La veille, sur la même deux fois deux voies, c'est un touk-touk rouge, --ces petits véhicules à trois roues venus de la périphérie populaire de Bagdad--, qui s'est interposé devant un engin de chantier militaire venu installer de nouveaux blocs de béton aux abords de la place Tahrir.
Depuis quelques jours dans la deuxième capitale la plus peuplée du monde arabe et dans les villes du Sud gagnées par la contestation lancée début octobre, le peuple assure qu'il a pris le pouvoir et le fait savoir.
Ainsi, alors qu'ils font retirer à la police les murs de béton qu'elle vient d'installer avec une grue en travers de la corniche, les manifestants entourant le touk-touk rouge l'écrivent même: "la route est ouverte sur ordre du peuple", inscrit l'un d'eux sur la chaussée, alors que les policiers reculent.
"Révolution d'octobre"
Dans la province pétrolière de Bassora, la route menant au port, vital pour les importations notamment alimentaires du pays, est "fermée sur ordre du peuple", comme le proclament des graffitis sur les blocs de béton.
Ailleurs, devant les Conseils provinciaux de plusieurs villes du sud du pays, de grandes banderoles ont été placées en travers des portes: "cette administration est fermée sur ordre du peuple", peut-on y lire.
A Diwaniya, à 200 kilomètres au sud de Bagdad, le Conseil provincial sert désormais... de déchetterie! Et régulièrement, des camions-poubelles ou des particuliers viennent y jeter les sacs remplis à ras bord de déchets.
A Roumeitha, une localité du sud qui s'était déjà illustrée dans une autre "révolution d'octobre", celle de 1920 contre le mandat britannique, le peuple a décidé d'utiliser les armes du pouvoir contre lui.
Au beau milieu d'une manifestation, un protestataire s'improvise leader. Micro en main, il lit les instructions du peuple --auquel les autorités ont déjà imposé plusieurs couvre-feux.
"Nous décrétons un couvre-feu des personnes et des véhicules de l'Etat", lance-t-il sous les vivats de la foule. "Et la fermeture de tous les sièges des partis", poursuit-il, alors que la foule se met à siffler et à huer.
Dans les écoles, les jeunes sont sortis avant même que le syndicat des enseignants ne déclare la grève générale. "Pas de pays, pas d'école!", lancent-ils depuis dans toutes les manifestations.
Et les enseignants ont suivi, ravis d'être surpris par la "génération PUBG", du nom de ce jeu de combat en ligne, interdit récemment par le Parlement parce que les députés jugeaient qu'il incitait à la violence dans un pays déchiré depuis 40 ans par la guerre.
"Gouvernement de Tahrir"
Du haut du "restaurant turc", un bâtiment de 18 étages qui surplombe la place Tahrir, les manifestants jouent aussi les chefs de section.
Le matin, dans des haut-parleurs, ils adressent des messages aux policiers anti-émeutes qui tirent grenades assourdissantes et lacrymogènes sur les manifestants.
"Bienvenue à l'équipe du matin!", crient-ils avant de lancer des tubes arabes où des crooners chantonnent "Bonjour mon tendre et cher".
Sur Tahrir, certains ont même commencé à distribuer de nouvelles "cartes d'identité" avec comme nationalité "Irakien honorable", profession "manifestant pacifique".
Et fort de toutes ces expériences, sur la place emblématique d'où est partie la contestation le 1er octobre, on se sent pousser des ailes.
Tous les mètres ou presque, de petits groupes organisent des réunions politiques. Il y a ceux qui défendent le régime présidentiel, ceux qui réclament un homme fort pour diriger le pays, ceux qui discutent la Constitution article par article et veulent "un gouvernement de Tahrir".
"Les gens compétents, ils sont ici, sur Tahrir, pas là-bas", lance un manifestant en pointant la Zone verte, séparée de Tahrir par un pont sur le Tigre et où siègent le pouvoir irakien et l'ambassade des Etats-Unis.
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