"C'est ça qui me travaille, ce que j'ai fait... Putain j'suis vraiment désolé", dit-il d'une voix étranglée.
Il se tourne vers les surveillants qu'il a violemment poignardés le 4 septembre 2016 dans un couloir de la prison d'Osny (Val-d'Oise), hésite, réprime un sanglot, puis repousse brusquement le micro devant lui et s'assoit dans le box.
La présidente de la cour d'assises spéciale de Paris, Emmanuelle Bessone, le ramène aux débats qui portent, en ce premier jour d'audience, sur sa personnalité, lui qui est l'auteur du premier attentat jihadiste en prison en France.
"M. Taghi, dit la magistrate, on peut avoir une discussion tranquille, il n'y a pas lieu de s'énerver. On aura le temps d'aborder les faits plus tard".
Car pour comprendre le geste de Bilal Taghi, analyser pourquoi la dangerosité de ce détenu, pourtant placé dans l'aire de "déradicalisation" d'Osny, n'a pas été décelée, il faut replonger dans la trajectoire personnelle et familiale du gamin de Trappes (Yvelines) devenu jihadiste.
Le Franco-marocain, 27 ans, n'est guère prolixe sur son enfance. Ses parents, marocains, se sont séparés - le père battait la mère et "un peu" les enfants - et il se construit au milieu d'une fratrie de onze.
Deux frères aînés ont été tués en Syrie. Deux autres ont été expulsés en août 2017 vers le Maroc "en raison de leurs liens avec la mouvance salafiste radicale". Un de ses cadets a été privé de son droit de visite parental du fait de sa "radicalisation".
- "Vie bousillée" -
Bilal grandit dans l'ombre de son aîné Abdelhafid. C'est ce grand frère qu'il admire, donné pour mort en Syrie début 2015, qui lui envoie des vidéos de propagande du groupe Etat islamique, et forge son engagement dans l'extrémisme. "Je cherchais à donner un sens à ma vie", tempère l'accusé aujourd'hui.
Jeune chômeur, il fréquente aussi la mosquée de Trappes - "je faisais partie d'un tout plus grand que moi" - et se marie religieusement. Il a 24 ans quand il décide avec sa compagne et leur bébé d'à peine deux mois de rejoindre la Syrie, quelques jours après l'attentat contre le journal satirique Charlie Hebdo en janvier 2015.
Leur périple tourne court, après un accident de voiture en Turquie. Ils sont expulsés vers la France. Bilal Taghi, qui affirmait n'être parti en Syrie que pour ramener son frère, est condamné à 5 ans de prison, sa compagne à 3 ans.
Depuis sa cellule d'Osny, il décide de passer à l'acte au nom du jihad, pour tuer un "représentant de l'Etat français". Aux juges d'instruction, il dira son impatience de tuer au nom de Daech et son ancrage dans la radicalité : "Franchement, il y a des chances que je porte à nouveau atteinte aux intérêts de la France si j'en ai l'occasion".
A l'audience, il affirme que son adhésion était avant tout une façon "de ne pas trahir (ses) frères".
Il laisse entendre qu'il a changé, ces deux dernière années, au contact d'un psychologue et d'un imam à la prison de Moulin-Yzeures où il est incarcéré.
Evoquant un "désir de vengeance" et de "soulager (sa) peine", il conclut désormais : "Y'a rien qui justifie ce que j'ai fait". "J'ai bousillé ma vie, celle de ma famille", dit l'accusé, qui encourt la réclusion à perpétuité.
Ses sanglots ont laissé de marbre l'avocat général, qui représentait déjà l'accusation lors de son procès en correctionnelle.
"Nous nous sommes vus au premier procès, j'ai requis contre vous. Je garde le souvenir de vous avoir vu pleurer pendant tout le procès en expliquant que vous aviez fait une grave erreur. Comment peut-on pleurer comme ça et mentir en même temps ?", assène le magistrat.
Le procès se poursuit jusqu'à vendredi.
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