Le phénomène a pris "une ampleur considérable" ces dernières années en France, est-il souligné dans l'ordonnance de renvoi des 24 prévenus devant le tribunal correctionnel de Lyon (centre-est) pour aide au séjour irrégulier, proxénétisme aggravé, traite d'êtres humains et blanchiment d'argent en bande organisée.
Dans les rues de France, les Nigérianes ont pris le pas sur les péripatéticiennes venues de Chine ou d'Europe de l'Est. Dans l'agglomération lyonnaise, des contrôles de police en ont recensé 250, soit la moitié des femmes battant le pavé, durant le démantèlement de ce réseau qui aurait rapporté jusqu'à 150.000 euros par mois.
L'enquête a démarré en 2016 grâce à un témoignage dénonçant le rôle de proxénète d'un pasteur, Stanley Omoregie, propriétaire de plusieurs appartements loués à des prostituées qu'il exploitait. Ce qu'il conteste en se présentant comme leur défenseur.
"Je veux les meilleures, celles qui sont mûres et qui ont de beaux corps. Celles qu'on peut contrôler, pas celles qui causent des problèmes", déclare pourtant ce trentenaire dans une des multiples conversations téléphoniques versées au dossier - une erreur de traduction, d'après lui.
L'accusation le présente comme la "clé de voûte" d'un réseau actif sur Lyon, Montpellier et Nîmes, essentiellement familial et composé de 10 femmes pour 14 hommes, dont "une proxénète de premier ordre" exploitant 7 prostituées et négociant l'arrivée d'une dizaine d'autres.
Comme les victimes, les mis en cause sont Nigérians, à l'exception d'un Français. Âgés de 24 à 58 ans, onze comparaissent détenus, douze sous contrôle judiciaire.
Une prévenue manque à l'appel : Jessica Edosomwan, née en 1993, est une des 18 criminelles les plus recherchées en Europe, soupçonnées de se cacher en France, en Belgique ou en Allemagne.
D'autres protagonistes au Nigeria n'ont pas été inquiétés, faute de coopération avec la France, précisent les juges lyonnais.
"Juju"
Les 150 pages résumant l'affaire répartissent les rôles entre maquerelles à poigne et proxénètes violents, chauffeurs de camionnettes abritant les passes, collecteurs, transporteurs et autres blanchisseurs d'argent via "l'hawala", système traditionnel de transfert d'argent de gré à gré, sans trace bancaire. Sans oublier le mécanicien, originaire du Rhône, chargé de l'entretien des camionnettes.
Des mois d'écoutes et de surveillance policière ont précédé l'interpellation des suspects en septembre 2017 puis janvier 2018. Ils encourent dix ans d'emprisonnement.
Le procès lèvera le voile sur le quotidien d'esclaves sexuelles - à partir de 10 euros la passe - qui fut celui des 17 prostituées, parties civiles avec deux associations, l'Amicale du Nid et Équipes d'action contre le proxénétisme.
Âgées de 17 à 38 ans, les victimes sont originaires pour la plupart de Benin City dans l'État nigérian d'Edo, où les filières recrutent beaucoup depuis 2015 sur fond de récession économique et d'essor de la traite des migrants.
Avant d'échouer à Lyon, beaucoup ont parcouru le même chemin à travers l'Afrique, la Méditerranée et l'Italie, le réseau s'appuyant sur des passeurs en Libye et disposant d'un relais dans un camp de réfugiés à Milan.
Un exil synonyme d'abus de faiblesse : à des mères isolées ou des filles maltraitées, on fait miroiter un avenir de coiffeuse ou couturière. Avant de les contraindre, en vendant leurs corps, à rembourser une "dette" de plusieurs dizaines de milliers d'euros extorqués lors de la cérémonie du "juju" avant leur départ.
L'emprise de ce rituel vaudou, récurrent dans les témoignages et demandes d'asile, est "réelle", soulignent les magistrats.
Ils poursuivent une ex-prostituée de 28 ans, affranchie après avoir remboursé sa dette, pour avoir fait venir une jeune femme du Nigeria, à son tour, moyennant 30.000 euros. "Celle-ci se montrant peu docile, elle n'hésitait pas à la menacer du juju comme elle l'avait sans doute été elle-même", relèvent-ils.
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