Deux jours après la capitulation du Premier ministre Saad Hariri face à la colère de la rue, les tractations pour la formation d'un nouveau gouvernement semblent au point mort.
Conspué au même titre que les autres dirigeants, le chef de l'Etat Michel Aoun doit s'adresser au pays dans la soirée à l'occasion du 3e anniversaire de son accession à la présidence.
Certaines écoles et universités ont recommencé les cours avant la réouverture prévue vendredi des banques, mais quelques centaines de contestataires ont repris leurs sit-ins sur certaines grandes artères du pays.
"Pas question de baisser les bras"
Des blocages ont été levés tôt le matin à l'entrée de Beyrouth par les forces anti-émeutes, qui faisaient face aux manifestants dans une ambiance tendue.
"Vos frères sont parmi nous, vous ne pouvez pas vous en prendre à nous!", criait aux soldats un jeune en colère dans une scène retransmise en direct à la télévision.
"Il n'est pas question de baisser les bras", assurait de son côté à l'AFP Tarek Badoun, 38 ans, posté sur la voie express qui traverse Beyrouth.
Comme tous ceux autour de lui, il veut un renouvellement complet de la classe politique pour faire repartir sur de nouvelles bases un pays unanimement jugé corrompu, au bord de la faillite économique et toujours en proie à des pénuries chroniques d'eau et d'électricité 30 ans après la fin de la guerre civile (1975-1990).
Accueillie comme une première victoire par les manifestants, la démission mardi de M. Hariri s'était accompagnée de scènes de liesse populaire du nord au sud du pays.
La quasi totalité des barrages avait été levée dans la foulée, laissant penser à une baisse de la mobilisation. Mais blocages et rassemblements ont repris dès mercredi soir, en particulier à Tripoli, la grande ville du nord devenue un des fers de lance de la contestation.
La révolte avait été déclenchée le 17 octobre par l'annonce d'une taxe -vite annulée- sur les appels via la messagerie WhatsApp qui a suscité un ras-le-bol populaire ayant pris le pouvoir totalement de court.
Camouflet
Pour l'analyste Karim Bitar, "la classe politique mise sur un essoufflement, c'est très clair". "Elle espère que les Libanais, pris à la gorge par la crise économique, vont reprendre leur vie ordinaire, contraints de gérer leurs urgences quotidiennes".
La presse libanaise spécule sur les scénarios possibles d'une sortie de crise. Selon elle, M. Hariri serait prêt à reprendre la tête d'un gouvernement à condition qu'il soit composé de technocrates ou de personnalités incontestables.
Mais sa tâche est compliquée par le fait qu'il a "infligé un camouflet à ses partenaires", selon les termes du journal L'Orient-Le Jour, en démissionnant contre leur avis.
Le puissant Hezbollah pro-iranien, allié de M. Aoun, s'était notamment clairement prononcé contre une chute du gouvernement dans lequel son influence était prépondérante.
En outre, le président Aoun -qui a publiquement souligné la semaine dernière la nécessité de "moderniser" le régime- refuserait de sacrifier son gendre Gebran Bassil. Ministre des Affaires étrangères du gouvernement démissionnaire, celui-ci est la cible favorite des manifestants qui voit précisément en lui un des symboles d'une classe politique incompétente et corrompue.
Il avait fallu plus de huit mois de tractations entre les innombrables composantes de la vie politique libanaise pour mettre sur pied le précédent gouvernement.
Or, souligne le politologue Amal Saad-Ghorayeb, le Liban ne peut plus s'offrir un tel luxe. Il faut, dit-elle, "un gouvernement capable de stabiliser rapidement une situation économique devenue hors de contrôle ces dernières semaines et qui puisse faire passer des réformes urgentes" pour tenter de calmer la rue.
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