Pendant la Deuxième Guerre mondiale, cinq convois ferroviaires sont partis de cette ancienne tuilerie d'Aix-en-Provence, dans le Sud-Est de la France, vers le camp de concentration et d'extermination d'Auschwitz-Birkenau, dans l'actuelle Pologne. La plupart des 1.800 juifs à bord, livrés aux nazis, y ont été assassinés.
Jusqu'à présent, les parcours individuels de ces victimes de la Shoah, livrées par la France de Pétain en 1942 avant même l'invasion de la zone libre par les nazis, restaient inconnus. Des personnes "cachées derrière des nombres, des listes de victimes", explique le président de la Fondation du camp des Milles, Alain Chouraqui, qui souhaitait leur "redonner une humanité".
Une façon également de lutter contre "les processus de déshumanisation de l'autre (...) que l'on voit aussi à l'oeuvre aujourd'hui", ajoute le président de ce site-mémorial unique, qui ne cesse d'alerter sur le risque mortel que font peser les "extrémismes identitaires" sur les démocraties.
Le projet, initié fin 2017, a nécessité des mois de recherche, à travers l'Europe: "c'était comme reconstituer un puzzle", témoigne Magdalena Wolak, docteure en histoire chargée de ce programme.
Les photos de 411 déportés ont été retrouvées. Leurs visages en noir et blanc défilent sur un écran, installé dans un wagon à l'extérieur du bâtiment de l'ancien camp d'internement et de déportation des Milles. Quelques destins ont pu être retracés plus en détail.
Parmi eux, Paschej Birnbaum, un tailleur de diamants né en 1907 en Pologne. Il s'installe en 1936 à Anvers en Belgique. Plus tard, il est arrêté et envoyé au camp des Milles. Il passera par deux camps nazis, Auschwitz et Buchenwald, et sera l'un des rares à survivre à la Shoah.
Ou encore les époux Wertheimer, des commerçants raflés à Mannheim (ouest de l'Allemagne), passés par les Milles. Les photos d'Edwig, la mère, et d'Otto, son fils de 9 ans, ont été retrouvées sur des fiches de l'administration française, alors qu'ils tentent, en vain, d'organiser leur exil aux Etats-Unis.
Rien dans leurs visages ne laisse supposer le drame qui se noue: les parents seront déportés dès 1942 à Auschwitz; Otto, placé à la maison d'enfants d'Izieu (Ain), le sera à son tour après la rafle du 6 avril 1944. Tous y sont morts.
"Des vies ordinaires"
Pour mener son "enquête", Mme Wolak a dû démêler le parcours des convois ferroviaires, partis des Milles puis intégrés à d'autres lors des transits à Rivesaltes et Drancy.
Elle a ensuite bénéficié d'un très large accès aux archives d'Auschwitz, passant trois semaines à écumer les kilomètres de fiches qui ont échappé à la destruction par les SS à la fin de la guerre.
Il a fallu jongler avec les différentes transcriptions des noms de famille des déportés, inscrits parfois approximativement sur les listes à leur arrivée. Jusqu'à 12 orthographes différentes recensées par la chercheuse pour un même patronyme...
Les premiers résultats, partiels, permettent de préciser le profil de ces juifs déportés depuis le sud de la France. Et d'éclairer les chemins hasardeux et multiples qu'ils ont empruntés pour fuir la montée du totalitarisme, des années avant leur déportation et le début de la Shoah, l'extermination de six millions de Juifs d'Europe par l'Allemagne nazie.
Une partie, venue d'Allemagne, est passée, avant d'arriver en France, par les Pays-Bas et la Belgique. D'autres venaient d'Europe centrale ou d'Autriche.
Beaucoup "étaient en France depuis la fin des années 1930. Ils avaient fui leur pays dès les premiers symptômes", avant le début de la guerre mondiale, relève Mme Wolak. Petits commerçants, agriculteurs, cordonniers: "il s'agissait de gens très simples, des vies tout à fait ordinaires", précise-t-elle.
"C'est dans l'ordinaire de nos vies que peut s'enclencher l'engrenage qui mène à l'horreur extraordinaire d'Auschwitz", complète M. Chouraqui, qui est également directeur de recherche émérite au CNRS.
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