Sur le haut portail en tôle, un gouzou du graffeur Jace attire le regard des passants. L'œuvre laisse imaginer qu'un personnage haut en couleur vit ici, au cœur du quartier Danton au Havre. Michel Lacaille ouvre la grille et invite à pénétrer dans sa cour. "J'étais justement en train de bricoler le vélo de Bourvil", sourit le comédien, derrière lequel on aperçoit pêle-mêle jouets, casques de chantier, vieilles affiches, panneaux indicateurs… Un échantillon du bric-à-brac ordonné dans lequel vit ce Havrais d'adoption.
"J'adore dépanner les gens.
Pour moi, ces objets
sont des biens communs"
Car Michel Lacaille est né, "il y a bientôt 63 ans" à Rouen, rive gauche. "La ceinture rouge". "Fils de facteur arnacho-syndicaliste", il ne découvre Le Havre qu'à l'adolescence, pour étudier au lycée Claude-Monet. "Je voulais être mathématicien, mais mon voyage aux USA a tout changé", se souvient le conteur. Lors d'un échange scolaire au Texas, il est "adopté par un couple de cow-boys". À son retour, dans une France baba cool, Michel Lacaille apprend son métier. Tour à tour jongleur, magicien, il improvise des spectacles avec des amis. "On a été utilisés par la mairie du Havre, dans les quartiers. On pouvait réunir jusqu'à 500 gamins. Ça m'a beaucoup formé." La spontanéité de l'impro ne quittera plus celui qui fondera une vingtaine d'années plus tard la compagnie SDF, avec Isabelle Requier et Thierry Marécat. Facteurs déglingués, pirates, instits, aristos, scientifiques… Le trio donne vie à des personnages loufoques, et Michel Lacaille n'a pas à chercher bien loin pour se glisser dans leur peau. Dans sa maison, son "hangar à décors", les costumes s'entassent par centaines. Les objets aussi. Le comédien se défend d'être un collectionneur, plutôt "un récupérateur". Cabine téléphonique d'aéroport, téléviseur des seventies "jamais utilisé", vélos par dizaines, feux rouges des années 50, crocs de dockers, etc. "Toutes les choses qui sont ici sont en relation avec un être humain", note Michel Lacaille, qui se souvient de chaque élément de ce capharnaüm organisé. Comme ces petites voitures de Tintin, offertes tous les mois, pendant cinq ans, par "un gars qui venait faire de la soudure dans mon atelier, en bas". La plupart des souvenirs lui sont donnés, d'autres ont été achetés aux enchères, "pour ne pas qu'ils quittent Le Havre". Le monde du cinéma connaît bien l'adresse du comédien, régulièrement sollicité par des équipes de tournage. Il a notamment alimenté la série Deux flics sur les docks ou le film Le Havre d'Aki Kaurismäki. "J'adore dépanner les gens. Pour moi, ce sont des biens communs."
Le vélo de course de Bourvil est l'un des objets emblématiques de la collection de Michel Lacaille, qui composait son musée éphémère.
Ces trésors, Michel Lacaille les a partagés pendant un temps dans un musée éphémère, La Fabrique à souvenirs, implanté en 2017 dans le quartier. "Les gens apportaient des choses. Ils pouvaient aussi emporter de vieux francs, des cartes postales…" Deux mille curieux franchissent les portes de cet espace, qui n'était pourtant ouvert qu'un samedi par mois. Aujourd'hui, Michel Lacaille a remisé tous ces objets chez lui, en attendant peut-être d'installer son musée ailleurs. Il est en discussion avec la municipalité d'Harfleur. "Il faudrait totalement le réinventer, intégrer le passé médiéval de la commune…", imagine ce fou d'histoire(s). "En ce moment, je suis en train de relire Le grand Larousse de 1934. C'est passionnant de voir comment ils percevaient le monde, sans Seconde guerre mondiale…"
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