"Ne provoquez personne. Ne vous attaquez à personne. Je parlerai cet après-midi et cela sera diffusé à la télévision. Avant cela, ne mettez pas le feu aux stations essence ni à (cet) arrondissement. Du calme, s'il-vous-plaît! Du calme !", dit l'imam Mahmoud Dicko en s'adressant à des fidèles dans cette vidéo tournée dans sa mosquée.
C'est autour de cette mosquée que se sont produits dans la nuit les affrontements les plus sanglants entre Bamakois et forces de sécurité tirant à balles réelles. Elle restait dimanche au coeur d'une grande agitation.
Quatre civils, dont deux mineurs de 15 et 17 ont été tués depuis samedi à Bamako, a indiqué à l'AFP un responsable des urgences d'un grand hôpital. Au moins trois avaient trouvé la mort vendredi. Le camp de l'imam Dicko fait état d'un bilan bien plus lourd.
L'entourage de l'imam Dicko a diffusé des vidéos s'apparentant à des images de guerre des évènements de la nuit.
Elles montrent au moins deux hommes visiblement morts baignant dans leur sang et d'autres perforés par des projectiles, ainsi qu'une grande confusion d'hommes s'agitant dans le complexe de la mosquée selon l'entourage de M. Dicko. Des coups de feu claquent à distance par saccades régulières, sans que les tireurs puissent être identifiés.
"Vous êtes en train de tuer les Maliens, dans la mosquée, (à) balles réelles. La mosquée est en feu", s'écrie un homme dans l'une de ces vidéos qui n'ont pas pu être identifiées indépendamment par l'AFP.
Dans un climat propice aux rumeurs et aux alarmes, les fidèles de l'imam redoutent qu'il ne soit arrêté comme l'ont été depuis vendredi plusieurs leaders de la contestation.
Dimanche, alors que des centaines de personnes se pressaient aux alentours de la mosquée jonchés de cartouches vides, de pierres et de résidus de pneus brûlés, ces fidèles ont recommencé à dresser des barricades "au cas où des policiers reviennent" selon les mots de l'un d'eux.
A qui la faute
Des affrontements ont aussi été rapportés près de la maison de la présidente de la Cour constitutionnelle, Manassa Danioko, l'un des personnages publics qui focalisent la colère. Des images circulant sur les réseaux sociaux montrent au moins un homme apparemment mort. Ailleurs, des hommes ont dressé des barrages, incendié des pneus et se sont livrés au saccage.
La capitale, préservée en temps normal par les violences jihadistes et intercommunautaires qui endeuillent le nord et le centre du pays, est la proie depuis vendredi de ses troubles civils les plus graves depuis des années.
Les tensions sont allées s'intensifiant depuis les législatives de mars-avril. Une coalition hétéroclite de leaders religieux, de personnalités du monde politique et de la société civile s'est agglomérée autour de l'imam Dicko pour porter la protestation.
Ce mouvement dit du 5-Juin canalise une multitude de mécontentements dans l'un des pays les plus pauvres du monde: contre la dégradation sécuritaire et l'incapacité à y faire face, le marasme économique, la défaillance de l'Etat, ou le discrédit répandu d'institutions suspectes de corruption.
Vendredi, le mouvement est entré selon ses mots en "désobéissance civile", frustré par les réponses successives du président à des exigences radicales: dissolution du Parlement, démission des juges de la Cour constitutionnelle, formation d'un gouvernement dont il nommerait le Premier ministre et, au bout du compte, départ du président.
Le mouvement dit être pacifique et accuse le pouvoir des violences.
Alliés et voisins inquiets
Des leaders qui n'ont pas été arrêtés semblent se cacher. Le contrôle que le mouvement exerce encore sur la contestation n'est pas clair, pas plus que l'effet des propos que l'imam Dicko devrait prononcer dans l'après-midi à la faveur des funérailles des disparus.
La décision de la Cour constitutionnelle d'invalider une trentaine de résultats des législatives passe pour un élément déclencheur de la contestation.
Samedi soir, dans sa quatrième allocution en un mois, le chef de l'Etat a annoncé la dissolution de la Cour. Il a aussi ouvert la voie à des législatives partielles là où la Cour a invalidé les résultats, suivant en cela les recommandations d'une mission de bons offices des Etats ouest-africains.
L'escalade en cours alarme en effet les alliés du Mali, inquiets d'un élément déstabilisateur de plus dans un pays confronté au jihadisme et à une série de défis majeurs, dans une région elle-même tourmentée.
Aucune des ouvertures de M. Keïta, 75 ans, président depuis 2013, n'a jusqu'alors fait retomber la fièvre, au contraire.
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