des écoles de commerce françaises. La Prépa BCPST, pour biologie, chimie, physique et sciences de la Terre, est 14e au niveau national pour l'intégration des écoles nationales vétérinaires. En 2021, deux élèves des prépas de Corneille ont intégré Polytechnique et deux ont intégré HEC.
Une section norvégienne
Le lycée Corneille accueille une section norvégienne depuis septembre 1918. 24 lycéens norvégiens sont accueillis en tout dans l'établissement. En 2018, des festivités spéciales ont été organisées pour le centenaire de la section avec la visite de la Reine de Norvège, Sonja Haraldsen, accueillie par Brigitte Macron.
Touche pas à mes classes prépa
La Région avait prévu dans le phasage des travaux le déplacement des classes prépa de Corneille dans un établissement de la rive gauche. C'était sans compter sur le refus du Conseil d'administration de laisser ses meilleurs élèves quitter les murs du prestigieux lycée.
La pilule a été dure à avaler pour la Région Normandie, qui conduit les travaux de rénovation du lycée Corneille. Il a fallu des années de préparation pour ce chantier à tiroirs qu'il faut échelonner très précisément dans le temps, tout en gardant en tête que les cours doivent se poursuivre. La Région a proposé une solution de repli pour les Classes préparatoires aux grandes écoles (CPGE), qui accueillent cette année 482 étudiants. Il était question, le temps des travaux, de les accueillir au sein du lycée Le Corbusier à Saint-Étienne-du-Rouvray pour accélérer le chantier. C'était sans compter sur le refus catégorique du Conseil d'administration de Corneille. "99 % de nos étudiants habitent à moins de 20 minutes à pied du lycée. La proximité entre lieu de sommeil et lieu d'apprentissage est indispensable", justifie Patrice Delamare, le proviseur. Pas question donc d'envoyer les élèves sur la rive gauche, à 40 minutes de transports en commun. Même avis pour Olivier Décultot, professeur de mathématiques pour les CPGE. Lui travaille depuis 1992 dans ce lycée. Forcément attaché au lieu, il évoque même le sérieux qui en découle naturellement. "On ne reconstruit pas ce genre d'endroit au sens moral des choses. Il faut que les cours aient lieu dans l'enceinte pour que l'on puisse maintenir le niveau qui a toujours été le nôtre."
"Le propriétaire nous parle
de murs. Nous, on parle
de statistiques"
Quant aux éventuellement nuisances liées au chantier, elles sont négligeables par rapport aux désagréments qu'aurait entraînés un déménagement, selon le professeur. "En classes préparatoires, on n'a pas vraiment été affectés par le chantier", confirme Thomas Eude, élève en deuxième année de classe PSI, spécialisé en physique et sciences de l'ingénieur. Lui était aussi opposé à un déménagement. "J'étais contre parce qu'on aurait été vraiment loin du centre et cela posait des questions pour l'internat." Perte de prestige, arguments pratiques… Sans déménagement des CPGE, il a fallu revoir sa copie du côté de la Région. "On a bossé six mois sur le sujet [du déménagement, NDLR] et on doit tout recommencer, souffle Swanhild Brisset, chargée d'opération pour la Région. Ça a créé des tensions entre le proviseur et la Région." Le chef d'établissement reconnaît effectivement quelques discussions musclées : "Le propriétaire nous parle de murs. Nous, on parle de statistiques. C'est normal qu'il y ait une incompréhension", indique-t-il. Selon lui, le maintien des CPGE sur site n'a rien à voir avec les déjà trois ans de retard qu'a pris le chantier, davantage liés aux aléas (mérule, amiante, plomb). La Région ne tient pas le même discours. "On aurait gagné entre un et deux ans", assure Swanhild Brisset, qui indique que les travaux du bâtiment scientifique, prévus en 2023, auraient pu commencer dès cette année. Un étalement qui participe aussi au surcoût. "Tous les mois supplémentaires sont payants, avec les frais fixes pour les installations de chantier et l'ensemble des acteurs."
Un chantier colossal qui accuse retard et surcoût
Déjà titanesque dès son élaboration, le chantier du lycée Corneille a en plus été perturbé par de multiples aléas, notamment la présence importante de mérule dans le bâtiment Joyeuse.
La facture est déjà passée de 65 millions d'euros annoncés en 2018 à 93 millions d'euros, selon le dernier point sur le chantier réalisé au mois de décembre par la Région Normandie. Des surcoûts qui ne sont pas rares sur des chantiers patrimoniaux d'une telle envergure. Car c'est au fil de l'avancée des travaux qu'est découverte l'ampleur de la tâche. "On a découvert beaucoup d'amiante et de plomb dans tous les bâtiments anciens", explique Swanhild Brisset, chargée d'opération pour la Région. Des éléments qui avaient été anticipés, mais pas dans de telles proportions. La présence de mérule dans le bâtiment Corneille avait aussi fragilisé la structure. Sur le bâtiment Joyeuse et le futur pôle audiovisuel, l'ensemble des planchers et toitures des bâtiments, trop abîmés, a finalement dû être détruit, ce qui a allongé les délais.
Sous l'aile est du bâtiment Joyeuse, plusieurs alcôves insoupçonnées ont été découvertes. Elles ont certainement servi au stockage des munitions pendant l'Occupation allemande.
Fin de chantier en 2027
La nouvelle salle de conférences, le bâtiment Joyeuse et le pôle audiovisuel doivent être livrés dans le courant du premier semestre 2023. Entre 2023 et 2025, le bâtiment scientifique doit être détruit et reconstruit. La restructuration du bâtiment Corneille doit, quant à elle, s'échelonner entre 2024 et 2027, fin prévue du chantier.
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