Artiste de 38 ans, il n'a plus de travail depuis que le pays a fermé ses portes aux touristes fin mars.
Mais il a désormais des laitues, des blettes, des concombres et des tomates au-dessus de chez lui, dans le quartier du Vedado à La Havane.
Si l'agriculture urbaine est à la mode, en Europe notamment, à Cuba c'est une nécessité alors qu'une deuxième Période spéciale - du nom de la crise des années 90 due à l'effondrement de l'URSS - se profile.
"L'idée de cultiver des légumes en ville, cela vient des problèmes du pays et du monde, liés à l'économie et au coronavirus", explique Yank, qui a fabriqué des jardinières à partir de vieilles gouttières françaises "Guichard Frères" récupérées sur une maison en cours de démolition.
Il répond ainsi à l'appel du gouvernement communiste, qui incite les habitants à faire pousser leurs aliments en prévision de temps plus durs.
"Nos réserves, notre potentiel, se trouvent dans notre capacité à produire nous-mêmes", assure le ministre de l'Economie Alejandro Gil.
Agriculture insuffisante
Certes, la pandémie de coronavirus a aggravé la situation sur l'île, privée des devises du tourisme qui lui permettaient de payer ses importations.
Mais, comme le souligne l'économiste Pedro Monreal sur Twitter, "les raisons de la crise (alimentaire, ndlr) existaient avant la pandémie".
Problème principal: l'agriculture cubaine ne couvre que 20% des besoins de la population, obligeant à importer le reste, pour un coût de 2 milliards de dollars l'an dernier.
Une étude économique d'une ambassade dresse un portrait sombre: "Cuba figure aujourd'hui parmi les pays d'Amérique Latine présentant les plus faibles rendements en matière de production agricole", avec des pertes de près de 57% des aliments produits, pendant la récolte puis la distribution, et plus de 14% de la surface agricole laissée à l'abandon.
En 2019, sous l'effet de ces problèmes structurels mais aussi du climat, la production de légumes a baissé de 4,3% et celle de fruits de 11,6%.
Yank se souvient qu'en 1994, pendant la Période spéciale, le manque d'aliments poussait son beau-père à enfourcher son vélo pour aller à la campagne chercher des légumes.
"Si on ne trouve pas vite une solution, je pense que ça va être pire qu'en 94", redoute-t-il.
"La beauté d'une laitue"
Déjà, à cette époque, avoir un potager chez soi était encouragé.
A Cuba, "l'agriculture urbaine est née sous la Période spéciale, quand la population avait besoin d'alternatives pour se fournir en aliments", rappelle Marcelo Resende, représentant de l'Organisation onusienne pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) sur l'île.
"Et dans ce contexte de difficile production d'aliments, le pays met l'accent sur l'agriculture urbaine pour y répondre" à nouveau.
Yoandra Alvarez, 49 ans, s'y est mis dès les années 1990. Dans la banlieue de La Havane, elle a repris un terrain à l'abandon, où s'entassaient les détritus.
Aujourd'hui y poussent une centaine d'arbres fruitiers, de quoi fabriquer confitures et glaces.
Considérée comme une référence locale, elle se réjouit de voir ce regain de l'agriculture urbaine: "C'est très intéressant. Les gens commencent à voir la beauté d'une laitue", sourit-elle.
Faute d'engrais chimiques, quasi-impossibles à importer en raison de l'embargo américain, les Cubains utilisent des techniques naturelles, mais "il faut améliorer l'accès aux graines, à l'eau, on y travaille", indique le représentant de la FAO.
Pour Jesus Sanchez, adepte de la permaculture et de l'agriculture urbaine, plus de retour en arrière possible: chez lui, il utilise des vieux pneus et des bouteilles comme récipients pour ses cultures, tout en élevant lapins et poules.
"Pas besoin de sortir pour chercher des condiments, et on a de la citrouille, du manioc et de la patate douce pour manger", raconte-t-il, heureux de partager avec ses voisins. "Quand on cueille les mangues, on en donne à tout le monde!"
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