La lumière est bleutée, l'ambiance feutrée. De l'autre côté de la vitre, SRK déclame ses vers derrière un micro. Le jeune rappeur de 21 ans vient régulièrement au studio Initia de Gonfreville-l'Orcher. Une structure associative qui voit passer des dizaines d'artistes par semaine, venus enregistrer leurs propres textes. Ils sont pris en charge par Aliou Keïta, alias Onton, ingénieur du son et DJ. "Il faut être pédagogue avec les jeunes, je leur dis de prendre cela comme un travail, de penser comme un chef d'entreprise." SRK en a conscience. "Il faut charbonner à fond. Si ça marche, ça marche", dit placidement l'artiste, un brin gêné par notre présence dans cette bulle qu'est le studio.
Le studio Initia à Gonfreville
Un savoir-faire havrais
À la présidence d'Initia, on retrouve Alassane Konaté, un touche-à-tout qui, avec son compère Proof, compositeur du label Din Records - devenu Mind - a permis au rap havrais de structurer, dès le début des années 2000 (lire ci-dessus). En 2019, les Havrais sont montés à la capitale et y ont cofondé avec Mickaël Reboux le Grand Paris Studio, une structure professionnelle. "Quand on est partis, c'était hors de question de laisser le studio de Gonfreville à l'abandon. Il y a beaucoup de choses à faire, localement, pour les jeunes du bassin havrais", estime ce dernier. Initia permet d'enregistrer des sessions à prix accessibles, avec notamment une formule à 80 euros par titre. "Notre but est de proposer du matériel de qualité professionnelle à des gens qui n'ont pas forcément les moyens de se le payer", poursuit Mickaël Reboux, qui a autrefois travaillé comme compositeur et DJ, sous le nom de Dicé.
La galaxie rap du Havre
Lui aussi est originaire du Havre. "J'ai commencé à faire de la musique vers 16-17 ans, plus par curiosité que par passion", se souvient le trentenaire. Il y a dix ans, il réalise de A à Z sa compilation de rap, et son travail tape dans l'œil de Din Records. "J'étais destiné à une vie d'ouvrier classique, j'avais un CDI dans une grosse société. Mais il y avait toujours cette passion à côté… Alassane m'a convaincu de les rejoindre comme ingénieur du son." Aujourd'hui directeur général du Grand Paris Studio, Mickaël Reboux estime que le savoir-faire havrais a été capital pour se développer rapidement à Paris. "Par le biais de Mind et du développement artistique, tout un réseau s'était tissé. Quand on est arrivés sur Paris, il n'y avait plus qu'à proposer ce que l'on sait faire : enregistrement, mix, mastering, composition…", poursuit Mickaël Reboux. Parmi les grands noms passés par le Grand Paris Studio, le Marseillais Soprano, superstar du rap. "C'est un ami de longue date de Din Records. À l'époque où tout était en train de se créer, Soprano était en train de tout créer de la même manière à Marseille. Il s'est retrouvé chez nous comme s'il était chez lui. C'est la famille du Havre en fait." Les Havrais ont aussi une activité de "musique à l'image", des compositions pour des bandes originales. Ils ont collaboré à Validé, la série consacrée au rap sur Canal+. "Cela a alourdi notre CV, c'est plus facile de convaincre des gens de travailler avec nous." Des séries sur TF1, un long-métrage ou une comédie musicale pour la plateforme Slash de France Télévisions sont aussi venus garnir l'activité ces derniers mois.
"Nous avons notre carte à jouer car il y a une diversité qui n'existe pas ailleurs"
Adam Monroe, originaire du quartier de Caucriauville, est spécialiste du mixage. Il travaille avec des rappeurs confirmés ou en développement, signés en maison de disque.
Parmi les hommes de l'ombre de la galaxie rap havraise, on trouve le Havrais Adam Monroe, 34 ans, spécialiste du mixage. Il travaille entre Gonfreville-L'Orcher et le Grand Paris Studio.
Il a notamment travaillé sur des titres de la bande originale de Validé, la série de Canal+ consacrée au rap.
Quel est votre rôle ?
"Je m'occupe du mixage son, l'étape qui intervient après la prise des voix. Je fais en sorte que tous les éléments sonnent de façon harmonique. J'agis aussi sur le mastering, l'étape finale, qui consiste à normaliser tous les sons pour qu'ils correspondent aux normes d'écoute pour la radio, le streaming, la télévision, etc."
Comment en vient-on à vivre du rap ?
"Quand on habite un quartier populaire (Caucriauville) on fait la musique la moins chère : le rap. Plus jeune, j'ai commencé à écrire, puis j'ai suivi des ateliers de musique assistée par ordinateur avec Proof, membre fondateur du label Din Records, qui a composé des titres de Médine, Youssoupha, Diam's, etc. Après la fac, je l'ai recontacté car je voulais investir dans du matériel. Il m'a dit : 'n'achète rien, vient bosser avec nous'".
Peut-on dire que Le Havre est une ville qui compte dans le rap ?
"Oui, on peut être chauvins ! Il y a un vivier, ici. En dehors des deux grands pôles, Marseille et Paris, nous avons notre carte à jouer car il y a une diversité qui n'existe pas ailleurs. Historiquement, on associe souvent le rap havrais à Din Records, du rap plus conscient, plus réfléchit, plus écrit. Je pense que c'est resté dans l'ADN du rap de Normandie. Ici, on aime bien revendiquer des choses, dénoncer".
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