Les policiers ont-ils usé d'un stratagème déloyal pour monter un dossier visant l'attaquant vedette du Real Madrid, soupçonné d'avoir cherché à faire chanter son ancien coéquipier en bleu Mathieu Valbuena?
C'est la question sur laquelle s'est penchée lundi la Cour de cassation réunie en assemblée plénière, juridiction suprême en France, avant de trancher le 9 décembre.
Tout remonte à juin 2015, lorsque Mathieu Valbuena sollicite les forces de l'ordre après avoir reçu un appel l'informant de l'existence d'une vidéo à caractère sexuel sur laquelle il est clairement identifiable. L'interlocuteur le menace de rendre le document public.
Un agent de police va alors prendre les choses en main et se faire passer pour un négociateur missionné par Valbuena. Il n'aura de contacts qu'avec Younes Houass, un intermédiaire gravitant dans le milieu du football.
Karim Benzema entrera dans le dossier quelques mois plus tard, en octobre, quand il évoquera l'existence de la vidéo avec Valbuena lors d'un rassemblement de l'équipe de France à Clairefontaine. Une simple conversation amicale pour le prévenir selon l'attaquant du Real, mis en examen en novembre 2015, une injonction à payer d'après la police et Mathieu Valbuena.
L'intervention de policiers sous couverture dans ce genre d'affaires est commun, a reconnu Me Fabrice Spinosi, avocat de Karim Benzema, mais "le vice est dans le zèle dont va faire preuve cet officier".
"Il va prendre la direction des échanges en relançant régulièrement ses contacts", affirme l'avocat. Alors que plus aucun échange n'a lieu depuis le 8 juin, "l'officier prend seul l'initiative de relancer ses contacts le 15 juillet". Même chose en septembre quand il se montre "pressant", évoquant pour la première fois "une contrepartie financière", alors qu'en face, "l'interlocuteur exprime sa volonté de mettre un terme aux échanges" autour de la vidéo.
"Pas de tromperie"
Des méthodes tout à fait normales pour l'avocat de Mathieu Valbuena, Me Frédéric Thiriez. "Les maîtres-chanteurs utilisent le silence pour effrayer leurs victimes, explique-t-il, il est normal de les relancer". "L'enquêteur n'a fait que son travail comme le ferait, toute proportion gardée, un négociateur dans le cadre d'une affaire d'enlèvement et de séquestration", complète Me Thiriez.
Se ranger aux arguments de la défense reviendrait à "désarmer la police" pour qui "il n'est pas interdit d'être rusé", ajoute également l'avocat.
L'avocat général, Frédéric Desportes, a suivi ce raisonnement dans son réquisitoire: "Si les coups bas sont interdits, les simples ruses de guerre ne le sont pas" en matière d'enquête, a-t-il dit, demandant le rejet du pourvoi.
"On ne peut pas exiger des enquêteurs qu'ils mènent leurs investigations de manière transparente", a-t-il insisté, estimant qu'il n'y avait "pas de tromperie sur l'essentiel".
De plus, "l'infraction était déjà en cours quand le commissaire est intervenu dans la procédure", a rappelé M. Desportes.
"Ne vous laissez pas abuser car je sais que le temps est à la répression", a prévenu en s'adressant à la Cour Fabrice Spinosi. Il est "toujours plus simple de poursuivre que d'annuler une procédure viciée", notamment dans une affaire qui "attire une attention médiatique nationale voir même internationale", a-t-il souligné. "Le chemin de la loyauté est difficile".
En juillet 2017, la Cour de cassation avait donné raison à Karim Benzema avant que la cour d'appel de Paris ne résiste, conduisant l'attaquant madrilène à se pourvoir en cassation.
La décision du 9 décembre sera la dernière avant un retour de l'affaire sur le bureau du juge d'instruction.
Si le pourvoi est rejeté, la perspective d'un procès de Karim Benzema se concrétisera un peu plus. Mais si la Cour lui donne raison, l'affaire devrait s'arrêter là pour lui. Quoi qu'il arrive, elle aura contribué à priver l'actuel meilleur buteur du championnat d'Espagne de sa place en équipe de France depuis novembre 2015.
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