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A bord de l'Arctic Sunrise, à l'avant-garde du combat pour la défense des océans

Dans leurs cirés trop larges, les passagers de l'Arctic Sunrise ont l'air bien fragiles, ballottés par les creux de l'Atlantique Sud. Plongeurs, biologistes ou militants, ils naviguent vers un mystérieux mont sous-marin, étape d'un périple visant à “sauver les océans”.

A bord de l'Arctic Sunrise, à l'avant-garde du combat pour la défense des océans
Un plongeur saute du navire de Greenpeace Arctic Sunrise pour explorer la montagne sous-marine Mount Vema, dans l'Atlantique Sud, le 2 novembre 2019 - MARCO LONGARI [AFP]

En ce printemps austral, leur navire océanographique de 49 mètres de long croise à 1.000 km au nord-ouest du Cap, en Afrique du sud. Une équipe de l'AFP a été invitée à bord pour une dizaine de jours.

Ici s'érige Mount Vema, une montagne de 4.600 mètres, presque un Mont Blanc (4.800 mètres) frôlant la surface agitée de l'océan Atlantique (son pic est à -26 m).

L'Arctic Sunrise, appartenant à l'ONG de défense de l'environnement Greenpeace, a pour mission d'inventorier les dégâts causés par la surpêche industrielle, la pollution et le réchauffement climatique à la faune et la flore particulièrement riches de Mount Vema, site découvert dans les années 1950.

Les monts sous-marins jouent de multiples rôles pour la régulation du climat, comme habitats d'espèces endémiques, ou sites d'approvisionnement de poissons, d'oiseaux de mer, de mammifères marins. Sur le sommet de Vema, des algues, du krill, des coraux attirent poissons et crustacés.

Le sort d'un crustacé très prisé des gourmets résume à lui seul l'enjeu de la bataille qui se livre au cœur de l'océan.

Autrefois abondant autour du Mont Vema, le homard a failli en disparaître deux fois en cinquante ans, victime des bateaux de pêche industrielle.

Sur le pont de l'Arctic Sunrise, des plongeurs bardés de caméras s'apprêtent à sonder les contours de la montagne en quête de homards.

La corne de brume du navire retentit et ils se jettent un à un à l'eau, aussitôt engloutis.

Trois-quarts d'heure plus tard, leurs silhouettes masquées refont surface à quelques encablures. Ils affichent un large sourire en se hissant sur le pont.

'Laisser la nature tranquille'

"Il y avait beaucoup de poissons autour nous", s'extasie l'un d'eux, le Néerlandais Jansson Sanders. "C'était absolument fantastique à voir. Magnifique!"

Les hommes-grenouilles ont bien repéré des homards. Lentement, l'espèce se réinstalle et elle n'est pas seule.

"Il y a tant de vie là-dessous… des centaines, des milliers de poissons de tous types", s'enthousiasme le biologiste néerlandais Thilo Maack, qui dirige l'expédition de Greenpeace, en se délestant de ses bouteilles d'oxygène: "Des écrevisses, beaucoup d'algues, des éponges et des poissons de toutes sortes".

"Les poissons, littéralement, n'associent pas les êtres humains à un danger... Ils n'ont jamais vu de plongeur... on est entourés de poissons tout le temps, ils s'approchent, vous observent, c'est incroyable !", témoigne-t-il.

"C'est le parfait exemple de ce qui se passe quand on laisse la nature tranquille pendant un certain temps. Même épuisée par la surpêche, elle se reconstitue toujours".

Alertée des ravages de la surpêche, une commission intergouvernementale, l'Organisation des pêcheries de l'Atlantique du Sud-Est (SEAFO), a strictement interdit en 2007 les parages du Mont Vema aux chalutiers.

Les résultats sont aujourd'hui spectaculaires. Mais ce type d'embargo radical reste encore l'exception.

En dehors des eaux territoriales gérées par les pays qui les bordent, seule une infime partie des mers du globe bénéficie d'une protection juridique, d'ailleurs souvent très théorique.

"La statistique est choquante: aujourd'hui, 1% des mers du large est protégé. C'est totalement insignifiant si l'on tient compte du fait que la moitié de la planète est recouverte par la haute-mer", juge Bukelwa Nzimande, une militante de Greenpeace Africa. "Un changement de paradigme s'impose".

Indispensables océans

D'où la mobilisation de défenseurs de l'environnement pour que la sanctuarisation soit étendue. Greenpeace milite pour l'adoption d'un traité qui interdirait la pêche industrielle sur un tiers de la surface des océans d'ici 2030.

L'ONU a pour sa part lancé un projet un texte sur la sauvegarde des océans destiné à remplacer et compléter la législation actuelle en ce domaine, qui date de... 1706.

La mer est aussi au menu de la Conférence des Nations unies sur les changements climatiques (COP 25), qui s'est ouverte lundi à Madrid.

"Le fonctionnement de notre Terre est entièrement connecté, donc un changement à un endroit affecte tôt ou tard les autres endroits", souligne le climatologue François Engelbrecht, de l'université du Witwatersrand à Johannesburg.

"Les efforts pour protéger les océans et atténuer les effets du changement climatique requièrent donc une coopération internationale totale", ajoute-t-il.

Selon le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec), les océans absorbent un quart des émissions d'origine humaine de CO2 et 90% de la chaleur générée par ces gaz à effet de serre. Ils favorisent ainsi le maintien en vie de nombreuses espèces terrestres.

La hausse de température et l'acidification entraînées par cette absorption a en revanche un impact sur la biodiversité marine. Selon les experts en biodiversité des Nations unies, 66% de l'environnement marin est dégradé.

"Nos vies dépendent de la santé des océans mais ces océans sont menacés par une crise historique, conséquence du réchauffement climatique, de la surpêche et de la pollution par les plastiques", s'alarme Thilo Maack, avant de plaider pour la sanctuarisation de 30% des océans.

Tour de Babel

L'ONU estime que 640.000 tonnes de matériel de pêche, souvent en plastique, sont abandonnées chaque année dans les mers. Et en dépit de la protection officielle de Mont Vema, ce site n'est pas épargné.

Les plongeurs de l'Arctic Sunrise ont remonté à la surface une cage à homards et un des drones sous-marins qui a quadrillé les profondeurs a repéré des filets abandonnés. Du "matériel fantôme", comme le qualifie l'équipage de l'Arctic Sunrise.

Les drones téléguidés depuis le pont du bateau, auscultent en direct les fonds marins pour les scientifiques de la mission.

Ces spécialistes venus des quatre coins de la planète donnent au navire un air de tour de Babel flottante.

Tous se rejoignent autour d'un engagement profond et personnel pour la protection de l'environnement.

"Même si mon employeur me dit aujourd'hui qu'il n'a plus d'argent pour payer mon salaire, je continuerai à faire ce que je fais", assure le matelot Barry Joubert, 39 ans, qui a renoncé à son emploi dans une réserve sud-africaine il y a cinq ans pour parcourir les mers sous les couleurs de Greenpeace.

Le capitaine du bateau porte lui aussi très haut ses convictions écologistes, pour son jeune fils de 7 ans.

'Témoin de première main'

"Je suis loin de lui pendant de longues périodes mais c'est pour son avenir", assure Mike Fincken, 55 ans, "je suis un témoin de première main des dégâts causés aux océans, des choses terribles qui les impactent".

"Ce qui me motive, c'est de lui offrir une vraie chance d'avoir une planète qui reste un bel endroit où il pourra grandir et prospérer", poursuit le Sud-Africain.

Mère d'une petite fille d'à peine 18 mois, sa seconde Tuleka Zuma, 31 ans, avoue elle aussi souffrir de l'éloignement de sa famille. Mais elle se réconforte en se disant que sa mission sert à l'édification verte des consciences.

“Tout ce que l'on jette sur terre finit toujours par arriver dans l'océan", souligne-t-elle.

"Tout ce que je fais ici a un but", renchérit une autre femme du bord, Sabine Steiner, 51 ans, une mécanicienne allemande ayant travaillé pendant longtemps sur des bateaux de croisière. "Nous protégeons l'environnement, nous informons et nous accomplissons un travail scientifique".

A des milliers de kilomètres de là, mardi, à la COP25 de Madrid, le Chili a prévu d'annoncer le lancement d'une "Plateforme de solutions pour l'Océan" visant à impliquer tous les acteurs - universités, société civile, secteurs public et privé. La défense des océans sera abordée à différentes occasions pendant la conférence.

L'Arctic Sunrise doit pour sa part continuer à recueillir patiemment des données scientifiques qui vont instruire le dossier de la protection des océans lors d'une prochaine conférence onusienne ad hoc, en 2020.

"Si nous joignons toutes nos voix, ces négociations peuvent aboutir", veut croire Thilo Maack, "on va s'y employer".

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