La Commission indépendante sur les abus sexuels dans l'Eglise (Ciase), mise en place en 2018 par l'épiscopat et les instituts religieux après plusieurs scandales, avait en juin dernier estimé le nombre de victimes d'agressions sexuelles par des clercs à "au moins 3.000", une estimation issue de l'exploitation d'un appel à témoignages mis en place en juin 2019 via une plateforme d'écoutes téléphoniques.
Mais le nombre de ces appels - au total 6.500 victimes ou proches ont contacté la plateforme en près de 18 mois - "ne rend certainement pas compte de la totalité", a déclaré à l'AFP Jean-Marc Sauvé, le président de cette commission, après avoir fait un point d'étape de ses travaux devant la presse.
Selon lui ce nombre, provisoire, pourrait "atteindre au moins 10.000", d'ici fin septembre date de la remise du rapport de la Ciase. Un nombre qui sera certainement revu à la hausse, selon une source proche du dossier.
En juin, M. Sauvé, avait également estimé à 1.500 le nombre d'agresseurs, mais il n'a cette fois pas avancé d'estimation.
"10.000, c'est déjà beaucoup, mais c'est l'étiage bas, on est loin de la vérité encore", a réagi auprès de l'AFP Jean-Pierre Sautreau à la tête d'un collectif de victimes en Vendée, un département particulièrement touché. "Souvent les faits remontent aux années 1950 et depuis des personnes sont décédées ou bien, à 80 ans, n'ont plus envie de parler", souligne-t-il.
"C'est la partie émergée de l'iceberg, c'est certainement encore beaucoup plus", a renchéri Véronique Garnier, membre du collectif de victimes Foi et résilience. Pour Jacques P., du même collectif, ce nombre "confirme le caractère systémique des abus sexuels dans l'Eglise".
- "Gestes forts" -
A six mois de la remise de ses travaux, M. Sauvé a souligné que son rapport posera "un diagnostic d'ensemble" et répondra à la question "comment en est-on arrivé là, au-delà des défaillances (et) des fautes individuelles graves de prêtres et de religieux ?".
Le rapport se prononcera également "sur la manière dont l'institution dans son ensemble s'est acquittée de ses responsabilités", évaluera "son action, la précocité ou la pertinence de ses réponses". Car, a-t-il dit, "les abus ont revêtu une dimension institutionnelle sur laquelle la Commission se prononcera".
"Il y a eu dans un certain nombre d'institutions catholiques ou de communautés religieuses un véritable système d'abus, mais (...) cette situation représente une toute petite minorité des cas", a-t-il admis à ce stade.
Se disant favorable à une "justice réparatrice", M. Sauvé a plaidé pour que soient posés "des gestes forts" à l'égard des victimes. Pour lui, leur "besoin de reconnaissance" ne peut "se résoudre seulement par une somme d'argent, surtout s'il devait être assorti d'une injonction de se taire".
L'épiscopat et les instituts religieux travaillent depuis plus de deux ans à la façon dont ils peuvent reconnaître la souffrance endurée par les victimes, sur le plan financier mais aussi mémoriel (monument, plaque etc). Des mesures doivent être prises dans l'année à ce sujet.
La question financière est sensible pour les évêques qui ont déjà dû geler leur proposition faite en 2019 d'octroyer un forfait unique pour chaque victime, ce dispositif ayant été mal perçu par des victimes et une partie des fidèles.
"Ca complique les affaires de l'Eglise. A chaque fois que le nombre supposé de victimes augmente, l'addition s'accroît pour l'Eglise en terme de réparations", a souligné M. Sautreau.
M. Sauvé a par ailleurs relevé que "l'imprescribilité" des crimes était "souvent demandée par les victimes". Evoquant les notions de "consentement", il s'est prononcé pour "l'instauration d'une infraction spécifique ou d'une présomption irréfragable de contrainte lorsque des majeurs entretiennent des rapports sexuels avec de très jeunes mineurs".
Quant à la justice ecclésiastique (le droit de l'Eglise, ndlr), elle "doit reconnaître "à la victime une place accrue" et permettre de mieux assurer l'équité du procès".
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