Ce destin si dur, où rien n'est jamais acquis, Levan Gorgadze, devenu en terre nippone Tsuyoshi Tochinoshin, l'a décidé adolescent dans un autre monde, un village des montagnes du Caucase près de la cité antique de Mtskheta en Géorgie.
"Ma maman était contre. Mais j'ai pris ma décision, seul", raconte à l'AFP le colosse trentenaire.
Après de longues semaines passées à soigner des blessures, Tochinoshin s'entraîne tant bien que mal avec une douzaine de membres de son écurie de Ryogoku, le quartier du sumo de Tokyo.
Il fait partie de ces étrangers qui depuis quelques décennies se distinguent dans ce sport millénaire et intrinsèquement japonais.
Un jour d'été de 2005, à 17 ans, il a vu sur une chaîne de sport son compatriote Kokkai, simple champion ordinaire de 24 ans, terrasser pour la première fois le Mongol Asashoryu, sumotori au grade suprême de yokozuna. Au Japon c'est l'émoi, pour lui c'est une révélation.
Après un premier voyage en 2004 pour participer à un tournoi international junior de judo, il reste trois mois dans l'archipel nippon en 2005 et se met au sumo à l'université Nihon à Tokyo.
Vie monacale
Il franchit le pas l'année suivante et quitte son pays de 3,7 millions d'habitants pour s'installer dans l'immense mégapole tokyoïte, dix fois plus peuplée. "Au début, je me sentais triste et isolé", se souvient-il, et "contrarié par le port du kimono, les règles pointilleuses".
Le mal du pays? "Bien sûr... Je ne connaissais pas la langue japonaise... Je n'avais même pas un téléphone mobile pour appeler".
Pour ceux qui ne sont pas encore "sekitori", ou titulaires, la vie dans ce qui est l'un des derniers vestiges vivants du passé du Japon est une existence d'ascète, en totale communauté jour et nuit, sans chambre individuelle. Une vie au rythme des corvées ménagères, des matinées d'impitoyables entraînements et de repas gargantuesques, cloîtrés dans Ryogoku.
"C'est au Japon que j'ai tout appris" et avant tout "qu'il faut s'occuper de ses camarades car nous vivons ensemble".
Cette proximité était visible en ce matin où, dans une petite pièce éclairée au néon, titulaires comme lui vêtus du seul mawashi blanc, la ceinture du lutteur, et non titulaires au mawashi noir combattaient, faisaient des roulades avec une légèreté surprenante, se portaient les uns les autres tout autour du dohyo d'argile, l'aire circulaire de combat.
Leur camaraderie se manifestait par des conseils chuchotés, une main posée sur le front de l'autre, la terre grattée avec un bâton sur le dos du camarade, une louche d'eau tendue.
Héros national
Tochinoshin, 178 kg pour 1,91 m, est monté jusqu'au rang d'ozeki, le plus élevé avant l'apparition de celui de yokozuna au 19e siècle. Ses blessures l'ont fait tomber d'un cran au récent tournoi d'automne, au titre de sekiwake, le 3e rang.
Dans son village d'origine, sous les éternelles vignes qui apportent un peu d'ombre aux maisons géorgiennes, sa mère a changé d'avis: "Je suis fière (...). C'est une étoile brillante du monde du sport", confie à l'AFP Nounou Markarachvili, 52 ans.
"C'était un bon garçon. Maintenant c'est un homme accompli que tout le village adore", renchérit une voisine, Nino Souramelachvili, 43 ans.
Quand il revient passer quelques jours auprès des siens, il est accueilli en héros par des foules dès l'aéroport de Tbilissi.
A Tokyo, il retrouve sa Géorgie natale en écoutant chez lui les chants polyphoniques virils venus de la nuit des temps ou en se préparant le khatchapouri, pain fourré au fromage ou le satsivi, poulet à la sauce aux noix.
Il ne sait pas s'il compte rester en demandant la citoyenneté japonaise pour peut-être un jour ouvrir sa propre confrérie, mais il rêve de voir "beaucoup de Géorgiens se mettre au sumo".
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