"C'est un acte politique de venir enseigner ici", assure ce professeur en sciences politiques de l'Université américaine de Beyrouth (AUB), debout devant une structure en béton au toit oblong qui lui a valu le surnom de "L'oeuf".
"C'est un endroit où l'enseignement et l'Histoire se rencontrent", dit-il à ses étudiants en leur expliquant comment le soulèvement populaire déclenché le 17 octobre a rendu possible l'accès à ce vieux bâtiment dont certains murs portent encore des traces de balles.
La guerre civile (1975-1990) a interrompu les travaux de ce projet moderniste de centre commercial, vestige d'une époque faste depuis longtemps révolue. Seuls les sous-sols et ce qui devait être un cinéma multi-salles ont été terminés, transformés aujourd'hui en un lieu fantomatique.
Après la guerre, le site a été épargné par la reconstruction de la ville, où les immeubles modernes ont été de loin privilégiés à la sauvegarde du patrimoine.
Mais de longs murs d'enceinte lui interdisent d'habitude l'accès, construits par son propriétaire, la société de construction libanaise Solidere dont l'actuel Premier ministre Saad Hariri est le principal actionnaire.
Le soulèvement inédit qui secoue le Liban depuis le 17 octobre, pour protester contre la classe politique et son incompétence, s'est accompagné d'une série d'événements festifs qui a permis à "L'oeuf" de connaître une nouvelle vie.
"Mille et une nuits"
Conférences, séances de cinéma et même des raves, déjà considérées comme mémorables, y ont été organisées à l'initiative d'universitaires, d'étudiants ou de manifestants.
Pour beaucoup, c'était la première fois qu'ils se sentaient chez eux dans cette zone de Beyrouth transformée par Solidere en un vaste quartier de luxe inaccessible à la majorité des habitants.
"J'habite à 200 mètres de L'oeuf et je n'y avais jamais mis un pied", raconte Bachar al-Halabi, un autre enseignant de l'AUB qui y animait vendredi un débat sur l'économie. "L'histoire de Beyrouth est à l'intérieur et son avenir est juste à l'extérieur!", s'exclame-t-il.
Jeudi après-midi, ils étaient une centaine rassemblés à l'intérieur de "L'oeuf" pour y écouter une conférence intitulée "Crise et capitalisme".
"Cet espace a plus d'importance que n'importe quelle université", a lancé sous les applaudissements Charbel Nahas, professeur à l'AUB et ancien ministre de l'Economie du Liban. Les discussions visent aussi à tenter de structurer un mouvement jusqu'ici sans leader ni figure fédératrice.
Des posters annoncent l'occupation du lieu, dont les murs ont été couverts de graffitis appelant à la révolution et à "la chute du régime".
A une centaine de mètres de là, un vieux théâtre, interdit d'entrée par une clôture depuis la guerre, a été brièvement occupé par des manifestants avant d'être évacué pour des raisons de sécurité.
Le professeur Mouawad a tout de même eu le temps d'emmener ses étudiants faire le tour ce lieu autrefois baptisé avec emphase "Le Grand théâtre des Mille et une nuits". Un autre moment "intense et politique", se souvient-il.
En face de la mosquée Mohamad Al-Amine, Mona Fawaz, enseignante en urbanisme, dirige un débat sous une des bâches installées par les manifestants. "Dans la ville que Beyrouth est devenue, il n'y a plus d'espaces publics, nous sommes confinés entre les murs de nos universités", déplore-t-elle.
"Il est temps pour nous de redécouvrir ces lieux".
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