Elle est belle comme un cœur. Sa photo est partout : sur les murs, au-dessus du buffet. On la voit à quatre ans, les cheveux bouclés, ses yeux déjà très grands et très bleus. "Les yeux de son grand-père", dit son père.
Sa chambre à l'étage est restée intacte depuis qu'elle n'est plus là. Johnny Autin n'y a pas touché, n'a rien changé. Il ne veut pas, ne peut pas. Chaque soir, avant de se mettre au lit, il adresse à sa fille unique un bonsoir, pour lui souhaiter une belle et douce nuit. La sienne ne l'est plus jamais. "Son visage à la morgue me hante, c'est devenu mon cauchemar. Je dors avec son tee-shirt sur le dos et, quand je me réveille chaque matin, c'est à elle que je pense. Et à chaque fois, je me dis que je vais devoir affronter encore une journée sans elle, une journée de foutue."
Dans sa petite maison de Tourville-sur-Arques, près de Dieppe, au fond d'une impasse du centre-bourg, le père de Mégane, victime à Rouen en août 2016 de l'incendie du bar Le Cuba Libre avec treize autres jeunes, dont son chéri Florian, peine à se relever : l'ancien éducateur au sein d'un chantier d'insertion est comme une ombre qui passe son temps au lit, bourré de médicaments, des calmants et des somnifères. "Mes seules sorties, c'est une fois la semaine pour aller faire mes courses et aller voir le psychologue à l'hôpital. Je ne vis plus, je survis. Sans les médicaments, ça serait terminé."
Quelques mois après la disparition de sa fille, il a tenté de mettre fin à ses jours. Les pensées suicidaires lui reviennent toujours en boucle. "Je n'ai plus d'amis. La plupart de ceux que je connaissais m'ont tourné le dos, ils n'osent plus me parler. Même mon ancienne concubine m'a laissé tomber parce qu'elle ne voulait pas vivre avec un déprimé." Gautier, le cousin de Mégane qui l'accompagnait ce soir-là au Cuba libre et qui fut l'un des seuls rescapés, n'a plus jamais donné de nouvelles à son oncle. "Je lui avais proposé de venir me voir de temps en temps. Il n'est jamais revenu à la maison. Je ne lui en veux pas. C'est son choix."
70 000 € d'indemnités,
50 000 € pour l'avocat
C'est justement Gautier qui, la nuit du drame, avait prévenu les parents de Mégane. Cinq ans et demi après, la douleur est la même, toujours insupportable. "Ce n'est pas une page de ma vie qui s'est tournée, c'est une page qui s'est fermée définitivement. Quand j'ai dû aller reconnaître son corps à la morgue, j'ai eu l'impression qu'elle dormait, elle était toute belle, toute douce. J'ai voulu la réveiller et j'ai compris que je ne la reverrai plus jamais. Je lui ai fait un dernier bisou. J'étais comme un fou."
Il dit de Mégane qu'elle était studieuse, battante, volontaire. "Une jeune fille de son temps qui aimait la musique boum-boum et qui ne reculait devant rien." Elle se préparait au métier d'assistante sociale, vivait en couple avec Florian qui préparait un bac professionnel en carrosserie et s'apprêtait à fêter ses vingt ans.
La nuit du drame, Mégane est passée au Cuba Libre pour dire bonsoir au DJ Zacharia, l'un de ses amis, lui aussi victime de l'incendie. Elle est arrivée dans le bar vers 23 h 45, une demi-heure tout juste avant le drame. Johnny est allé voir sur place. Il est descendu dans la cave où sa fille a trouvé la mort, prisonnière des flammes. "C'est criminel d'avoir aménagé ce type d'endroit. Jamais cela n'aurait dû être autorisé."
L'affaire est revenue tout récemment devant les tribunaux, certaines familles ont fait appel des jugements prononcés sur leurs indemnités. Pas Johnny, il a renoncé. "L'argent ne m'intéresse pas." Pour seule indemnité pour la mort de sa fille, il dit avoir reçu 70 000 €, dont 50 000 lui ont servi à rémunérer son avocat ! Les gérants du bar ont été condamnés à trois ans de prison ferme. Ils sont ressortis quelques mois après, bénéficiant d'une libération anticipée. "Et moi, dit Johnny, j'ai pris perpétuité."
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