Minuit sur les boulevards rouennais. Des ombres surgissent aux carrefours, dans les contre-allées mal éclairées. Il y a là de jeunes Roumaines, des travestis péruviens ou des Nigérianes. Les tenues sont provocantes. Sous les pas-de-porte, des dizaines de solitaires de la nuit attendent le client. Depuis le bas du boulevard des Belges, jusqu’à la place du Boulingrin, ou sur l’avenue Jean Rondeaux, rive gauche, c’est toujours le même ballet. La face visible d’un iceberg tenu par des proxénètes discrets.
La loi du silence
“Dans les années 90, nous avons vu arriver des femmes étrangères, d’Europe de l’Est et d’Afrique”, explique le commissaire Christophe Bellini, chef de la Sûreté départementale. Aujourd’hui, alors que la prostitution de luxe ou “d’appartements” échappe encore à tout contrôle, celle-ci se déploie autour des grands axes. Rive droite, sous le pont Guillaume Le Conquérant, à proximité du Boulingrin, rive gauche ou dans les forêts de Oissel, il n’est pas rare non plus d’apercevoir quelques camionnettes.
Mais un autre phénomène inquiète : l’essor récent de la prostitution de jour dans les petites rues débouchant sur le boulevard des Belges. “Elle se développe car une clientèle diurne existe”, glisse, laconique, le commissaire Bellini.
Bruits, stationnements intempestifs, préservatifs usagés sur les trottoirs ou dans les cours d’immeuble : depuis des années, de nombreux riverains se plaignent. Des pétitions tournent. Alors, chaque nuit ou presque, la police interpelle et “maintient la pression”. Les prostituées en flagrant délit de racolage actif sont pistées puis arrêtées dans les bras de leur client, avant d’être auditionnées. Puis libérées dans la foulée. “Cela nous permet parfois de récolter quelques informations sur les réseaux. Mais nous nous heurtons au silence”, déplore Christophe Bellini. Des filles dénonçant leur proxénète, bien qu’une loi les encourage, sont rarissimes”. Et les enquêtes piétinent. Car derrière ces femmes ou ces travestis se cachent le plus souvent des réseaux de proxénétisme transfrontaliers, mal identifiés. La filière roumaine, très active, suit ainsi une “logique de village”. “Les enquêtes de proxénétisme aggravé sont très, très longues à mener”, confie-t-on à la Sûreté départementale de Rouen.
Fatalisme ? La municipalité ne veut pas y céder. “Je comprends l’agacement des riverains. Seulement, on ne peut pas traiter le problème sous le seul angle répressif”, estime Christine Rambaud, maire-adjointe de Rouen chargée de la nouvelle stratégie territoriale de sécurité et de prévention de la délinquance. Et pourquoi ne pas prendre des arrêtés anti-prostitution comme à Lyon, Orléans ou Cannes ? “Ce n’est pas souhaitable”, estime l’élue. “Cela déplacerait le problème et ferait courir encore plus de risques aux prostituées”.
La stratégie de la Ville vise aujourd’hui à améliorer la coordination entre ses services, la police et les associations, sensibiliser le grand public et la clientèle, renforcer l’accès des prostituées aux soins et aux droits et développer les logements d’urgence pour celles souhaitant changer de vie. “Il est indispensable de les accompagner dans ce sens”, juge Mme Rambaud. A l’heure où les prostituées maîtrisent mal le français et ne voient dans Rouen qu’une étape de leur tour d’Europe forcé, la tâche s’annonce pourtant difficile.
Thomas Blachère
Face à la prostitution, le long combat humaniste du Nid
Peu d’associations se frottent à la prostitution. A Rouen, elles sont deux : Médecins du monde, qui propose un suivi sanitaire et distribue des préservatifs, et le Mouvement du Nid. A la tête de celui-ci, Marie-Bernard Dauphin, une religieuse engagée depuis vingt ans dans cette association prônant “l’abolition du système prostitueur”. A ses côtés, trois bénévoles et deux jeunes.
Régulièrement, en binôme, ils partent à la rencontre des prostitué(e)s rouennais. “Notre but est de les accompagner vers la sortie de la prostitution, mais seulement s’ils le désirent”, explique Marie-Bernard Dauphin. Le Nid a ainsi aidé plusieurs péripatéticiennes à trouver un emploi et un logement sécurisé. “C’est plus difficile avec les étrangères”, reconnaît Bernard Lizée, l’un des membres. Selon le Nid, le problème ne sera pas réglé sans une sensibilisation choc du grand public, jeunes et clients de prostituées en tête. Plus d’informations sur www.mouvementdunid.org
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Repères
Combien sont-elles ? La police estime qu’une centaine de prostitué(e)s feraient le trottoir à Rouen. Chaque soir, une trentaine de femmes et d’hommes travestis seraient de sortie.
Trottoirs, territoires. Les Roumaines, les Nigérianes et les travestis sud-américains se partagent les trottoirs, chacun de leur côté. Les frictions entre communautés seraient rares.
Légalité. La loi n’interdit pas la prostitution, mais seulement le racolage, autrement dit l’incitation à des relations sexuelles en échange d’une rémunération.
Réseau. En 2008, après 18 mois d’enquête, les policiers rouennais avaient réussi à interpeller une dizaine de proxénètes d’Europe de l’Est. Depuis, plus grand chose.
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