"On n'est pas loin de l'Abbaye aux Hommes, le tramway pourrait créer des dégâts sur l'église, au niveau du vitrail. On n'est pas à l'abri d'effondrements", "C'est très fragile en dessous. Les vibrations peuvent mettre en danger les structures des bâtiments". Les commerçants de la rue Guillaume le Conquérant sont remontés. Le passage du tram dans cette rue historique du centre-ville de Caen est l'une des pistes étudiées par la communauté urbaine. En mars dernier, lors d'un conseil communautaire, Caen la Mer avait évoqué le souhait de réaliser une nouvelle ligne de tramway permettant de relier l'est à l'ouest de Caen. En effet, elle a répondu à un appel d'offres de l'État relatif aux transports en commun en site propre. Trois tracés ont été identifiés.
Le premier passerait par la rue Guillaume le Conquérant, dont les fondations datent du XVIIIe siècle (lire ci-dessous), puis la rue de Bayeux pour remonter vers le quartier du Chemin-Vert et de l'autre côté par le boulevard Yves Guillou pour rejoindre le quartier de Beaulieu. Le second passerait par la rue du Carel puis la rue Damozanne. Enfin, le troisième "ressemble plus à un Y à partir de la rue de Bayeux", selon Nicolas Joyau, élu en charge des mobilités à Caen la Mer.
Concertations publiques
Joël Bruneau, maire de Caen et président de la communauté urbaine, a affiché sa préférence pour le tracé A. "Le lycée Malherbe, la patinoire et la piscine drainent du public au quotidien. Cela me paraît pertinent. Quel que soit l'axe retenu, on doit veiller à améliorer la qualité de vie des riverains." Et conserver le dynamisme commercial. Par ailleurs, des réunions publiques sont organisées courant cette fin d'année. Le sujet du tram par la rue Guillaume le Conquérant soulève de nombreuses interrogations. Outre les nuisances sonores liées aux travaux et au passage du tramway, la peur de voir "mourir les commerces" fait du bruit. Le potentiel impact pour les monuments historiques du quartier comme l'Abbaye aux Hommes et l'abbatiale Saint-Etienne font aussi débat. "Si ce projet est retenu, il s'agirait d'une voie unique, explique Nicolas Joyau. Les trams ne se croiseraient qu'aux arrêts, situés place Fontette, place des Petites-Boucheries et devant le gymnase de la Haie Vigné. Les piétons, vélos et les voitures seraient autorisés à passer aux abords de la plateforme pour permettre aux riverains de regagner leur parking privé ou aux livreurs d'accéder aux commerces.
"Il n'y aura pas de circulation générale", assure l'élu, qui semble avoir une idée déjà bien précise du projet. Toujours selon la communauté urbaine, il y aurait entre 4 m et 4,50 m de large de chaque côté de la voie. Nicolas Joyau veut rassurer les habitants et commerçants des bâtiments anciens. "Des études géotechniques et d'impact vont être réalisées pour sécuriser les travaux. D'autres villes ont fait passer le tramway dans des rues plus étroites avec un patrimoine tout aussi historique", indique-t-il, en référence aux villes d'Angers et de Strasbourg, où le tram est bel et bien opérationnel.
"Il n'y a pas vraiment de menace structurelle"
Faut-il craindre le potentiel passage du tramway rue Guillaume le Conquérant à Caen pour les bâtiments historiques ? Des experts techniques tentent de répondre.
Tout juste trois ans après avoir mis sur fer la totalité du réseau tramway de Caen, la communauté urbaine Caen la Mer n'est pas rassasiée. Elle a d'ores et déjà lancé une consultation pour trouver la maîtrise d'ouvrage qui sera mobilisée pour créer la future ligne. La mise en service est prévue pour 2028. Le tracé qui pourrait passer par la rue Guillaume le Conquérant est le seul qui verrait le tramway passer à proximité de monuments classés monuments historiques. Il s'agit là de l'abbatiale Sainte-Etienne de l'Abbaye aux Hommes, mais également des deux pavillons situés à l'entrée de la rue, au niveau de la place Fontette. "Aux abords d'un monument classé monument historique, dans un rayon de 500 mètres, tout est soumis à l'aval d'un architecte des bâtiments de France (ABF)", indique Yves Coulomb, directeur d'Attica, société spécialisée dans l'aménagement en urbanisme et paysage. Elle était justement intervenue lors des travaux proches de l'église Saint-Pierre, en 2019.
Des aménagements pour amortir
les vibrations
Après une étude d'impact acoustique et vibratoire, le passage du tramway ne présente aucun risque pour l'édifice à cet endroit. "Sur Caen, on a beaucoup eu recours au granit et au grès sur le pavé." De la même manière, rue Guillaume le Conquérant, faire cohabiter le tramway avec des bâtiments anciens ne devrait pas présenter de danger. "Au-delà de 4 mètres, le sol diffuse et amortit les mécanismes, poursuit Yves Coulomb. Les vibrations se propagent à un angle d'environ 45 ° sous le sol pour passer sous les fondations." En effet, ce sont les vibrations qu'engendre un tramway qui inquiètent le plus. Dans le cas de la rue Guillaume le Conquérant, le tram passerait tout proche des habitations. Dans le cas où un bâtiment souffre de fragilités, il faudrait prendre quelques précautions.
Par exemple, "installer une dalle flottante sous les rails du tramway. Cela consiste à mettre en place une couche de caoutchouc entre la première et la deuxième couche de béton", comme un tapis amortisseur. Cette technique est, en revanche, "plus onéreuse", tient à ajouter Christophe Verdin, chef de projet dans la société d'ingénierie Artelia. Selon Etienne Dumortier, étudiant en double cursus ingénieur et architecte à Caen, "il n'y a pas vraiment de menace structurelle". Ce chantier nécessiterait deux voire trois ans de travaux, à coups de pelles et de marteau-piqueur, juste à côté du patrimoine ancien. Que les riverains soient rassurés. "Les vibrations sont minimes pour les bâtiments. On creuse seulement sur des dizaines de centimètres.". Pour ces spécialistes, la contrainte concerne notamment les nuisances sonores et esthétiques. "Le tram permet aussi de réduire la circulation automobile", tempère Christophe Verdin. Là encore, seul l'architecte des bâtiments de France décide de ce qu'il est possible de faire autour d'un bâtiment classé.
À Nicolas Joyau d'insister. "On ne prendra pas de risques. Si le tram passe par là, c'est que l'on a une garantie que tout se passe bien. Et ce, sur le long terme." Le message est clair. À condition qu'il n'y ait pas de mauvaises surprises.
"Revaloriser le patrimoine en améliorant les aménagements urbains"
Trois tracés pour la future ligne de tramway sont à l'étude. L'un d'entre eux passerait par un centre historique de Caen. Y a-t-il des risques ? Réponse de Nicolas Joyau, en charge des mobilités à la communauté urbaine.
Trois tracés sont à l'étude. Qu'est-ce qui va motiver vos choix ?
"C'est un ensemble de facteurs. De nombreuses études de circulation et de stationnement sont en cours. Les résultats vont peut-être faire ressortir des difficultés techniques sur certains axes. L'écoute des habitants et des acteurs du quartier va aussi peser dans la balance. Quel que soit le tracé, l'accessibilité aux riverains et aux établissements scolaires sera maintenue. La décision sera prise au premier semestre 2023, en conseil communautaire."
Si le tram devait passer par la rue Guillaume le Conquérant, avez-vous pris en compte les bâtiments historiques du quartier ?
"Bien sûr. Des études géotechniques vont permettre de définir des modes constructifs pour les travaux et le dimensionnement de la plateforme du tramway pour absorber les vibrations. Il y aura aussi des études d'impact sur l'environnement. Le tracé choisi doit être celui qui va offrir le meilleur service au plus grand nombre de personnes."
Les commerçants et riverains s'inquiètent de la protection de ce patrimoine. Y a-t-il un risque ?
"Ce n'est pas une première en France de construire un tram proche de bâtiments historiques. Les sols vont être scrupuleusement inspectés. Si on n'a pas de garantie nécessaire, on choisira un autre tracé. La collectivité ne va pas s'engouffrer dans un projet qui présente des risques pour les biens et les personnes. L'enjeu est de revaloriser ce patrimoine historique en améliorant les aménagements urbains."
Un bâti qui date du XVIIIe siècle
La future ligne de tramway de Caen pourrait passer par la rue Guillaume le Conquérant. Plusieurs bâtiments datent du XVIIIe siècle et sont classés monuments historiques.
La ville de Caen s'est construite autour de trois pôles : le château en plein cœur de ville, l'Abbaye aux Dames où se situe le Conseil régional et l'Abbaye aux Hommes qui compose l'hôtel de ville. Ce dernier monument, "un lieu chargé d'histoire auquel les Caennais sont attachés", selon Christophe Maneuvrier, enseignant-chercheur en histoire à l'Université de Caen, est situé dans la rue Guillaume le Conquérant.
"Des structures solides et robustes"
En effet, cette rue est l'une des rares à avoir été quasiment épargnée par les bombardements de 1944. Les fondations des bâtiments qui longent la rue datent du XVIIIe siècle, si bien que l'ancien tribunal de justice, les deux pavillons situés aux 2-4 place Fontette et l'abbaye sont classés au patrimoine des monuments historiques. "Ce quartier a une valeur patrimoniale extraordinaire. On se situe à la limite entre Bourg-l'Abbé et Bourg-le-Roi, qui avaient chacun leur muraille à la fin du Moyen-Age", explique Etienne Dumortier, qui a par ailleurs fabriqué une maquette de l'Abbaye aux Hommes. Cet édifice, assez "massif", est fait d'une "structure en bois, de caves voûtées en pierres de Caen, de planchers en bois. Ce sont des structures solides et robustes, poursuit-il. Les vibrations générées au cours d'un chantier ou le passage d'un tram ne seraient pas de nature à détruire un édifice de ce type." La communauté urbaine tient certainement à conserver ce secteur patrimonial remarqué.
Envie d'afficher votre publicité ?
Contactez-nousEnvie d'afficher votre publicité ?
Contactez-nous
L'espace des commentaires est ouvert aux inscrits.
Connectez-vous ou créez un compte pour pouvoir commenter cet article.