Tous les mercredis, entre deux cours, Shazz-Andréa vient faire ses courses dans cette échoppe située sur le campus Clignancourt de la faculté de lettres de Sorbonne Université, au nord de la capitale. “Je suis boursier, je donne des cours de piano à côté, mais ce n'est pas assez”, regrette l'étudiant de 19 ans, en master de communication à Assas.
Pour 1,71 euro ce jour-là, il repart avec une petite dizaine de produits laitiers, des cordons bleus, des escalopes de dinde et d'autres produits frais. Dans un commerce classique, l'addition aurait été 10 fois plus salée.
Cette grande précarité dont Shazz-Andréa et d'autres sont victimes est à l'origine de plusieurs manifestations sur les campus, qui ont éclaté en début de semaine après l'immolation par le feu d'un étudiant vendredi devant le Crous de Lyon.
Le phénomène est loin d'être marginal: selon la Fage, premier syndicat étudiant, 20% des étudiants vivent sous le seuil de pauvreté en France.
“Je ne mangeais pas de viande avant de connaître l'Agoraé”, explique Susana Luque-Gomez, une étudiante en langues originaire de Colombie. “La conversion des prix entre l'euro et le peso, ça fait que c'est trop cher. Les supermarchés ici, je ne peux pas les payer”, dit la jeune femme venue elle aussi s'approvisionner à l'Agoraé.
"Pas la solution"
A son ouverture, à 16h30, l'épicerie solidaire, nichée au coeur des bâtiments du Crous Porte de Clignancourt, se remplit aussi rapidement d'étudiants que le frigo, lui, se vide de ses denrées.
"Aujourd'hui, c'est une pizza par personne", rappelle Elif Mutlu, chargée de mission au sein de l'Association des étudiants de Paris (Agep) qui gère deux épiceries de ce type dans la capitale.
Les rayons, plus ou moins fournis au gré des livraisons de la Banque alimentaire et des collectes organisées, notamment dans des magasins bios, ne sont pas extensibles à l'infini. "On limite parfois certains produits qui sont plus demandés. Quand il y a des œufs, ils partent en 10 minutes”, explique l'étudiante de 21 ans.
Lancées en 2011 par la Fage, les Agoraé se sont multipliées depuis. On en compte aujourd'hui 20 en France, gérées par les associations étudiantes locales.
Un coup de pouce indispensable pour les 2.400 bénéficiaires, dont le “reste à vivre” --c'est-à-dire l'argent disponible une fois le loyer et toutes les charges fixes déduits-- s'échelonne entre 1,50 et 7 euros par jour.
C'est le cas de Julienne Jean, une étudiante haïtienne en master de management du tourisme. “C'est plus qu'important. Quand je suis bloquée financièrement, c'est cette épicerie qui me débloque. C'est trop cher ailleurs pour moi qui n'ai pas ma famille ici. Et c'est difficile de travailler avec les études.”
"Quand on est dans la précarité, on n'est pas forcément au courant de tout ce qui existe", ajoute Marion, une bénévole qui a elle aussi connu de grosses difficultés quand elle était étudiante.
En rupture avec ses parents, son maigre salaire d'apprentie suffisait tout juste à payer son loyer. “Alors on apprend à ne plus manger et on se met en danger. Aujourd'hui encore, j'oublie parfois de me nourrir”, détaille la jeune femme de 27 ans.
“Les épiceries, c'est un début de solution, mais ce n'est pas la solution”, tempère Raphaël Degremont, vice-président général de la Fage. “La solution, ça doit être un financement de l'Etat. Nous, notre objectif, finalement, c'est de ne plus avoir besoin des Agoraé”, conclut-il.
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