Jeudi matin, après une nouvelle nuit de rassemblements géants et festifs dans plusieurs villes du pays, des barrages étaient toujours présents aux entrées de Beyrouth.
Des tentes ont parfois été installées au beau milieu des voies pour bien signifier aux forces de sécurité stationnées juste à côté qu'il n'était pas question de bouger.
"Nous sommes là pour bloquer en partie le pays. Certains croient que nous jouons mais ils ont tort. On réclame des droits fondamentaux: l'eau, la nourriture, l'électricité, les soins, l'éducation", assurait un homme d'une trentaine d'années assis sur la chaussée, un keffieh rouge et blanc sur les épaules.
"Je ne sais pas où l'on va"
Rencontré devant le siège de la Banque centrale du Liban, où des dizaines de jeunes se relaient chaque jour en criant "Révolution!", Mohammad, un architecte de 27 ans, explique avec un grand sourire: "D'habitude, au Liban, on manifeste le dimanche et on retourne travailler le lundi, mais cette fois c'est vraiment différent!".
Il commence pourtant à s'inquiéter sur l'issue du bras de fer entre la rue et le pouvoir. "S'il n'y a pas de compromis d'ici deux ou trois jours, alors je ne sais vraiment pas où l'on va", dit-il.
Banques, écoles et universités sont fermées jusqu'à nouvel ordre et certains médecins commencent à se plaindre sur les réseaux sociaux ne pas pouvoir se rendre à leur travail. La crainte d'une pénurie de billets aux distributeurs automatiques commence aussi à monter.
La colère, qui a pris les autorités totalement par surprise, avait explosé le 17 octobre après l'annonce d'une nouvelle taxe sur les appels via la messagerie WhatsApp.
Le gouvernement a vite rétropédalé avant d'annoncer lundi un vaste plan de réformes économiques. Mais sans convaincre une population qui souffre de pénuries en tous genres 30 ans après la fin de la guerre civile (1975-1990), dans un pays classé parmi les plus corrompus du monde.
L'armée a fait son apparition en masse mercredi dans les rues, pour la première fois, et les images des scènes de fraternisation entre la foule et les soldats s'étalaient jeudi dans les journaux.
Les yeux tournés vers l'armée
Mais, malgré une ambiance restée largement bon enfant, de premiers incidents ont été signalés dans certaines villes de province. A Nabatiyé, dans le sud à majorité chiite, une quinzaine de manifestants ont été blessés lors de heurts avec la police. D'autres brefs affrontements ont eu lieu à Bint Jbeil, dans la même région.
Dans le Mont-Liban, une région à majorité chrétienne à l'est de la capitale, des manifestants ont affirmé avoir été attaqués par des militants armés du parti du Courant patriotique libre (CPL) fondé par le président Michel Aoun. Selon leur témoignage, l'armée a dû intervenir pour les protéger.
L'attitude de l'armée, sans doute la seule institution encore unanimement respectée au Liban, s'avère donc cruciale. "Tous les yeux sont tournés vers l'armée", résumait jeudi le quotidien en langue anglaise The Daily Star.
Selon le journal, le commandement de l'armée aurait refusé dès le premier jour de manifestations l'intervention par la force réclamée par le pouvoir politique.
Jusque-là silencieux, le président Aoun, un général à la retraite de 84 ans, devait s'adresser au pays dans la journée.
Mercredi, les chefs des Eglises chrétiennes ainsi que les clergés sunnite et druze ont imploré la classe politique de "bien mesurer l'ampleur de l'événement et sa gravité", dans un texte commun interprété comme un clair soutien aux manifestants.
Ceux-ci ont également reçu l'appui de Washington qui a demandé aux dirigeants libanais de répondre aux demandes "légitimes" des Libanais qui souhaitent "des réformes économiques et la fin d'une corruption endémique".
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