Le pas lent, la voix posée et les yeux lourds, Fred Dembi a l'allure de l'homme qui n'a pas dormi depuis longtemps. Le mardi 7 janvier, au lendemain de la qualification historique de son FC Rouen contre Metz, le milieu de terrain ouvre les vannes. Joie de l'exploit, douleur de la perte de son ami Nathaël Julan, justification de sa suspension à venir contre Angers... Avec pudeur et dignité, celui qui a lancé l'exploit en ouvrant le score contre Metz se confie et raconte son "Natha" Julan.
D'abord, est-ce que vous réalisez la portée de votre exploit ?
"Le fait d'être sous les projecteurs, avec la télé, nous on n'est pas habitués à ça ! Certains d'entre nous n'auront peut-être plus cette chance, il faut en profiter à fond et mémoriser chaque instant. Je me demande encore ce qu'on a fait ! J'ai pas dormi et j'ai regardé le match plusieurs fois, dans le vestiaire puis chez moi, pour me prouver que ça n'était pas un rêve."
À quel moment avez-vous pris connaissance de votre suspension pour le prochain tour ?
"Ce sont mes coéquipiers qui me le disent. Quand ils m'entourent, c'est pour célébrer le but, mais aussi pour essayer de cacher que j'ai enlevé mon maillot (pour montrer celui de son ami Nathael Julan, décédé quelques jours plus tôt, NDLR). Sur le moment, je suis dans la célébration, je me dis que l'arbitre, il va comprendre l'hommage à mon ami. En plus, je ne me mets pas torse nu, je ne chambre pas l'adversaire."
Est-ce que vous regrettez cette célébration ?
"Je ne sais pas faire semblant ! Je connaissais la règle, et même si j'y avais pensé sur le moment, je l'aurais quand même fait. Le football, c'est une aventure humaine, ça procure des émotions, et avant le match, je me suis dit que je devais honorer la mémoire de "Natha". En plus, quand je revois le but, c'est le genre de but qu'il avait l'habitude de marquer. Pour moi, c'était la bonne façon de lui rendre hommage. Alors je suis désolé pour le club, mais si c'était à refaire, je le referais."
Même si ça vous prive de terrain contre Angers...
"C'est peut-être la fin de mon aventure en Coupe de France. Moi, je fais du foot pour aller dans le monde pro, ces matchs permettent aux joueurs comme moi de se mettre en lumière. J'ai confiance en mes partenaires, mais j'ai envie de jouer ce match-là. Vu l'ampleur que ça a pris sur les réseaux sociaux, je sais que la fédération verra le message. J'espère qu'ils vont se demander ce qu'ils auraient fait s'ils avaient perdu un être cher. Est-ce que, à ma place, ils n'auraient pas fait la même chose ? Je n'ai fait de mal à personne mais je préfère être fidèle à mes valeurs."
Si la @FFF pouvais m'enlever mon carton jaune pris pour avoir rendu hommage à mon amis ( en plus j'étais pas torse nue) que je puisse jouer le 16eme de final de coupe de france contre Angers je serais très très heureux car la c'est en tribune que je vais regarder le match...
— homme capable (@DembiFred) January 7, 2020
À quel point étiez-vous proche avec Nathaël Julan ?
"Pas au point d'être meilleurs amis, mais très proches quand même. Quand je suis arrivé au Havre, Natha a été le premier à m'intégrer. On s'est tout de suite liés d'amitié, mais on s'est vraiment rapprochés quand je suis parti à Avranches. Ça s'est mal passé pour moi et je me suis retrouvé sans club. Là, j'ai perdu beaucoup de gens autour de moi, des gens que je croyais être mes amis. Nathaël, lui, a été parmi les seuls à m'envoyer des messages, à me dire tous les jours de ne pas lâcher, à m'encourager... Tous les jours on se parlait."
Pourtant, vos parcours étaient assez opposés.
"Oui, mais avec lui, il n'y avait pas de statut, pas de "moi je suis passé pro et pas toi". C'est là qu'on voit ses valeurs. Il prenait le temps de me parler, de me donner des conseils. C'est grâce à lui que j'ai recommencé le foot, en R1 à Maromme. Pourtant, lui il avait des problèmes avec Guingamp, il était en train d'essayer de partir. La situation était en train de s'inverser, et là c'était à moi d'être présent pour lui. Juste avant son décès, il me disait qu'il voulait partir en prêt en Ligue 2."
Comment avez-vous appris son décès ?
"C'est John qui me l'a annoncé (Jonathan Monteiro, le gardien du FCR, NDLR). Il savait le lien qu'on avait... Quand il me l'a dit, je lui ai répondu : "Qu'est-ce que tu me racontes, je parlais encore avec lui hier !" Donc j'ai pas voulu le croire. J'ai essayé de l'appeler. En tout, j'ai dû l'appeler une vingtaine de fois... Je voyais tous les messages sur les réseaux sociaux, dans les journaux, mais je n'ai pas voulu y croire jusqu'au communiqué du club de Guingamp. La première chose que j'ai pensé, c'est que j'avais perdu un ami."
Qu'est-ce que cette épreuve peut changer chez vous ?
"Natha c'était juste un rayon de soleil, quelqu'un qui voulait juste profiter de la vie. Il aimait kiffer, voyager, les moments avec ses potes... Le foot, c'était pas toute sa vie et c'est une bonne leçon. Depuis son décès, je n'ai pas dormi. Je suis fatigué, mais je n'y arrive pas. Je sais que mon corps n'était pas apte pour ce match contre Metz. Là, je sens tout qui redescend et qui se mélange : la joie de l'exploit, la tristesse et la colère. La réalité, elle te rattrape dans ces moments-là. Après mon but, c'était un vrai mélange, car je me suis souvenu de nos entrainements au Havre. J'espère juste que, de là-haut, il est fier de moi. C'est aussi pour ça que je dis que je le referais si la situation se présentait encore. Dans dix ans, quand j'arrêterai et que je regarderai derrière moi, je pourrai me regarder dans une glace. J'ai rendu hommage à mon ami."
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