Pour ce Berlinois, l'un des rares rescapés juifs à s'installer au "pays des bourreaux" après la Shoah, raconter inlassablement relève de son "devoir envers les morts".
"J'ai eu la chance de survivre, ma famille ne l'a pas eue", poursuit cet homme courtois et décidé, qui reçoit en cravate dans son appartement coquet d'un quartier tranquille de Berlin.
Leon Schwarzbaum a été déporté à Auschwitz à 22 ans. Ses parents ont été gazés le jour de leur arrivée en juillet 1943. Trente-cinq membres de sa famille ont été assassinés.
Pendant ses deux ans à Auschwitz, il a été réduit au travail forcé au service de Siemens avant de parcourir, hagard, des centaines de kilomètres dans des "marches de la mort", prisonnier des nazis qui ont fui le camp avant l'arrivée de l'Armée rouge le 27 janvier 1945.
"J'ai vu des choses effroyables", s'emporte-t-il, l'index pointé en l'air. "Des gens nus dans un camion, les bras en l'air pour implorer le ciel, ils pleuraient". On les emmenait à la mort. "Ce moment m'a poursuivi toute ma vie".
Un soleil froid traverse les fenêtres de son élégant salon rempli de meubles anciens et de souvenirs d'une vie. Il protège ses yeux avec sa main tavelée qui rappelle que désormais, le temps presse pour raconter.
"Les SS étaient là pour enlever aux gens leur nom et anéantir leur existence", reprend-il.
'T'étais où ?'
Leon Schwarzbaum alors relève la manche gauche de son pull en laine. Il énonce les chiffres tatoués sur son bras décharné. "132 - 6 - 24".
Au dessus de la cheminée, l'affiche d'un documentaire consacré à son retour en Pologne le montre à l'âge de quatre ans. Il y a quelques années, il est retourné dans la ville de Bendzin, où il a grandi, à 60 km d'Auschwitz.
Après la déportation, il n'a pas voulu se réinstaller là-bas. Berlin malgré ses cicatrices l'a attiré. "J'avais des amis ici, c'étaient eux désormais ma famille", explique-t-il.
Dans Berlin divisée, l'amour surgit. "J'ai fait la connaissance de mon épouse, nous avons ouvert un magasin d'antiquités" face au grand magasin KaDeWe. Sa femme lui sourit depuis un cadre posé devant lui. Elle est morte en 2012.
Pendant des décennies, Leon Schwarzbaum garde son histoire effrayante comme un secret cadenassé: "Je ne savais pas à qui je pouvais raconter ces monstruosités". Personne n'avait envie d'entendre les rescapés.
Mais dans les années 70, une fête de mariage au bord du lac de Wannsee vient lui rappeler l'horreur. La nuit avance et son voisin de table s'enhardit: "T'étais où pendant la guerre, camarade? Moi j'étais dans les SS".
Sa femme lui répond, glaciale: "Mon époux était à Auschwitz".
Souvenirs atroces
Finalement, au soir de sa vie, il commence à témoigner auprès des jeunes générations et devant la justice.
En février 2016, il raconte son calvaire au procès d'un ancien garde d'Auschwitz, Reinhold Hanning, 93 ans, l'un des tous derniers du nazisme. Leon Schwarzbaum en ressort profondément déçu. Reinhold Hanning n'a pas parlé durant les audiences, se contentant d'une confession écrite.
Quelques minutes avant le verdict qui condamne le vieillard à cinq ans de prison, M. Schwarzbaum lui transmet une lettre qu'il lit maintenant d'un trait, assis au bord de son canapé.
"Il n'y a pas de pardon. Seuls les morts dont vous avez pris la vie en tant que SS peuvent pardonner (...) Tout comme nous, les rescapés, devrons vivre avec ces souvenirs atroces jusqu'à notre mort, vous serez seul avec vous-même jusqu'à votre mort".
Reinhold Hanning n'a pas répondu à la lettre. Il est mort en 2017.
Le 27 janvier 2020, le rescapé ne se rendra pas à Auschwitz pour les cérémonies marquant le 75e anniversaire de la libération du camp. A cause du froid sibérien qu'il faudrait supporter en plus des souvenirs glaçants.
Quelques jours plus tard, Leon Schwarzbaum, matricule 132624 à tout jamais, fêtera ses 99 ans.
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