Le soulèvement inédit contre la classe dirigeante au Liban a apporté un nouveau souffle à la mobilisation contre ce barrage, que les autorités veulent construire à une trentaine de kilomètres au sud-est de Beyrouth.
La réalisation de ce projet, vieux de plusieurs années, reviendrait de fait à inonder la vallée. Financés par un prêt de la Banque mondiale, les grands travaux n'ont pas vraiment débuté, même si le secteur a été bouclé en début d'année et de premiers arbres abattus.
Encouragés par la contestation, environnementalistes et manifestants se sont réappropriés les lieux: depuis le 9 novembre, ils organisent cortèges et sit-in, contraignant les forces de sécurité à ouvrir les barrières.
Haranguant une foule de randonneurs depuis le toit d'une cabane, Bassam Zeinedine, de l'association "Sauvez la Vallée de Bisri", fait le lien avec le climat actuel au Liban, où le bétonnage massif, en bord de mer et dans l'arrière-pays, est une réalité depuis des décennies.
"Il n'y a que les arbres qu'ils (les responsables politiques, NDLR) n'ont pas pris, ils ne nous ont rien laissé d'autre, ni eau, ni air", dénonce-t-il vendredi.
Ses paroles sont accueillies par des applaudissements, avant que les participants ne se mettent en branle pour une randonnée de 20 km, canne dans une main, drapeau libanais dans l'autre.
Hymne national et chants patriotiques se succèdent, puis tour aux slogans politiques: "On paye des impôts, ils ont les poches pleines!".
Environnement et "révolution"
Dominés par les flancs boisés de la vallée, les promeneurs tombent sur une fabrique de ciment à l'arrêt. Ils prennent en photos d'imposantes souches d'arbres déracinées et découpées.
Plus loin, des pelleteuses jaunes immobilisées. Plusieurs véhicules de chantier ont déjà quitté le site, une petite victoire pour les militants qui ont filmé la scène.
"La préoccupation environnementale est essentielle pour la révolution", assure Roland Nassour, coordinateur d'une campagne pour la préservation de la vallée.
Un inventaire des arbres coupés, pins et chênes notamment, est en cours, mais globalement la vallée reste épargnée, poursuit-il.
Cet urbaniste de 27 ans fait partie des neuf militants convoqués lundi par la police, après une plainte de l'entreprise en charge du chantier pour des portails forcés et panneaux mis à bas. "On est fier de ce qu'on a fait", assume-t-il.
Pour un coût de 617 millions de dollars, le barrage doit permettre de répondre aux besoins en eau de 1,6 million de Libanais, selon la Banque mondiale.
Mais les militants dénoncent des expropriations. Ils craignent aussi des tremblements de terre --car le barrage doit être érigé sur une faille sismique--, un risque néanmoins écarté par le gouvernement et la Banque mondiale.
Sur son site internet, l'institution financière promet, pour compenser tout impact environnemental, "une meilleure gestion de la biodiversité" qui sera mise en oeuvre dans la région voisine du Chouf, avec des programmes de reforestation.
Les militants protestent aussi contre un plan prévoyant le démontage d'une petite église, Mar Moussa, pour la reconstruire ailleurs.
"Plus de réserves naturelles"
Près de la rivière sillonnant la vallée, les randonneurs font une pause, et revisitent dans une version arabe le célèbre chant italien Bella Ciao.
"On ne veut pas de barrage à Bisri, on veut une réserve naturelle", scandent-ils, équipés de maracas et d'un harmonica.
Mordu de randonnée, Lucien, trentenaire, est venu à Bisri avec son club pour appeler à "préserver un Liban vert". "Nous n'avons pas de plans pour protéger l'environnement, il faut plus de réserves naturelles".
Gestion calamiteuse des déchets, pollution des côtes, carrières de pierre rongeant la montagne, et les feux de forêts d'octobre, pour lesquels une négligence des autorités a été dénoncée sur les réseaux sociaux: au Liban les griefs environnementaux sont légion.
"C'était une des causes de la révolution", commente Mervat, militante de 59 ans venue de Saïda (sud), à propos des incendies. "Ca a rendu fou les gens".
"Le Liban est parmi les meilleurs en pollution", ironise-t-elle. "On veut des solutions, mais les responsables n'en apportent pas".
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