Deux jours après la capitulation du Premier ministre Saad Hariri face à la colère de la rue, les tractations pour la formation d'un nouveau gouvernement semblent au point mort.
Certaines écoles et universités ont recommencé leurs cours avant la réouverture prévue vendredi des banques, mais quelques centaines de contestataires ont repris leurs sit-in sur certaines grandes artères du pays.
Des blocages ont été levés tôt le matin à l'entrée de Beyrouth par les forces anti-émeutes, qui faisaient face aux manifestants dans une ambiance tendue.
"Pas question de baisser les bras"
"Vos frères sont parmi nous, vous ne pouvez pas vous en prendre à nous!", a crié aux soldats un jeune en colère.
"Il n'est pas question de baisser les bras", a lancé Tarek Badoun, 38 ans, posté sur la voie express qui traverse Beyrouth.
Comme tous ceux autour de lui, il réclame un renouvellement complet de la classe politique pour faire repartir sur de nouvelles bases un pays unanimement jugé corrompu, au bord de la faillite économique et toujours en proie à des pénuries chroniques d'eau et d'électricité 30 ans après la fin de la guerre civile (1975-1990).
Accueillie comme une première victoire par les manifestants, la démission mardi de M. Hariri s'était accompagnée de scènes de liesse populaire à travers le pays.
La quasi totalité des barrages avait été levée dans la foulée, laissant penser à une baisse de la mobilisation. Mais blocages et rassemblements ont repris dès mercredi soir, en particulier à Tripoli, la grande ville du nord devenue un des fers de lance de la contestation.
La révolte a été déclenchée le 17 octobre par l'annonce d'une taxe -vite annulée- sur les appels via la messagerie WhatsApp qui a suscité un ras-le-bol populaire ayant pris le pouvoir totalement de court.
Pour l'analyste Karim Bitar, "la classe politique mise sur un essoufflement". "Elle espère que les Libanais, pris à la gorge par la crise économique, vont reprendre leur vie ordinaire, contraints de gérer leurs urgences quotidiennes".
Discours du président
La presse libanaise spécule sur les scénarios possibles d'une sortie de crise: M. Hariri serait prêt à reprendre la tête d'un gouvernement à condition qu'il soit composé de technocrates ou de personnalités incontestables.
Mais sa tâche est compliquée par le fait qu'il a "infligé un camouflet à ses partenaires", selon les termes du journal L'Orient-Le Jour, en démissionnant contre leur avis.
Le puissant Hezbollah pro-iranien, allié du président Michel Aoun, s'était clairement prononcé contre une chute du gouvernement dans lequel son influence était prépondérante.
En outre, M. Aoun -qui a publiquement souligné la semaine dernière la nécessité de "moderniser" le régime- refuserait de sacrifier son gendre Gebran Bassil. Ministre des Affaires étrangères du gouvernement démissionnaire, M. Bassil est la cible favorite des manifestants qui voit précisément en lui l'un des symboles d'une classe politique incompétente et corrompue.
Conspué au même titre que les autres dirigeants, M. Aoun devait s'adresser au pays jeudi soir à l'occasion du 3e anniversaire de son accession à la présidence.
Il avait fallu plus de huit mois de tractations entre les innombrables composantes de la vie politique libanaise pour mettre sur pied le précédent gouvernement.
Or, souligne la politologue Amal Saad-Ghorayeb, le Liban ne peut plus s'offrir un tel luxe. Il faut, dit-elle, "un gouvernement capable de stabiliser rapidement une situation économique devenue hors de contrôle et qui puisse faire passer des réformes urgentes" pour tenter de calmer la rue.
La France, puissance encore influente au Liban, s'est à nouveau inquiétée de la situation, le ministre des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian jugeant "essentiel (...) que soit rapidement formé un gouvernement qui soit en mesure de conduire les réformes dont le pays a besoin".
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