À l'heure où la campagne électorale s'accélère avant l'élection présidentielle, sans doute comme à chaque fois, quelque candidat ne manquera pas de stigmatiser les plus démunis, les bénéficiaires des minima sociaux "qu'il faut remettre au travail". Une diatribe sans doute supposée rapporter quelques voix dans les urnes. Le gouvernement vient d'ailleurs de durcir les conditions d'indemnisation qui sont accordées par Pôle emploi.
Si la critique est à la portée du premier venu, trouver une solution durable en revanche, donner un coup de pouce à celles et ceux qui cherchent à s'en sortir, à retrouver un travail et une dignité, est plus compliqué. C'est l'objet de notre enquête à la rencontre de structures d'insertion dans l'Orne ; mais surtout avec quelques-uns de leurs bénéficiaires, très loin de la caricature de la population que l'on imagine inconsciemment comme concernée.
Booster le retour
à l'emploi
D'éminents spécialistes expliquent que la relance économique est là, que la croissance n'a pas été aussi élevée depuis longtemps. Mais dans l'Orne, où la main-d'œuvre est souvent peu qualifiée, c'est peut-être un peu plus compliqué qu'ailleurs. Selon chiffres de Pôle emploi, en septembre dernier, le nombre de demandeurs d'emploi sans diplôme y augmente de 1,2 %. Ils y sont 6 % plus nombreux que dans le département voisin du Calvados.
Fin 2019, avant la crise de la Covid-19, le Conseil départemental de l'Orne dénombrait 6 592 ménages bénéficiaires du RSA, soit 13 520 personnes. C'est 5 % de la population du département. Un tiers avait moins de 35 ans. La moitié était des personnes seules. Un quart était des familles monoparentales. Depuis, la Covid-19 est passée par là et a fragilisé économiquement bien des autoentrepreneurs et autres indépendants. Nul n'est à l'abri d'un accident de la vie : maladie, burn-out, divorce qui peut amener à perdre son emploi, à dégringoler socialement. À devoir se reconstruire, comme en témoigne ci-contre un ex-ingénieur.
Au second trimestre 2021, 5 000 Normands étaient embauchés par une structure d'insertion.
Des structures spécialisées
dans l'Orne
Elles s'appellent ACI, ATRE, AIFR… Quel que soit leur statut : entreprises d'insertion, associations intermédiaires, ateliers et chantiers d'insertion, tous ont peu ou prou la même mission d'une double insertion, sociale mais aussi professionnelle, des personnes exclues qu'elles emploient. Cette mission fait l'objet d'un conventionnement avec les pouvoirs publics. Les salariés en insertion ont un contrat particulier, qui est un Contrat de travail à durée déterminée d'insertion. Ils et elles repassent et reprisent du linge, tondent les pelouses, entretiennent les cours d'eau, effectuent des petits travaux, comme n'importe quel autre salarié.
Mais avec l'espoir de, très vite, retrouver un emploi dans le secteur marchand. Pour beaucoup, cela prend moins d'un an.
Une entreprise de nettoyage et d'insertion
L'entreprise d'insertion Espace-Propreté emploie Xavier Prévost, qui est en mission à Carrefour Market.
Espace-Propreté, entreprise à mission inclusive, est depuis septembre 2021 Cours Clemenceau à Alençon. Si son travail doit être d'aussi bonne qualité que celui de ses concurrents, il est fait en couplant la formation des salariés éloignés de l'emploi, et la production. "La finalité est qu'ils obtiennent une certification professionnelle et qu'ils deviennent autonomes", explique Pascal Gahéry, à la tête de l'entreprise. "Pour cela, nous avons besoin que des entreprises locales nous confient des missions de nettoyage [Tél 02 21 76 43 91]."
L'engagement de Carrefour Market
"On travaillait avec une entreprise de nettoyage de Caen, c'était compliqué d'avoir un interlocuteur", explique Cynthia Pays, manager administratif et financier du Carrefour Market de la gare, à Alençon. "Il y a un an, on a décidé de faire travailler des gens d'ici, et tout est devenu plus simple. Le choix d'une entreprise d'insertion, c'est parce qu'on est dans un bassin d'emploi en difficulté, ça permet à des gens de bénéficier d'une formation qualifiante, d'être accompagnés, c'est valorisant." La dirigeante est visiblement séduite, "on peut avoir des a priori, mais si on ne leur laisse pas une chance, on ne peut pas savoir. Le travail est bien fait, notamment lorsqu'on a eu des travaux pendant six mois, ils se sont adaptés. Toutes les semaines, on a un encadrant qui fait le point avec nous, s'il y a un problème, aussitôt ils sont là." Elle va même plus loin : "Je dirais aux autres entreprises de ne pas hésiter à signer un contrat avec eux."
Après un burn-out, Xavier Prévost est en train de se reconstruire
À Alençon, Espace-Propreté accompagne vers l'emploi des hommes et des femmes qui s'en étaient éloignés.
Il y a quatre ans, Xavier Prévost était responsable qualité dans le secteur aéronautique. "Sur mon dernier projet, il y avait cent vingt personnes pour l'aviation civile, mais aussi militaire." On n'en saura pas davantage, secret-défense. Les projets grandissent, entraînant toujours davantage de travail, puis c'est le burn-out : "Je n'y arrivais plus, je me suis évanoui quelques fois." Tout s'effondre. Une grosse dépression. "C'était mental, j'ai tout plaqué." Il change de région, arrive en Normandie. "Dans la première phase, ça va parce que j'ai touché les indemnités de chômage. La seconde phase, j'ai commencé à me poser des questions parce que je n'arrivais pas à retrouver une position sociale et la troisième phase, c'est le RSA, et ça devient très compliqué." Depuis un an, Xavier essaie de reprendre pied en se réinsérant dans l'emploi. "J'ai trouvé une femme qui m'aide beaucoup, et sa famille qui me supporte beaucoup aussi, ça a été le début de ma reconstruction."
Renaître, en mission d'insertion
Puis, "il y a eu une l'agence ID'EES-Intérim qui m'a aidé, qui m'a orienté vers Espace-Propreté et petit à petit, j'essaie de me remettre au travail. Pour l'instant, il n'y a pas beaucoup d'heures, je suis en insertion. Ce sont des contrats sur deux ans, pas plus. J'ai un projet qui est de m'installer en tant qu'apiculteur, mon employeur est au courant. Ça tombe bien, je pense que ça va me prendre deux ans pour devenir autonome et concrétiser cette entreprise en créant mon propre emploi." Après son burn-out, pas question pour Xavier Prévost de retourner dans l'aéronautique qui, entre-temps, a subi de plein fouet la crise de la Covid-19. Et puis, l'envie de changer : "Cette période a fait mûrir mon projet, j'ai vraiment envie d'autre chose. Mais je reviens de loin, il faut que je me reconstruise d'abord, deux ans devraient me permettre d'y arriver."
Se reconstruire en lavant les sols
C'est de bon matin, alors qu'il lavait le sol du supermarché Carrefour Market près de la gare d'Alençon, que nous avons rencontré Xavier. "Quand les clients arrivent dans un magasin d'alimentation, ils s'attendent à ce que ce soit propre et j'en ai la responsabilité. Quand j'étais chef de projet à la tête d'une équipe de plus de cent personnes, il y avait des ouvriers avec un vrai savoir-faire, qu'on ne néglige pas dans une équipe. Ce sont eux qui bossent, chacun est indispensable, je n'aurais rien été sans eux, l'encadrement est juste là pour organiser. Ici, c'est pareil, aujourd'hui je passe le balai et ça ne me pose pas de problème."
Xavier estime qu'il a beaucoup de chance d'être soutenu par son amie et ses proches. Beaucoup de chance aussi de l'excellent accueil lorsqu'il s'est présenté chez Espace-Propreté, "vraiment bienveillant, de bon conseil, tous les moyens donnés à disposition pour travailler". Une fierté pour lui "plutôt que de rester à ne rien faire". Dans sa tête, son projet continue de mûrir : quand ça ira mieux, il va s'installer avec deux cents ruches sur trois terrains différents, dont un principal dont il sera le propriétaire.
On lui donne volontiers rendez-vous pour la première récolte de miel, dans un peu plus de deux ans…
Retrouver le chemin de l'emploi durable
L'AIFR du Bocage, dont le siège est à Flers, est l'une des structures ornaises d'insertion. Elle emploie quelque deux cents personnes chaque année.
L'AIFR du Bocage Ornais a son siège à Flers et deux antennes, à La Ferté-Macé et à Domfront. Elle emploie 78 équivalents temps plein en CDD d'insertion, soit en moyenne cent personnes par mois. Avec le turn-over, ce sont deux cents personnes qui sont accompagnées annuellement par dix-sept professionnels. "Sur nos trois sites, c'est du travail d'entretien en espaces verts ; sur Flers, c'est également du petit œuvre en bâtiment, du maraîchage biologique, et du repassage-couture", explique Jérôme Raoult, le directeur. "Ce sont des personnes en difficulté vis-à-vis de l'emploi, mais aussi en difficulté sociale, donc nous avons un double accompagnement : professionnel pour remettre en situation de travail avec des horaires, des collègues. Et un accompagnement individualisé sur les problématiques personnelles."
Douze mois pour retrouver le rythme
Ces personnes restent en moyenne un peu moins d'un an à l'AIFR. "L'an dernier, on était dans les 55 % qui débouchaient vers un emploi durable (intérim de plus de six mois, CDD, CDI, création d'entreprise). D'autres n'avaient que des contrats de moins de six mois, mais l'important est de retrouver un travail, d'être à nouveau au contact d'employeurs. Enfin, d'autres vont vers des formations qualifiantes." Toute structure d'insertion par l'activité économique doit équilibrer ses comptes avec ses productions, qui sont confiées aux personnels qui sont en réinsertion.
Pour réinsérer, La Redingote trie puis vend des vêtements de seconde main
AGIR-La Redingote à Alençon vient d'ouvrir une nouvelle boutique de vente de vêtements de seconde main. Elle fonctionne grâce à des salariés qui sont en insertion.
Trois questions à Fabien Lemaître, directeur d'Agir La Redingote, qui a ouvert une nouvelle boutique de vente de vêtements de seconde main, 160 boulevard Leclerc à Alençon.
Pourquoi cette nouvelle boutique ?
"Depuis 1990, notre objectif est d'accompagner les personnes en difficulté qui se présentent auprès de notre association. Elles sont en contrat à durée déterminée d'insertion et ce nouveau plateau est davantage professionnalisant avec de l'accueil client et du conseil. Il faut aussi faire de l'étiquetage, du cintrage, de la mise en rayon, du réassort, tous les métiers que l'on retrouve dans le commerce classique."
Etes-vous un gros employeur ?
"Sur le pôle textile à Alençon, on a une trentaine de salariés en contrat d'insertion de six mois. La moyenne d'un parcours est de 12 mois, donc on reçoit en moyenne 50 ou 60 salariés par an : chauffeurs pour la collecte, personnes au tri, d'autres en magasin. En 2021, nous sommes arrivés autour de 85 % de salariés qui sont sortis de l'insertion vers l'emploi ou la formation."
Chacun peut-il y contribuer ?
"On fonctionne grâce à toutes les personnes qui déposent du textile dans nos 150 containers blancs, soit mille tonnes par an ! Mais aussi grâce à tous ceux qui viennent acheter à la boutique, c'est ce qui nous permet de payer le loyer du magasin, les salaires des encadrants, mais aussi les véhicules de la collecte des containers et leur carburant. Et ainsi, de remplir notre objectif d'insertion des personnes qui sont en difficulté vers l'emploi durable."
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