Une semaine après les révélations de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l'église (216 000 victimes), et alors que Monseigneur Éric de Moulins-Beaufort, président de la Conférence des évêques de France, était reçu mardi 12 octobre par le ministre de l'intérieur, Gérald Darmanin (NDLR : après ses propos sur le secret de la confession), le diocèse de Bayeux-Lisieux fait, lui aussi, face à son histoire. Et ce, en étroite collaboration avec la justice.
Classés sans suite
"Le diocèse a déjà écrit à plusieurs occasions au parquet", relève Amélie Cladière, procureure de la république à Caen. Si un seul signalement lui a été transmis depuis son arrivée il y a 18 mois - pour des faits qui n'ont pas été commis dans le département -, le parquet a, lui, repris quatre dossiers antérieurs.
Pour trois d'entre eux, aucune poursuite ne devrait être engagée. Dans l'un des cas, "l'auteur des faits n'est pas identifiable d'après les souvenirs de la personne qui se plaint", explique la magistrate. "Les deux autres ont été classés sans suite pour des faits trop anciens."
Un prêtre devant
la justice en novembre
La dernière affaire en revanche sera, elle, bientôt jugée devant la cour criminelle du Calvados. "Elle était en cours d'instruction quand je suis arrivée. L'accusé n'est pas en France. Il fait l'objet d'un mandat d'arrêt international. Mais le dossier est prêt à être jugé", relate Amélie Cladière.
De fait, le père Mansour Labaky, aujourd'hui âgé de 81 ans, est mis en examen depuis 2013 pour viols et agressions sexuelles sur mineures de 15 ans par personne ayant autorité. Des faits qui seraient survenus dans les années 90 à Paris, mais aussi à Douvres-la-Délivrande, où ce prêtre maronite dirigeait un foyer d'accueil pour jeunes enfants. Le procès, dont la date est arrêtée au lundi 8 novembre, devrait avoir lieu en son absence, l'accusé niant les faits et étant actuellement en fuite au Liban. La Congrégation pour la doctrine de la foi, qui fait autorité au sein de l'Église, n'a pour sa part pas attendu la collaboration de l'accusé pour le condamner "à une vie de prière et de pénitence". Devant le tribunal, le père Labaky encourt vingt ans de réclusion.
Une collaboration de plus en plus simple
L'affaire Labaky, dans le contexte actuel de libération de la parole au sein de l'Église, devrait avoir un retentissement médiatique certain.
De quoi conforter l'élan engagé par la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l'église, qui recommande notamment dans son rapport d'introduire "un dispositif d'enquête de police systématique suivie d'un entretien des victimes de violences sexuelles avec un magistrat lorsque la prescription pénale est acquise", mais aussi de généraliser "les protocoles entre parquets et diocèses, incluant un engagement des diocèses à transmettre les signalements et un engagement des parquets à diligenter les enquêtes dans des délais courts".
"Si les faits ne sont pas prescrits et que l'auteur est toujours en vie, nous agirons"
Marie-Noëlle Bouchaert est à la tête de la chancellerie du diocèse et aussi coordinatrice de la cellule d'écoute.
Quel est le rôle de la cellule d'écoute
du diocèse ?
"Elle est composée d'un médecin, d'une avocate, d'une psychologue, d'une accompagnatrice spirituelle et de moi. Les profils sont variés afin d'accompagner au mieux les victimes. Ces dernières peuvent nous appeler ou nous envoyer un mail afin de nous parler. Dans la plupart des cas, les faits sont prescrits ou une démarche est déjà en cours auprès de la justice, mais ça permet aux victimes d'être reconnues."
Comment accompagnez-vous
les victimes ?
"Notre démarche est vraiment d'être à l'écoute. Après un premier contact, nous proposons à la personne de se rencontrer. Si besoin, nous pouvons l'orienter vers une psychologue ou bien vers la justice. Il faut savoir que nous sommes en lien avec notre évêque, mais indépendants. C'est-à-dire que si on l'informe de ce qu'il se passe en lui suggérant d'agir mais qu'il ne fait rien, ce qui n'est jamais arrivé, nous le faisons à sa place."
Lorsqu'une victime témoigne,
quelles sont les suites ?
"Nous avons reçu 12 personnes dans la cellule. Pour l'instant, nous n'avons pas déclenché de procès en justice en tant que tel, mais nous avons aidé une personne à reformuler un signalement auprès du procureur. Monseigneur Boulanger, évêque du diocèse de 2010 à 2020, avait signalé au procureur trois situations, dont une fait l'objet d'une enquête. Si les faits ne sont pas prescrits et que l'auteur est en vie, nous agirons de notre côté. Y compris si la victime n'agit pas, mais on ne fait rien sans le lui dire."
Plus d'informations par téléphone : 07 57 40 65 56 ou par mail à l'adresse : ecoute.victimes14@bayeuxlisieux.catholique.fr
Affaire René Bissey : qu'est devenu le prêtre ?
En octobre 2000, l'abbé René Bissey était condamné à 18 ans de prison par la cour d'assises du Calvados pour viols et atteintes sexuelles sur mineur. Une première en France.
L'affaire avait fait grand bruit dans le Calvados et en France. En octobre 2000, l'abbé René Bissey, 56 ans à l'époque, est condamné à dix-huit ans de prison par la cour d'assises du Calvados, qui le reconnaît coupable de viols et d'atteintes sexuelles sur mineur. Les faits, pour lesquels onze victimes se sont manifestées, se sont déroulés entre 1987 et 1996, au sein des paroisses du Chemin-Vert et de Vaucelles, à Caen. Qu'est devenu le prêtre ? "Je n'ai pas à savoir où il est. Il a été jugé et condamné, c'est tout ce que je sais", indique Amélie Cladière, la procureure de la République de Caen.
Un évêque condamné,
une première en France
"Il a purgé sa peine", évoque lui aussi Alexandre Barbé, directeur de la communication du diocèse de Bayeux-Lisieux. Et de continuer : "Il n'est plus prêtre. Il a été rendu à l'état laïc et vit désormais dans un établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes, hors de notre région."
Cette affaire Bissey, c'est aussi celle de Monseigneur Pierre Pican, condamné en juin 2001 à trois mois de prison avec sursis pour non-dénonciation de pédophilie. Une première en France. L'évêque, saisi des agissements du prêtre par son vicaire général (qui avait lui-même recueilli la parole de la mère d'une des victimes), avait en effet choisi le silence. Il est décédé en juillet 2018, à l'âge de 83 ans.
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