C'était la grande fierté de Carlos Ghosn: avoir porté le partenariat franco-japonais au premier rang mondial. L'an dernier, avec 10,76 millions de véhicules vendus, Renault, Nissan et leur allié Mitsubishi devançaient Toyota et Volkswagen.
Mais, comme un symbole, le trio a vu ses volumes chuter cette année, au point de repasser en troisième position...
La chute de Ghosn, en attente de son procès pour malversations au Japon, a révélé un empire industriel miné par les conflits.
Président des trois entreprises, le dirigeant au style autoritaire était la clé de voûte d'une construction baroque dont il centralisait les pouvoirs. "L'unité de commandement masquait la diversité incroyable des forces à l'oeuvre. Quand elle a explosé, elle les a libérées", confie un haut dirigeant de l'alliance.
D'un côté, derrière le directeur de Nissan Hiroto Saikawa, des Japonais, persuadés d'être les plus performants de l'ensemble, nourrissaient un sentiment de revanche après s'être sentis opprimés pendant des années. De l'autre, derrière le directeur de Renault Thierry Bolloré, des Français se sentaient trahis par l'enquête secrète de Nissan qui a livré leur chef à la justice.
Contrairement à Volkswagen ou Toyota, l'alliance n'est pas un groupe intégré, mais un partenariat reposant sur des participations croisées. Renault détient 43% de Nissan, qui lui-même détient 15% de Renault et 34% de Mitsubishi.
Une année perdue
Après l'éclatement de l'affaire Ghosn en novembre 2018, aucun dialogue constructif, aucune prise de décision n'a été possible. Au total, une année perdue.
En octobre, les départs coup sur coup de Saikawa et Bolloré ont permis de tourner une page. "Il y a eu des excès des deux côtés, des assiettes ont volé. Mais il y a eu un travail de nettoyage aussi bien chez Nissan que chez Renault. Désormais, les gens en place sont tous convaincus qu'il faut renforcer l'alliance", estime une source proche de Nissan.
Les problèmes sont profonds. La rentabilité et la génération de cash sont insuffisantes, alors qu'il faut financer les innovations, dans un marché automobile en récession, et qui vit plusieurs ruptures technologiques simultanées avec l'avènement de voitures électriques, connectées et de plus en plus autonomes.
Renault et Nissan ont récemment revu en baisse leur objectif de marge opérationnelle pour cette année, respectivement à 5% et 1,4% du chiffre d'affaires. En face, Volkswagen affiche entre 6,5% et 7,5%, malgré un scandale des moteurs truqués qui lui a coûté des dizaines de milliards d'euros... Et Toyota caracole à plus de 8%.
Synergies invisibles
"Pour un partenariat ancien", puisqu'il a déjà 20 ans, "c'est un petit peu surprenant que les synergies qui devraient exister depuis longtemps ne se voient pas dans les chiffres", relève Vittoria Ferraris, analyste pour S&P Global Ratings, agence de notation qui a récemment abaissé la notation de Renault et placé sous surveillance négative celle de Nissan.
Jean-Dominique Senard, réputé bon diplomate, espère avoir réussi à rétablir la confiance entre Paris et Tokyo. "Vous serez surpris par la force de l'alliance ces prochains mois", a-t-il lancé récemment.
La dernière réunion du conseil opérationnel, qui rassemble une fois par mois les dirigeants des trois partenaires, "a été l'une des plus positives depuis mon arrivée", a-t-il assuré.
M. Senard, qui avait échoué au printemps à fusionner Renault avec le constructeur italo-américain Fiat Chrysler (désormais fiancé au rival français PSA), espère très vite pouvoir annoncer des initiatives industrielles communes.
Le débat sur une réforme de la gouvernance de l'ensemble attendra, même si les Japonais souhaitent toujours un rééquilibrage en leur faveur.
Renault, bien implanté en Europe, et Nissan, puissant aux Etats-Unis et en Chine, sont géographiquement complémentaires. Les deux pourraient mettre en commun leur expertise du véhicule électrique.
"Le marché difficile va être une incitation très forte à trouver une base commune, mais le problème est le temps que ça peut prendre...", s'inquiète cependant Mme Ferraris.
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