La décision de la cour d'appel de Paris était très attendue dans cette affaire qui avait relancé un vif débat sur l'antisémitisme dans certains quartiers populaires, faisant réagir jusqu'au président Emmanuel Macron et au chef du gouvernement israélien.
La reconnaissance par la cour de "l'abolition du discernement" du suspect a été accueillie jeudi avec "colère" et "écœurement" par les parties civiles, qui envisagent un pourvoi en cassation, selon Me Francis Szpiner, avocat des enfants de la victime.
La nuit du 3 au 4 avril 2017, Kobili Traoré s'introduit chez sa voisine de 65 ans, Lucie Attal - aussi appelée Sarah Halimi - au troisième étage d'un immeuble HLM du quartier populaire de Belleville. Il est passé par le balcon après avoir traversé l'appartement d'une famille d'amis, barricadés dans une chambre.
Aux cris d'"Allah Akbar", entrecoupés d'insultes et de versets du coran, le jeune musulman de 27 ans roue de coups la sexagénaire avant de la précipiter dans la cour.
Depuis, un bras de fer judiciaire s'était engagé, d'abord sur la qualification antisémite du meurtre que les juges d'instruction avaient écartée en juillet, puis sur la responsabilité pénale du jeune homme.
A l'audience du 27 novembre, dans un climat tendu, la chambre de l'instruction avait confronté les trois expertises discordantes du dossier.
Toutes concordent à dire que le jeune homme, consommateur régulier de cannabis depuis l'adolescence, a agi lors d'une "bouffée délirante" liée à une forte consommation ce jour-là. Mais les experts divergent sur les conclusions à en tirer: abolition du discernement, synonyme de fin des poursuites judiciaires, ou simple altération, ouvrant la voie à un procès.
Les débats avaient notamment tourné autour de la conscience préalable, chez le prévenu, qu'une telle consommation entraînait un tel risque de troubles psychiques.
"Exorciste"
"Ce que j'ai commis, c'est horrible. Je regrette ce que j'ai fait et je présente mes excuses", avait conclu Kobili Traoré. Auparavant, il avait relaté les heures précédant les faits, durant lesquelles il s'était senti "pourchassé par des démons", avait vu un "exorciste" sur les conseils d'un ami et fumé.
S'écartant de la position du parquet de Paris qui réclamait un renvoi aux assises, l'avocat général avait requis en faveur de l'irresponsabilité pénale.
Jeudi, la cour a donc estimé qu'il existait "des charges suffisantes contre Kobili Traoré d'avoir (...) volontairement donné la mort" à Mme Halimi, avec la circonstance aggravante de l'antisémitisme, tout en le déclarant "irresponsable pénalement en raison d'un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement".
"On vient de créer dans notre pays une jurisprudence Sarah Halimi", s'est indigné Me Szpiner.
"Toute personne qui sera atteinte d'une bouffée délirante parce qu'elle aura pris une substance illicite et dangereuse pour la santé se verra exonérée de responsabilité pénale", a-t-il mis en garde.
"En France, en 2019, on peut tuer des grands-mères parce qu'elles sont juives sans être jugé", a réagi dans un communiqué la présidente de l'Union des Etudiants Juifs de France, Noémie Madar.
A l'inverse, l'avocat de la défense joint par l'AFP, Me Thomas Bidnic, a exprimé sa "satisfaction et soulagement".
"N'était en cause ici ni la lutte contre ce fléau qu'est l'antisémitisme, ni la politique pénale souhaitable contre le cannabis mais uniquement la question du discernement de Kobili Traoré au moment des faits, or celui-ci était manifestement aboli", a-t-il déclaré.
"La justice l'a dit, c'est normal mais, parfois, c'est la simple application de la loi qui apparaît comme subversive. Certains marchent sur la tête", a-t-il conclu.
La cour d'appel, dont la décision met fin à la détention du suspect, a ordonné son hospitalisation complète, mesure administrative sous la responsabilité du préfet. Elle a aussi prévu des mesures de sûreté pour 20 ans, comprenant l'interdiction d'entrer en contact avec les proches de la victime et de retourner sur les lieux.
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