"Encore aujourd'hui, il y a un moment de la journée où je pense au camp... C'est souvent le soir, avant de m'endormir", confiait en 2017 à l'AFP la dame centenaire, assise dans un fauteuil du séjour de son appartement donnant sur les champs et les coteaux champenois d'Epernay.
Coquette pour recevoir, enjouée pour deviser, la mémoire au garde-à-vous et le regard perçant propre aux fortes têtes, elle avait fait de la dérision son arme ultime, persuadée que "l'humour, ça aide à vivre".
En 2017, elle avait été élevée grand officier dans l'ordre de la Légion d'honneur, une distinction supplémentaire pour son engagement résistant puis citoyen.
Benjamine d'une famille de sept frères et sœurs, elle fut institutrice à Gionges, un village viticole près d'Epernay où elle officiait aussi comme secrétaire de mairie, poste-clé qui lui permit d'intégrer le réseau de résistance Possum.
Sa mission: fabriquer de faux papiers pour des Juifs, des hommes fuyant le STO (service du travail obligatoire) en Allemagne ou des prisonniers de guerre évadés que son frère Georges - mort en déportation en 1945 - cachait dans sa ferme. "Il me disait +j'ai encore un gars+, alors j'opérais en conséquence", expliquait celle qui s'est engagée en 1940 dans cette "tricherie honnête" sans se poser "aucune question".
Cerveau "en guenilles"
La combine dure jusqu'au 19 juin 1944, lorsque la Gestapo vient l'arrêter pendant sa classe, signant le prologue d'un périple inimaginable pour cette jeune femme d'alors 28 ans.
Après un passage à la prison de Châlons-en-Champagne puis au camp de Neue Bremm près de Sarrebruck, dans le sud-ouest de l'Allemagne, Yvette Lundy est réduite au matricule 47360 dans celui de Ravensbrück, seul réservé aux femmes et aux enfants, dans lequel environ 130.000 personnes seront déportées.
En passant le portail de ce camp nazi à 80 km au nord de Berlin, elle sent "une chape de plomb" lui tomber sur les épaules, incrédule face à la déshumanisation dès l'arrivée des détenues, forcées de se déshabiller devant les S.S.
"Le corps est nu et le cerveau tout à coup est en guenilles: on est comme un trou, un trou plein de vide, et si on regarde autour, c'est encore du vide", confiait Yvette.
Sa constitution "assez robuste" et son caractère coriace l'aident à survivre dans ce "trou d'enfer" caractérisé par le travail harassant, "les chiens et les bâtons qui font partie de l'ordinaire", l'épuisement et la mort prompte à emporter les plus faibles.
Finalement affectée dans un Kommando près de Weimar, elle est libérée par l'armée russe le 21 avril 1945 et réussit à regagner la France par avion, au terme d'un parcours retracé dans son livre "Le Fil de l'araignée".
"Miracle"
A la Libération, elle choisit d'abord de se taire devant une partie de sa famille qui croit cette survivante de l'indicible, comme tant d'autres, "déboussolée".
Mais dès 1959, poussée par l'Education nationale, elle intervient dans les écoles pour témoigner, répétant l'exercice devant des centaines d'élèves, surtout des collégiens français, parfois allemands, convaincue qu'ils ont compris "le drame" de la guerre et du nazisme.
Ses conférences ont cessé en 2017, mais des jeunes venaient encore lui rendre visite dans sa résidence pour seniors, pour lui poser des questions.
Interrogé par l'AFP sur la popularité d'Yvette Lundy, Franck Leroy, maire divers droite d'Epernay qui la connaissait depuis 29 ans, estime que "partout où elle est passée, elle a marqué les esprits. Elle a toujours eu cette vivacité intellectuelle, cette exigence morale avec des valeurs sur lesquelles on ne transige pas".
Estimant qu'"en revenir, c'est un miracle", Yvette Lundy n'était jamais retournée à Ravensbrück, par crainte d'être "trop chiffonnée".
Son précepte intemporel? "Demandez toujours: où allons-nous ? Avec qui? Que ferons-nous? Chacun a un devoir de responsabilité, si jeune soit-il."
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