Celle que tout le monde appelle Coco Chanel s'éteint à 21H00, un dimanche... jour de la famille et du repos. Tout ce que honnit cette grande solitaire qui, toute sa vie, s'est perdue dans le travail.
La veille encore, à quelques encablures, les employés de sa maison de couture de la rue Cambon l'ont vue mettre la dernière main à sa nouvelle collection. Elle sera présentée le 26 janvier. Perfectionniste, elle a revu les moindres détails, choisi encore des tissus, vérifié tous les boutons...
La dépêche de l'AFP - un bulletin, très court - tombe en pleine nuit sur les téléscripteurs: "Melle Coco Chanel est morte dimanche soir à Paris. Elle était âgée de 87 ans".
"Noir indémodable"
Ce sont ses familiers du palace qui ont donné l'information: "Sa fin a été très douce. Nous sommes atterrés car rien, dans les jours précédents, ne nous laissait supposer une telle issue".
Ici, tout le monde a l'habitude de voir revenir chaque soir la fine silhouette de la demoiselle au collier de perles et au sempiternel canotier, cigarette aux lèvres.
Un rituel immuable entamé en 1937. "Le Ritz, c'est ma maison", dit-elle. Avec toutefois une grosse interruption. D'une dizaine d'années, après-guerre, quand elle prend le large en Suisse pour faire oublier ses liens avec l'occupant allemand.
Elle loue une suite de 188 m2 au deuxième étage. Avec vue sur la place Vendôme. La couleur noire - "le noir est indémodable", dit-elle - domine. Un sanctuaire peu fréquenté que l'amazone solitaire a, au fil des ans, revisité. Ramenant de la rue Cambon son canapé en daim ou ses paravents chinois en laques de Coromandel.
Superstitieuse, Coco Chanel a posé des talismans par-ci par-là. Il y a son signe astral, le lion protecteur, mais aussi le blé, symbole du bonheur et de la prospérité et décliné en tableau, une oeuvre de son ami Dali.
Selon sa volonté expresse, personne n'est admis dans la suite et seule sa famille peut s'incliner devant sa dépouille: deux nièces et un neveu.
Le lundi matin, rue Cambon, parmi les 250 membres du personnel, c'est la consternation. "La hâte qu'elle mettait à son travail" ces derniers jours, note-t-on, "semble maintenant comme un présage. Elle a tenu à mettre tout au point avant de disparaître".
Les hommages affluent, y compris de ceux qu'une Coco à la dent dure ne ménageait pas. "Chanel est venue avec sa ligne fine, moderne, adaptée à la vie et a soufflé tout le monde par sa modernité. Je l'admirais parce qu'elle était la sobriété. Elle meurt en pleine gloire", réagit Paco Rabanne, qu'elle traitait volontiers de "métallurgiste".
Pierre Balmain retient lui de la dame aux ciseaux, qui a pour devise - "toujours ôter, toujours dépouiller, jamais ajouter; il n'y a d'autre beauté que la liberté du corps" -, "une personne intelligente". "Elle s'exprimait avec une rare acuité. Sa transcription de l'élégance, dans ses robes, avait cette même qualité".
N°5, parfum du siècle
Mercredi 13. Il y a foule devant l'église de la Madeleine pour les obsèques. Plusieurs milliers de personnes. Toute la haute-couture est venue ou presque - "Pierre Cardin, que Coco Chanel avait maintes fois fustigé, n'était pas là", relève l'AFP - les journalistes de mode, des clientes, des mannequins et, bien sûr, toute la maison Chanel, des vendeuses aux premières d'atelier en passant par les cousettes.
Tous rendent hommage à celle que Jean Cocteau appelait "le petit cygne noir". L'orpheline aux origines modestes, la demoiselle aux amours malheureuses, l'une des premières femmes à couper court ses cheveux - "parce qu'ils m'embêtent" - en un temps où c'est si inconvenant, la créatrice du N°5, parfum du siècle...
Le prêtre salue "son esprit mordant" et "son optique d'une mode décente": "elle était croyante, à sa façon peut-être, mais réellement".
Et le cercueil disparaît après l'absoute, sous un amoncellement de fleurs blanches, dont une immense couronne de camélias des producteurs de l'opérette "Coco", jouée à Broadway. Avant de gagner le cimetière de Lausanne (Suisse), pour une inhumation dans l'intimité.
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